(article paru dans Réforme, hebdomadaire protestant, le 26 juin 2014)
La loi sur la réforme pénale actuellement en discussion au sénat prévoit un volet sur la « justice restaurative ». De quoi favoriser les pratiques déjà initiées en France ces dernières années.
Mardi 24 juin, à l’heure où nous bouclons, les sénateurs ont commencé l’examen du projet de loi sur la réforme pénale. En première lecture à l’Assemblée nationale, les députés y ont introduit un amendement sur la « justice restaurative », dont le principe est de faire se rencontrer des victimes et des auteurs d’infractions, sur la base du volontariat. L’objectif est d’aider les victimes à « se réparer » et les infracteurs à « prendre conscience » du préjudice causé. Une évolution législative saluée par l’aumônerie aux prisons protestante et la plate-forme pluri-professionnelle laïque qu’elle a contribué à constituer en 2013.
« C’est une grande satisfaction de voir enfin la justice restaurative figurer dans la loi, se réjouit le pasteur Brice Deymié, aumônier national protestant aux prisons. Ces mesures pourront intervenir à tout moment de la procédure pénale (avant ou après le prononcé de la peine) : le champ d’application est très large et pourra peut-être un jour se substituer au procès pour les petits délits ».Seul bémol : victimes et infracteurs ne peuvent pas initier de telles démarches, uniquement la Justice ou l’administration pénitentiaire. Malgré cette réserve, l’avancée est significative.
Dénouer les blocages
Jusqu’à présent, les seules pratiques de type restauratif en France concernaient la médiation pénale. Paul Mbanzoulou, directeur de la recherche à l’École nationale d’administration pénitentiaire, ancien médiateur du procureur de Pau, en a expliqué le principe lors d’un récent colloque organisé au Conseil économique, social et environnemental (CESE) : « La médiation pénale intervient dans la phase avant poursuites pénales, dans un contexte d’engorgement des tribunaux où les victimes sont exposées au risque de classement sans suite, donc de victimisation secondaire et d’exacerbation du sentiment d’injustice. La médiation pénale a l’avantage de restituer aux parties la résolution de leur conflit sans passer par le procès, avec la participation d’un tiers neutre. Ceci s’applique surtout à des gens « reliés » par des liens de voisinage, familiaux ou professionnels ». Elle est malheureusement de moins en moins utilisée, pour des raisons financières.
En 2010, une nouvelle pratique restaurative pionnière a vu le jour à la prison de Poissy, en région parisienne : des rencontres détenus/victimes (RDV), qui ont été réitérées début 2014. Dans ce cas-ci, il ne s’agit pas de mettre en contact des victimes avec les personnes qui les ont agressées, mais avec des détenus qui ont été condamnés pour des faits similaires, et toujours en présence de représentants de la société civile. Il s’agit, pour Paul Mbanzoulou de « dépasser le paradigme français qui consiste à séparer de façon étanche les victimes et les auteurs ». Les deux expériences menées ont prouvé que « chacun rencontre l’autre et revisite son parcours. Il se tisse des liens, des blocages se dénouent. Les détenus ont partagé des choses qu’ils n’avaient jamais dites à personne, ni pendant le procès, ni à leur conseiller d’insertion et de probation, ni à leur psychologue ».
Éviter la récidive
De telles expériences vont désormais être menées en milieu ouvert, à Pontoise, en région parisienne, pour des victimes et auteurs de vols avec violence. Les victimes qui souhaiteraient y participer peuvent contacter l’association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale (APCARS)[1].
Pour Paul Mbanzoulou, ces RDV sont également importants pour « faire exister la société dans l’application des peines, grâce à la présence des représentants de la société civile. Le crime a une dimension sociale qu’il ne faut pas occulter : le délinquant est-il le seul responsable de ce qui est arrivé ? ». Une question que les victimes se posent parfois. Elles ressortent des RDV avec des pistes pour comprendre « pourquoi on n’arrive pas à s’arrêter avant de passer à l’acte » et « comment éviter la récidive quand les condamnés sortent de prison ».
En termes de lutte contre la récidive, la justice restaurative offre aussi la possibilité de « cercles de soutien et de responsabilité » (CSR), largement répandus au Canada[2], comme l’a expliqué leur responsable québécois, Jean-Jacques Goulet, lors du colloque au CESE.
« Quand un délinquant sexuel sort de prison, il est inscrit sur un registre, interdit de piscine, de parcs et de contacts avec des enfants de moins de 16 ans. Mazis isoler un agresseur sexuel empire sa situation. Il a besoin d’avoir des amis, des gens avec qui rire, parler quand il est en crise à 23 h, partager ses émotions et sa spiritualité. Bref, avoir une petite communauté d’appartenance où il n’y aura pas de secret, car le secret renforce la récidive ». Des bénévoles de la société civile peuvent donc former autour de lui un « cercle de responsabilité et de soutien ». Toujours sur la base du volontariat, il rencontre ce groupe de trois personnes, une fois par semaine, et parle en vérité avec eux.
Au Canada, les CSR divisent le risque de récidive par 9. Ils existent aussi en Angleterre, aux Pays-Bas, en Lettonie, en Espagne, en Bulgarie (grâce à une subvention de l’Union européenne), et dans sept états des Etats-Unis, entre autres.
Les CSR sont arrivés en France en 2008 dans les Yvelines, puis en 2011 en Aquitaine, à Bordeaux et très prochainement à Dax, dans les Landes.
Claire Mérigonde, directrice du service pénitentiaire d’insertion et de probation des Yvelines, explique l’intérêt des CSR : »Les condamnés ne sont pas en crise uniquement aux heures d’ouverture de nos bureaux ! ». D’où l’importance des liens amicaux tissés avec les bénévoles. Elle propose un tel dispositif aux condamnés qui « souffrent d’isolement professionnel, amical, familial, etc., ceux qui, à part la rencontre mensuelle avec le conseiller d’insertion et de probation, ne voient personne » quel que soit leur crime ou délit. Si des bénévoles souhaitent participer à des CSR dans les Yvelines, ils peuvent contacter son service.
Par contre, tous les acteurs impliqués dans la justice restaurative s’accordent à dire que les participants doivent être bien formés à de telles pratiques. C’est pourquoi le tout nouvel Institut français pour la Justice restaurative (IFJR)[3], fondé en avril 2013 par le criminologue Robert Cario, proposera des séminaires de formation, en lien avec l’INAVEM (Fédération nationale d’Aide aux victimes et de médiation). Ils auront lieu à Pau en octobre, à Marseille en décembre et à Lyon en mars 2015.
Comme quoi la société n’a pas attendu une loi pour s’organiser, même si un texte législatif peut être utile pour organiser et pérenniser de telles initiatives.
Marie Lefebvre-Billiez
[3] www.justicerestaurative.orgarticle paru dans Réforme, hebdomadaire protestant, le 26 juin 2014)
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