Estelle était venue dormir chez moi et devait repasser par son appartement avant de s'envoler vers une île lointaine en fin d'après-midi. Elle s'offrait deux semaines de vacances bien méritées au Club Med.
J'avais rendez-vous à dix heures au commissariat de police. L'officier de police Grafaud me cherchait depuis deux jours pour "une affaire me concernant". J'eus un mauvais pressentiment.
Au commissariat, je fus immédiatement reçu par l'officier de police principal Grafaud assisté de deux adjoints qui me toisaient. Je fus prié de m'asseoir.
- Monsieur Forestier… commença Grafaud, j'ai un problème avec vous.
- "Vous" avez un problème ?
- Enfin, non, c'est vous qui avez un problème
- Comment ça, quel problème ?
- Inès Forestier, c'est bien votre fille ?
- Oui, il lui est arrivé quelque chose ? demandai-je hypocritement, car évidemment, j'avais de suite compris qu'il y avait "un problème".
Les trois policiers se regardèrent… Grafaud reprit :
- Voilà… votre fille nous a tout raconté. Elle dit que depuis plusieurs années vous l'obligiez à avoir des rapports sexuels avec vous.
Je restais silencieux, abasourdi.
- …Qu'est-ce que vous en dites, Monsieur Forestier ?
J'avais peur. J'étais lâche. Je craignais la prison. Je craignais de perdre Estelle. Je niais en bloc, même l'évidence. Je me dressais cyniquement contre Inès, contre celle que j'aimais toujours.
- …Alors, Monsieur Forestier, on y arrive à la vérité ? Vous avez eu des rapports sexuels avec Inès ? C'est la vérité, vous l'avez écrit dans deux lettres. Vous avez écrit que son corps vous manquait et qu'elle aimait faire l'amour avec vous.
L'inspecteur exhiba l'accablante correspondance ; ces fameuses lettres que j'avais effectivement commises et adressées à Inès.
- … C'est bien votre écriture ?
- Oui.
Vaincu, j'expirai fortement en serrant mes mains entre mes genoux. Ne pouvant contester les fameuses lettres trouvées par Django, j'avouais une partie des faits, seulement quelques rapports sexuels récents. j'insistais sur le consentement d'Inès, mais les policiers restaient sourds à cette revendication, cette mauvaise excuse.
- C'est vrai, continuai-je à mi-voix, on a vécu ensemble… comme un couple. Je sais, c'est pas…
Je voulais dire que ce n'était pas bien, qu'Inès était vraiment jeune, que je regrettais, qu'elle n'était pas ma fille de sang. Qu'elle était tout à fait consentante.
- Votre épouse n'était pas au courant ?
- Bien sûr que si. C'est Inès qui avait choisi de rester avec moi au départ de sa mère, et durant six mois avant son départ, elle dormait déjà avec moi à la place de sa mère.
- ça, c'est pas du tout ce que votre fille nous a dit. D'après elle, votre épouse n'était au courant de rien.
- Ben voyons ! c'est même à cause de cela qu'elle a demandé le divorce.
- Bon… eh bien, on va mettre tout ça par écrit, Monsieur Forestier.
Je répondis simplement aux questions du policier qui me lisait le P.V. d'Inès en me demandant à chaque paragraphe si c'était bien ça ?
Oui, que je répondis, triste et déjà bourré de remords. Mais toujours en soulignant qu'Inès était consentante. On me répondait que je verrai ce qu'en pense le juge d'instruction.
Je pris conscience que j'étais vraiment en état d'infraction grave, que ce jour-là, la justice mettait son nez dans mes affaires et me révélait ouvertement que je n'étais rien qu'un misérable quidam sans aucun pouvoir sur le déroulement de son propre destin, un père incestueux, un violeur.
Le procès-verbal ne fut donc qu'une copie conforme des déclarations d'Inès, hormis quelques exagérations malveillantes sûrement pas imaginées par elle.
J'étais donc un violeur de petite fille. Moi, pour qui le terme de viol ne correspondait qu'à la violence sexuelle physique. Je ne définissais l'acte de viol que commis avec l'emploi de la force physique. Je pensais que violer, c'était attacher sa victime, la frapper ou que sais-je encore quelles autres sauvageries ?
C'est l'assistante sociale de l'hôpital, à la suite d'un entretien avec Inès, mineure - dix sept ans et onze mois - catastrophée par son récit relatant ses rapports incestueux, qui l'emmena chez le substitut du procureur. Ce dernier renvoya Inès seule déposer plainte au commissariat de police. C'était huit mois après m'avoir quitté.
Le lendemain, après une première nuit de geôle, j'étais soumis à une nouvelle audition. Les policiers souhaitaient m'entendre dire que j'étais tyrannique et violent. Inès avait déclaré qu'un jour je l'avais obligée à des relations sexuelles en la giflant. J'ai avoué l'avoir giflée, une fois, sous l'emprise de la colère, mais ce n'était pas dans le cadre de nos rapports sexuels. Inès avait seize ans. Ce soir-là, elle m'avait gravement menti pour s'inventer un mauvais alibi. Elle était rentrée très tard. Elle avait passé la soirée en compagnie d'une amie peu fréquentable qui se droguait. Je n'étais pas favorable à cette dangereuse camaraderie. Notre Inès qui ne manquait pas, elle non plus, d'imagination, préféra nous raconter que "des types" l'avaient emmenée de force sur l'une de leurs motos pour lui offrir une grande balade. Ce scénario n'étant pas crédible, je n'en crus pas un mot. Maddaléna se fit l'avocate de sa fille, qui, selon elle, ne mentait pas. Quand j'avais opté, stratégiquement, pour aller expliquer ce soi-disant rapt à la police, Inès se décida à dire la vérité.
En fin d'après-midi…
- Monsieur Forestier, c'est très grave, me dit le substitut du procureur.
Je respirais profondément comme pour dire : "oui, peut-être, je ne sais pas…". Je ne saisissais pas la gravité de mes actes. Personne de mon entourage (tout le monde savait) ne m'avait manifesté la moindre désapprobation qui aurait pu me donner matière à reconsidérer sérieusement cette situation anormale sous un autre angle. L'angle du tabou, du respect de la loi, des valeurs morales de la famille, de l'interdit.
- A quelle philosophie vous rapportez-vous, Monsieur Forestier, orientale ?
Je haussai les épaules. Je pensais que le magistrat était bien informé, mais que de s'intéresser à la philosophie orientale, entre autres, ne déterminait en rien le contexte des faits qui m'étaient reprochés.
- Est-ce que je couche avec ma mère, moi ! continua le substitut du procureur, excédé par mon mutisme.
Je haussai de nouveau les épaules, plus éloquemment, signifiant : "je ne sais pas, ce n'est pas mon problème".
- Monsieur Forestier, je vais demander au juge d'instruction de vous envoyer en prison !
Dans le cabinet de Madame Latour, juge d'instruction, Maître Hinault, avocat au barreau, plaida sans conviction pour obtenir la liberté provisoire de son client imposé. Le chef d'inculpation rendait rédhibitoire ma demande de liberté provisoire. J'étais bon pour le dépôt. Mon droit d'entrée pour la taule fut donc signé.
Vingt et une heures… Ecrou à la Maison d'Arrêt.
Chefs d'inculpation :
- viols commis par ascendant légitime
- attentats à la pudeur commis sur mineur de 15 ans par ascendant légitime
- attentats à la pudeur commis sur une personne autre qu'un mineur de 15 ans avec violence, contrainte ou surprise, et ce par ascendant légitime.
Pour cette nuit, inculpé en détention provisoire, je me vis poussé dans une cellule dite d'arrivant, au rez-de-chaussée.
Le lendemain matin, je fus invité à monter au premier étage, accueilli dans une cellule à deux lits superposés, par un retraité, infractant aux moeurs lui aussi, un "pointeur" comme on les surnomme ici, quels que soient le degré et les circonstances des faits. Catégorie où tous les infractants aux moeurs sont arbitrairement mis dans le même sac : attentat à la pudeur ou viol sur majeurs, avec ou sans violence, sur mineure, suivi dans certains cas d'homicides, incestes dont l'enfant concerné est souvent jeune, voire en très bas âge, pédophilie, etc. Bon nombre de délinquants au Q.I. équivalent à celui d'un pithécanthrope lobotomisé, ainsi qu'une coterie de surveillants, justiciers spontanés ou bien-pensants, du genre sociopathes, ne faisant autorité qu'en ces lieux, hurlant, brimant, insultant, menaçant, molestant et terrorisant lesdits pointeurs.
Pour l'heure, n'étant pas encore jugé, je suivais le conseil du Surveillant-Chef : ne divulguer mon chef d'inculpation à quiconque.
Trois semaines plus tard, je reçus une lettre d’Estelle qui rentrait de vacances. Elle était déjà informée sur mon affaire. Je lui avais tout expliqué au sujet d'Inès, un jour, chez moi. Ce jour-là, en admirant les portraits d'Inès accrochés au mur du salon - je les ai retirés ensuite - elle me dit qu'elle ne serait pas à la hauteur, qu'Inès était beaucoup plus belle et plus jeune qu'elle.
Dans sa lettre, Estelle était atterrée. Elle me demandait ce qu'elle pouvait faire pour moi. Elle souhaitait venir au parloir, m'envoyer de l'argent. Elle s'inquiétait de me trouver un bon avocat, etc. Elle m'embrassait tendrement. Je prenais immédiatement la plume pour lui répondre que vraisemblablement nous serions séparés longtemps.
Quelques jours plus tard, une seconde lettre d'Estelle m'annonçait qu'elle ne tenait pas le coup, qu'elle était dépressive et devait consulter un psy.
Trois autres semaines plus tard, ce fut la rupture. Elle avait craqué sous le poids de sa chère soeur et du "bienveillant" juge d'instruction. Elle ne viendrait donc pas et ne m'écrirait plus. Elle n'avait pas la force de vivre ainsi - son éducation bourgeoise stricte et sa culture ne lui permettaient pas de souffrir en attendant des années un homme qu'elle ne connaissait que depuis trois mois. Je respectais sa décision.
Le mois suivant, j'entrepris une grève de la faim insensée qui ne dura que neuf jours. Je souhaitais faire entendre au juge d'instruction ce que je croyais être une injustice. Je n'acceptais pas l'inculpation de viol. Selon moi, il n'y avait pas de viol puisque Inès avait toujours été consentante. J'ignorais encore que devant la loi, une mineure de quinze ans n'est pas reconnue consentante, surtout si les faits sont aggravés par les circonstances que l'inculpé est l'ascendant légitime de la victime. C'était mon cas.
Je commençais à discerner combien j'étais malhonnête et calculateur, mais pas aussi rusé que je pouvais le croire. Mes multiples revirements face au juge d'instruction - tantôt j'étais coupable de tout, tantôt j'étais totalement innocent - démontraient que j'étais toujours un irresponsable, un lamentable lâche et un hypocrite. Madame Latour avait donc décidé d'instruire l'affaire à charge à mon insu. Inès mentait en exagérant les faits, c'était certain, mais c'était peut-être de bonne guerre. Je gérais très mal cela. En excessif que j'étais, j'avais des difficultés à m’en tenir à la stricte vérité. Maintenant que je la disais, la vérité, on ne me croyait plus du tout. C'était on ne peut plus logique.
Après bien des péripéties, je me retrouvais sans ressources. Je devais donc me résoudre à accepter l'assistance d'un avocat nommé par la commission d'office. C'est Maître Hinault, l'avocat qui m'avait assisté lors du débat contradictoire concernant ma mise sous mandat de dépôt, qui fut désigné. Il me rendit visite à la Maison d'Arrêt. A mon grand étonnement, il m'annonça que mon affaire lui plaisait. A ma question sur le quantum de ma peine - ah! le quantum de ma peine, ça, c'était important. La belle affaire ! J'avais abusé de ma fille durant des années, la justice me plaçait devant mes responsabilités, et moi, je questionnais mon avocat sur la quantum de ma peine - Maître Hinault sourit avec agacement. Mon inconscience le mettait hors de lui. Il me répondit avec une certaine désinvolture que je devais compter sur cinq ou six ans. Il aurait pu me dire six mois ou vingt ans, mais j'ai aussitôt compris que parler du fameux quantum n'était pas vraiment de saison ce jour-là. Il avait bougrement raison.
- Ah oui, quand même. Et mon ex-épouse ? questionnai-je à nouveau, sera-t-elle inquiétée ? Parce que jusqu'à présent, elle est passée à travers les gouttes.
Je persistais dans ma grande erreur. Je cherchais encore des responsabilités extérieures. Je tentais sans cesse de m'éloigner de la réalité. Je me confectionnais un labyrinthe dans lequel j'étais sûr de ne pas me trouver. Par le jeu de la comédie et son assortiment de mauvaise foi, de fourberie et de dissimulation, je ne me rendais pas compte à quel point je m'engluais pitoyablement dans la déchéance. Maître Hinault s'en attrista. J'étais en train de le décevoir.
- Celle-là, si elle nous emmerde à la barre, me répondit-il très énervé, je lui tape dessus !
Je compris ce que je devais comprendre. Il n'était pas question d'impliquer Maddaléna dans cette affaire. Car c'était bien de mon affaire qu'il s'agissait, et non de l'affaire de quelqu'un d'autre.
- Et sa complicité, alors ? insistai-je lourdement
- On s'en fout ! Monsieur Forestier, on s'en fout ! Il ne manquerait plus que vous portiez plainte contre elle.
- Bien sûr que non. Non, non, c'est pas ça, c'est juste pour savoir comment se comporter au cas où elle serait accusée de complicité.
J'étais hypocrite à outrance. Je pensais que Maddaléna méritait d'être associée à mon crime, par conséquent associée à ma punition. Il me paraissait injuste d'être le seul accusé. Maître Hinault n'appréciait pas cette détestable façon que j'avais d'aborder le dossier. Mon affaire lui plaisait maintenant beaucoup moins qu'à son arrivée. J'étais décidément trop décourageant, écoeurant.
- Mais, on s'en fout ! Monsieur Forestier.
Par ces simples mots éloquents : "on s'en fout", mon avocat me faisait comprendre à sa manière que j'étais le seul concerné et le seul contraint de répondre de ses actes devant la justice. Je hochai la tête et expirai fortement. Je ne comprenais pas cette façon de préparer une défense, ou plutôt je refusais d'adhérer au schéma de mon défenseur ; un schéma qui m'était présenté comme une stratégie qui ne m'arrangeait pas du tout. Et puis d'ailleurs, qu'étais-je capable de comprendre ? Comment peut-on comprendre un sujet quand on en abstrait l'énoncé?
- Mais votre histoire, moi j'y crois. Ce n'est qu'une histoire d'amour, incestueuse, oui, c'est sûr, mais une histoire d'amour quand même. Une histoire de cul ! Vous aimiez votre fille et elle vous aimait aussi, c'est certain. C'est ce qu'on remarque dans votre dossier. Mais je ne peux pas plaider ça. Pas même le consentement.
- Comment ?
- Non. Il faut être réaliste, Monsieur Forestier. Vous voulez peut-être qu'on plaide l'acquittement, pendant que vous y êtes ?
Je haussai éloquemment les épaules. J'étais doué dans l'art de hausser les épaules. Bien sûr que oui, que je souhaitais plaider l'acquittement. Non coupable, Monsieur le Président. Je suis innocent, Monsieur le Président. Moi, je n'ai rien fait de mal, Monsieur le Président. Ben, voyons ! On aurait aussi pu dire que la victime, c'était moi. On aurait pu changer la plaidoirie en un réquisitoire accusant le charme dévastateur d'une adolescente, ou le don de séduction d'une gamine diabolique qui violait son père !
Quelques jours avant l'audience, Maître Hinault employa un ton nouveau, peu engageant.
- Ecoutez, Monsieur Forestier, votre affaire, elle était intéressante à plaider, j'y croyais. On sait que vous n'êtes pas un voyou, mais… vous avez trop menti. Ils ne vont pas aimer ça. Alors, aux Assises, ne parlez pas. Je ne veux pas vous entendre. Ne répondez que par oui ou par non, en disant la vérité ; la vé-ri-té. D'accord ?
A travers le discours de mon avocat, j'aurais dû comprendre très vite qu'un dialogue était établi au sein des différentes parties de l'accusation, de l'instruction, de la partie civile et de la défense. On attend en fait de moi que je sois honnête. En ne trichant pas, j'aurais pu échapper aux Assises. La possible correctionnalisation de mon affaire avait été évoquée dans la première période de l'instruction. Je n'avais pas été honnête, alors… J'étais mal embarqué.
- Oui.
- Bon… Je vous préviens, ça ne va pas être facile.
Il était huit heures. L'audience devait commencer à neuf heures. J'attendais l'heure "d'entrer en scène". Je m'étais fait une tronche de premier de la classe. Ce qui me restait de cheveux avait été taillé et coiffé façon garçon soigné. J'étais étonnamment calme et confiant. Confiant de quoi ? au sujet de quoi, sur quoi, pourquoi ? Je ne savais pas. Ma tête était vide comme une mansarde abandonnée aux courants d'air.
Huit heures quarante cinq… Maître Hinault apparut devant la porte grillagée. Il me trouva parfait. Il me demanda si ça allait.
J'opinai du bonnet. J'hésitais entre optimisme-confiance et fatalisme. Même ce matin-là je me demandais quel rôle je devais jouer, quelle étiquette je devais coller sur mon comportement, sur le contexte. J'avais toujours besoin de coller des étiquettes sur tout. Chaque personne, chacun de leurs comportements, mon attitude personnelle calquée sur celle de ceux que j'admirais, les choses, les qualifications, les compétences devaient tous être identifiés. Tout devait porter un nom, même l'innommable. Ne sachant point qui j'étais moi-même, je m'étiquetais volontiers de n'importe quelle appellation, pourvu que celle-ci me convint. Je m'apposais une désignation le plus souvent flatteuse et presque toujours inadéquate, pour tenter de me reconnaître. Je me cherchais au milieu de cette gigantesque garde-robe, mon labyrinthe. J'étais animé d'un grand désir de reconnaissance. Je voulais toujours que l'on m'aime, que tout le monde m'aime. Je n'étaie heureux que lorsque l'on me flattait. Un petit coup sur les pompes et le Thibault fonctionnait à la demande dans tous les desseins. Il était rarissime que je déçoive mon interlocuteur futé sous peine de déplaire. Dans ce sens aussi, je séduisais, mais le plus souvent pour y laisser des plumes. Ma grande naïveté, ou plutôt ma grande faiblesse, voire ma lâcheté, ne m'aidaient pas.
Mon avocat avait conversé avec le procureur. Il me confirma que "ça n'allait pas être de la tarte".
- Comment ça ? Vous pensez que je vais en prendre pour plus de six ans ?
- Oh, là, comptez le double !
- Douze ans ! comme votre client d'hier ? demandai-je, renseigné par les agents sur l'audience de la veille concernant une affaire similaire plaidée par Maître Hinault. La fillette avait été violée par son père à l'âge de huit ans.
- C'est comme ça, ce n'est pas moi qui décide.
"Alea jacta est, pensai-je. Pourquoi passer la journée à débattre dans des contradictions, puisque mon sort semble déjà réglé ? Le scénario est écrit par ceux qui en assureront aussi la mise en scène de main de "Maître". Un scénario dans lequel je ne serais autorisé qu'à dire quelques dialogues, des dialogues écrits par les circonstances, les faits, mes attitudes. Ces messieurs et dames les président, procureur, avocate de la partie civile qui se voit déjà empocher les dommages et intérêts, et l'avocat de la défense qui ne perçoit pas d'honoraires motivants, joueront à l'unisson. Il ne manque plus que Mozart pour la musique d'ambiance, son requiem, bien entendu, et le grand rideau de velours rouge s'ouvrant sur les fameux trois coups de brigadier. Le public privilégié, à savoir le jury, devra être conquis à l'issue de l'unique représentation".
Tel était mon état d'esprit, malgré mon crâne vide. Je voyais l'audience de Cour d'Assises comme une pièce de théâtre, une grande mascarade au sein de laquelle tous les acteurs seraient complices pour me châtier injustement. Même si je n'avais pas tout faux en pensant cela, là n'était pas l'essentiel. Ce qui était important, c'était la RÉALITÉ. Je m'inquiétais de savoir ce qu'il adviendrait de mon sort, de ce que l'on ferait de moi, de ce que l'on dirait de ma sérénissime personne. Mon égocentrisme serait servi durant toute cette journée puisqu'on allait parler de moi. Mais mon orgueil, lui, allait en prendre un coup. Je savais que j'allais recevoir une sacrée claque dans la gueule. Je ne serais plus beau. Je ne serais plus un artiste que l'on applaudit. Je n'aurais pas droit au bis du public. Je serais un séducteur, ça oui, mais pas un séducteur du style Clark gable ou Alain Delon, oh que non ! Je serai un séducteur calculateur, diabolique, narcissique et vaniteux.
Le huis clos fut demandé et obtenu par la partie civile. Mon avocat m'avait informé au préalable de cette procédure.
Inès était là. Curieusement, sur elle j'étais incapable de coller une de mes fameuses étiquettes. Qui était-elle aujourd'hui ? ma fille, ma petite fille chérie, une quelconque adolescente, la fille de mon ex-épouse qui avait partagé mon lit, ma petite femme ainsi que je l'avais appelée durant des années ? Je ne savais pas, ne savais plus, pour autant que je l'eusse vraiment su. Pourtant, elle était là, à quelques mètres seulement, grave, triste, mais sûre d'elle.
"Victime ? Mais oui, abruti ! Victime qu'elle était. Elle était ta victime, ta fille, victime de ton irresponsabilité. Ne cherche pas autre chose, ne regarde pas ailleurs. Tu es le seul dans le box des accusés. Tu es ici aujourd'hui, parce que tu as abusé de ta fille. C'est tout".
Inès… Je l'observais subrepticement. Elle paraissait calme. Ses longs cheveux bruns masquaient son beau visage. Elle ne levait la tête que rarement pour regarder seulement en direction de la Cour. Elle ne m'a regardé que deux fois, d'un regard neutre, me sembla-t-il. Je pensais qu'on avait dû lui conseiller de ne point porter son regard sur moi, au cas où elle prendrait pitié, risquant ainsi d'émousser l'esprit de vindicte qu'on lui aurait inculqué depuis le début de l'instruction. Je pensais, je pensais, je pensais mal, très mal. Je pensais à une mise en scène, comme un parano. Scenario, cinéma, encore du cinéma, toujours du cinéma. Et Inès, à quoi pensait-elle ? A se mettre à chanter Si tu vas à Rio en dansant la samba au milieu de la salle d'audience ? Inès, elle pensait aux paroles que prononcerait son père. Aurait-il des mots de regrets, de remords ? Allait-il tout avouer et demander pardon, demander qu'on l'aide à comprendre ? Allait-il au contraire continuer de mentir, de tergiverser, de calculer, de contourner la vérité, de refuser d'accepter la RÉALITÉ… Allait-il assumer ? Inès était évidemment très affectée par le degré de gravité de mon crime dont elle avait pris conscience. Elle aussi était inconsciente à l'époque des faits. Mais elle, c'était normal. N'était-ce pas son papounet qui lui disait que tout cela devait rester dans le plus grand secret, alors qu'elle n'avait que douze ans ? Elle était aussi peinée de ce qui, malgré elle, avait pris des allures de duel par le processus de la justice. Dotée d'une personnalité digne et altière en toute circonstance, Inès apparaissait comme une personne décidée. Elle était dans l'expectative et un peu vindicative, et c'était on ne peut plus normal ; on le serait pour beaucoup moins que cela. Visiblement, elle attendait de voir quelle serait mon attitude face à la justice, face à elle. Son violeur de père serait-il arrogant et innocent, la violant ainsi une fois de plus ? Un autre viol à la face de la société, à la barbe des juges ? Un autre viol dans son coeur, dans son âme ? Peut-être le plus terrible des viols. Nier, l'humilier effrontément, la rabaisser, la mortifier, l'écraser en public ?
Moi, je pensais encore cyniquement qu'elle n'avait pas été malheureuse avec moi. J'étais même persuadé qu'elle avait été heureuse et épanouie. J'occultais la façon dont j'avais failli à mon devoir de père. J'avais joué mon rôle d'amant à la perfection, bravo ! Rôle, Jouer, là était bien mon véritable problème. Jouer, les jouets, les cadeaux, le Père Noël. Durant ma tendre enfance et jusque dans mon adolescence, mes parents de condition modeste avaient l'art de cultiver l'esprit de Noël, la "magie" de Noël. Quand on est pauvre et inculte et qu'on voudrait réussir sans méthode, non seulement on croit à un don éventuel du ciel, mais on éduque sa progéniture dans cet esprit. Le père Noël avait façonné l'enfant naïf que j'étais. Par le travail de mon inconscient, j'ai fini par m'identifier au père Noël. Le père Noël, ce personnage de la plus grande fiction du monde, symbole du plus scandaleux mensonge que l'on puisse faire à un enfant. La houppelande rouge, de ce rouge qui hurle nos émotions. Je suis devenu un père Noël qui aimait faire des cadeaux. Le premier bénéficiaire de mes présents, c'était moi-même. Ne m'ai-je pas offert ma fille en lui offrant aussi… un "hochet" ?
Maddaléna était là également, sur le banc des témoins, le visage décomposé. Elle était terrifiée. Elle me regardait souvent comme pour me supplier de ne pas la dénoncer, comme pour me dire aussi combien elle regrettait d'en être arrivée là, qu'elle était navrée de cet aboutissement dans la honte et la déchéance.
A la lecture de mon curriculum vitae par Madame le Président, des erreurs incroyables me présentèrent comme un fieffé menteur. Commentaires du procureur pour mettre l'accent. J'interpellai mon avocat qui me répondit qu'"on s'en foutait". La présidente continua… J'entendis d'autres erreurs inacceptables. Le procureur attira de nouveau l'attention des jurés sur mes faux mensonges. Pourtant, ce jour-là, je disais la vérité, mais je crois qu'on ne m'écoutait pas. On n'écoute pas les menteurs.
Le premier expert psychiatre appelé à la barre dit que j'étais un personnage doté d'une grande intelligence, mais d'une culture plutôt moyenne, que j'étais calculateur et malhonnête. Qu'outre l'absence d'anomalie mentale ou psychique du sujet, il avait constaté un profond narcissisme, une valorisation de lui-même et une dévalorisation des images féminines, accompagnées de tendances voyeurismes, exhibitionnistes et pédophiliques. En un mot, hormis le terme "pédophiliques", l'expert psy venait d'annoncer tout simplement que j'étais un homme, un homme normal avec un tronc, des membres, une tête et son cerveau. Un homme doté de sentiments et d'un comportement d'homme ressemblant à la majorité des autres hommes de notre civilisation. Le savant psy venait de démontrer que j'étais un homme, mais en s'exprimant avec des mots dont le sens péjoratif me noircissait, m'accablait. Je sais aujourd'hui que tous ces qualificatifs sont utilisés par bon nombre d'experts psychiatres à l'encontre d'un accusé. C'est le costume standard de l'accusé. Les plus grands comédiens honnêtes n'avouent-ils pas être égocentriques, mégalo, exhibitionnistes ? Et le public, "tapi dans l'ombre" n'est-il pas voyeur ? Tous ces millions de gens qui louchent sur les films porno ne sont-ils pas un tantinet voyeuristes ?
L'expert en conclut que j'étais accessible à une sanction pénale. Il ajouta que les risques de récidive étaient exclus, la victime étant maintenant hors d'atteinte. A noter que la Justice reconnaît le très faible taux (1%) de récidive en matière d'inceste. Comment peut-on affirmer qu'un homme que l'on prétend pédophile ne récidivera pas ? Par conséquent, inceste, oui, mais pédophilie : NON ! Messieurs les psys. Mon imagination sexuelle n'a jamais débordé le cadre de l'érotisme. Les centres régulateurs des fonctions sexuelles de mon hypothalamus ne souffrent d'aucun dysfonctionnement. Je n'ai jamais eu de tendances pédophiles et n'en aurai jamais.
Le second expert ne contredit pas son savant collègue. Il ajouta que je n'étais ni alcoolique ni violent. Il parla de l'existence de "pulsions pédophiliques incestueuses" et notait que la faiblesse du sens moral de l'inculpé avait permis le relâchement des tabous incestueux et était un obstacle à une réadaptation efficace. Incohérence, puisque faible taux de récidive, éloignement de la victime dans un contexte différent, son âge adulte, sa personnalité responsable affirmée, mais obstacle à ma réadaptation efficace alors que je n'ai qu'une fille et qu'elle ne se trouvait plus en situation de risque.
En réponse à la question du président concernant ma dépression nerveuse au printemps 19.. à la suite du départ d'Inès, le psy précisa que je n'avais pu souffrir d'une telle pathologie et que le terme employé par mon médecin dont le certificat figurait au dossier, en l'occurrence : "dépression nerveuse réactionnelle et obsessionnelle grave" n'était pas reconnu en psychiatrie. En acceptant ce terme (nuance de la névrose ou de l'hystérie) devant la Cour, l'expert psy aurait laissé subsister un doute quant à l'absence d'anomalie mentale ou psychique de ma personne. Chacun sait qu'un malade mental n'est pas condamnable (art. 64, désormais 122/2). Quelques temps plus tard, l'on me confirmait que mon médecin compétent avait établi un bon diagnostic.
Donc, dépression nerveuse : oui ; maladie mentale : non. L'expert psy n'avait pas eu tort de craindre une mauvaise interprétation du terme médical, mais il n'avait pas eu raison de le contredire plutôt que de l'expliquer clairement. Personne n'avait bien sûr l'intention de plaider quelque anomalie que ce soit. J'étais sain d'esprit et je tenais à le rester, même face à la Justice. Cet élément faisait de moi, à l'insu de tous, un individu responsable sur ce plan-là.
L'expert psy affirma qu'Inès était une jeune fille équilibrée, intelligente, dotée d'une bonne mémoire, que son discours était cohérent et qu'elle n'avait subi aucun traumatisme. Dans l'avenir, on ne devrait pas déplorer de séquelles.
J'interpellai mon avocat pour le prier de dire que je n'étais pas pédophile. Il me répondit d'un haussement d'épaules signifiant que c'était inutile. Je levai la main pour demander la parole. Je réfutai la conclusion de l'expertise qui m'affectait de tendances pédophiliques.
- Je sais, vous aviez d'ailleurs demandé une contre-expertise, mais celle-ci a confirmé la première.
- Oui, Madame le Président, pourtant la seule personne avec qui j'ai eu des rapports alors qu'elle était adolescente, elle n'était même plus une fillette puisqu'elle était réglée, c'était Inès.
J'avais utilisé le terme "adolescente" pour occulter sciemment l'évocation de l'enfance. Cette fois, Inès me regarda à travers ses cheveux. Que pensait-elle ? J'étais encore cynique, je ne sortais pas du contexte, je disais la vérité, mais je parlais mal. C'était normal ; quand on n'a pas l'habitude de la dire, la vérité, on la dit mal, et quand on la dit mal, on ne convainc pas. Comme je ressens aujourd'hui à quel point je parlais mal. J'employais un vocabulaire qui sonnait faux, un langage obscur, sur un ton discordant et peu crédible. J'avais la trouille au ventre. Ce n'étaient pas seulement les années de prison annoncées qui m'effrayaient, c'étaient aussi l'appréhension de la défaite, la mise à bas de mon orgueil, ma déchéance.
Maître Hinault se retourna pour me lancer un regard réprobateur. Néanmoins, je continuais…
-…Elle avait quatorze ans et demi, presque quinze, même si cela ne m'excuse en rien, Madame. Durant toute ma vie, j'ai côtoyé des centaines d'enfants et d'adolescents, garçons et filles de tous âges. Avec eux, j'ai fait du sport, de la musique et du dessin dans des écoles, comme intervenant bénévole, des balades à la campagne, des jeux et coetera et jamais, on n'eut à déplorer la moindre parole tendancieuse ou le moindre geste déplacé de ma part. Parfois, un petit garçon ou une petite fille me donnait la main ou montait sur mes épaules, de même que mes enfants, et jamais je n'ai été effleuré par la moindre idée mal placée, Madame. Je crois qu'à ma place, un pédophile serait passé aux actes, il se serait fait repérer et aurait suscité des plaintes. Inès peut confirmer ce que je dis ; elle était toujours avec moi.
La présidente leva le menton à l'attention d'Inès, qui dit oui de la tête pour témoigner de ma sincérité.
A noter que l'enquête de l'instruction n'avait fait apparaître aucun élément susceptible de m'accuser de la moindre pédophilie.
… J'avais demandé à Madame le Juge d'instruction de convoquer les deux instituteurs avec lesquels j'avais collaboré en classe de CM1 et CM2, pour obtenir leurs témoignages, mais elle a refusé.
Le président fit une moue dubitative et souleva sa main, celle qui tenait son stylo, et dit :
- Je ne vois rien à ce sujet
Je rageais in petto. J'étais seul contre tous. D'accord, j'étais coupable. Oui, j'avais commis le crime de viol selon la loi. Mais au moins, qu'on me juge sans parti pris, sans haine, sur la base de documents et de témoignages justes et incontestables, pensais-je.
En tentant malhabilement de me défendre, je m'exprimais dans un langage trop approximatif. Je me demandais si on m'écoutait et je doute fort d'avoir retenu l'attention de la Cour.
Le président invita Inès à se présenter à la barre. En répondant calmement et avec assurance aux questions qui lui étaient posées, elle ne faisait que confirmer les termes de ses procès-verbaux. Le président lui demanda si elle vivait toujours chez la mère de son ami Django.
- J'habite seulement avec Django, maintenant.
- Vous comptez vous marier ?
- Oui, au mois d'…
- Et vous avez un bébé, je crois ?
- Oui, une petite fille.
- Au sujet de vos rapports sexuels avec votre père, qui était au courant ?
- Personne
- Personne… personne ?
- Non, personne.
Président, procureurs et quelques membres du jury se regardèrent. Certains jurés étaient stupéfaits.
- Et votre mère, et vos frères ?
- Ils ne savaient rien. Quand ça se faisait, ma mère travaillait et mes frères étaient dehors ou à l'école, ou on le faisait dans une salle de sport.
A noter qu'à l'époque évoquée, Maddaléna s'était mise à travailler, mais de manière épisodique, en intérim.
- Et vous, vous n'alliez pas à l'école ?
- Si, au collège
- Bon… Bien… Comment s'y prenait votre père pour vous faire subir ces rapports sexuels ?
- Au début, il me disait que c'était normal entre un père et sa fille et que c'était notre secret
J'avais effectivement évoqué le secret, mais jamais dit que c'était normal entre un père et sa fille.
Je rageais en pensant stupidement que la Cour tentait de présenter Inès comme une attardée mentale. Je levai de nouveau la main. On me donna la parole. Moi, j'étais sûr qu'elle était consentante et tout à fait consciente des faits. Je ne sortais pas de là, obtus que j'étais.
- Madame le Président, Inès savait depuis plusieurs années que je n'étais pas son père géniteur et elle vivait très bien cette situation. Elle était restée avec moi de son plein gré jusqu'à l'âge de dix sept ans et quatre mois. Pensez-vous vraiment que jusque là, elle était ignorante des interdits ? Inès était une jeune fille intelligente, équilibrée et précocement mature ; c'est d'ailleurs ce que confirment les rapports des experts psychiatres, comme nous l'avons entendu ce matin.
Maître Hinault se retourna et me ragréa d'un air que je crus admiratif. Comme j'étais doué, comme je me défendais admirablement bien. Oh ! que j'avais tout compris. Oh ! que n'avais-je même point besoin d'un défenseur tellement j'étais bon. Et j'insistais, et encore une couche…
- A dix-sept ans, une adolescente intelligente sait depuis longtemps ce qu'elle fait quand elle a des rapports sexuels avec un homme, elle sait que si cet homme est son père, ces rapports se font de l'interdit. Elle sait qu'il y a infraction à la loi. Mais pour Inès, je n'étais plus son père à partir de son âge de raison, elle avait une autre vision des choses, Madame le Président.
Bien joué, Forestier, tu les as eus tous, c'est dans la poche. Peut-être même qu'Inès va capituler devant un tel postulat. Mon argument est imparable. Je suis magnifique, pensais-je encore cyniquement.
Le procureur me regarda d'un air positivement étonné, puis il se reprit pour exprimer ostensiblement une moue méprisante.
Monsieur Forestier s'évertue à convaincre la Cour qu'il a bien agi en informant la fillette de sa non-paternité biologique, lança-t-il
Le président me demanda quel âge avait Inès quand je lui avais annoncé le fait. Je répondis évasivement qu'elle avait l'âge de raison et jusqu'à cet âge-là, je la considérais comme ma fille au même titre que nos quatre garçons. Le procureur intervint en demandant au président de poser la question à l'accusé de savoir ce qu'il entendait par "l'âge de raison". Je répondis que cela dépendait de l'évolution psychique et mentale de l'enfant, que d'une manière générale c'était vers onze ans. Curieusement, le président et le procureur semblaient satisfaits de cette réponse, et si cette réponse me refait cohérent dans les faits, elle me présentait comme guère plus instruit sur ce sujet que lesdits magistrats. L'âge de raison, si l'on en croit le Petit Larousse, est l'âge auquel les enfants sont censés être conscients de leurs actes et des conséquences de ceux-ci. Quant au Robert, sa définition est la suivante : L'âge de raison est l'âge auquel on considère que l'enfant possède l'essentiel de la raison, environ sept ans. D'après une grande psychanalyste, c'est aussi sept ans.
Je continuais…
…Eh bien, elle devenait de plus en plus câline. Et puis elle est devenue une adolescente, une jeune fille. A treize ans, elle m'embrassait sur la bouche. Elle appelait ça des pieux. Et quand elle a eu quatorze ans et demi, ben.. on a dépassé les normes…
J'avais cru subtil d'employer le "on" en pensant démontrer intentionnellement la complicité de ma fille.
L'avocate de la partie civile intervint. Elle expliqua savamment qu'on ne devait pas révéler à un enfant que son père n'est pas son père. Le procureur et le président approuvèrent. Le président me demanda ce que j'en pensais.
Madame le Président, mon épouse et moi pensions bien faire en informant Inès sur la vérité quand elle avait onze ans. J'ai préféré ôter toute ambigüité car ce ne fut pour elle qu'une confirmation ; on s'était déjà chargé dans le voisinage de la mettre au courant. Elle m'avait même répondu par la suite qu'elle s'en fichait, qu'elle n'avait pas besoin de père.
Inès était de nouveau entendue. Cette fois, sur les détails des rapports sexuels. Je fus questionné également. La victime et l'accusé se retrouvèrent quasiment à poil, évoluant au milieu d'un public pervers, comme dans un théâtre porno. L'audience se déroulait à huis clos, cependant on pouvait compter une bonne vingtaine de personnes dans la salle. La Cour souhaitait entendre Inès raconter comment elle subissait les assauts de bête sauvage, mais elle sut simplement expliquer la manière dont nous faisions l'amour. A la question sur les positions que je lui demandais de prendre, elle répondit :
Normales
Le Président insista pour entendre Inès décrire au moins une position qui aurait pu lui être particulièrement répugnante ou pénible, qu'elle récuse si j'avais été brutal. Elle répondit que non. L'acte sexuel lui était-il désagréable ? Elle répondit que non. J'avais dit à l'instruction que nous pratiquions souvent la position "???" parce que c'était sa préférée, était-ce vrai ? Inès répondit que oui. Interrogé à mon tour, j'avouai avoir eu des attouchements "réciproques" (ça évoquait la complicité) avec ma fille légitime alors qu'elle avait onze ans et demi, mais je niais à juste titre les fellations à ce même âge (Inès mentait sur ce point).
Inès avait refusé et je n'avais pas insisté, ce n'est que plus tard, quand elle avait treize ans et demi qu'elle avait commencé. Oui, je sais, ce n'est pas bien non plus, me défendis-je, mais elle n'acceptait pas l'éjaculation dans sa bouche, ce que je respectais.
L'officier de police principal Grafaud fut appelé à la barre. Après les formalités d'usage, on entendit que je m'étais rendu sans histoire au commissariat pour répondre à une convocation, que j'avais eu un bon comportement lors de la garde à vue. Le policier dit que j'avais avoué spontanément. Ce dernier élément n'était pas exact. Trois semaines plus tard, je sus la raison de ce petit mensonge, mais je n'ai pas à évoquer ces éléments qui ne concernent pas mon dossier d'inceste. Je peux dire simplement que le policier fit un témoignage qui m'a conduit à interjeter un pourvoi en cassation. Je me suis désisté ensuite, à tort. Mais c'est une autre histoire.
Maddaléna était plus terrorisée que jamais. Je remarquai que son visage était déjà bien bronzé alors que l'été n'était encore qu'un projet. Il y a des détails comme cela qui ne vous échappent pas, même dans les circonstances les plus graves. Mon ex-épouse me sembla lointaine, petite et vulnérable. Je craignais pour elle. N'avais-je pas avoué à l'instruction qu'elle était au courant de tout ? Ce que je commençais à regretter en ces lieux.
A la question sur mon comportement à la maison, Maddaléna répondit que j'étais autoritaire, possessif avec Inès et très jaloux, mais que j'étais un excellent père pour tous nos enfants, que je les soutenais bien dans leur scolarité, leur culture générale, et leurs activités sportives, étant très sportif moi-même, que je les emmenais partout, à la mer, à la campagne, etc.
Le président demanda à Maddaléna de donner quelques détails concernant cette jalousie. Maddaléna évoqua avec la plus grande justesse ma jalousie vis-à-vis d'Inès. Elle dit que j'acceptais très mal que notre fille s'attarde après ses cours au collège, que j'étais soupçonneux lorsqu'elle restait à discuter avec des garçons, que je l'interrogeais pour savoir avec lesquels elle couchait alors que je savais pertinemment que rien de ce genre ne se passait. Maddaléna était très tendue, nerveuse, mais elle disait vrai. J'avais effectivement tyrannisé ma fille. J'avais possédé son corps et son esprit. J'étais donc possessif. N'est-ce point là une forme de violence ? Le Président demanda à Maddaléna ce qu'elle savait de nos rapports incestueux.
- Oh ! ben moi, je suis au courant de rien. J'ai rien vu, répondit-elle fébrilement
- Si, vous savez depuis le début de l'instruction !
- Ah ! ben oui ! ça oui.
J'avais entendu dire qu'il fallait assister à une audience en justice pour entendre le plus grand nombre de mensonges autant que d'éclatements de vérités. J'en avais la confirmation sur le premier point.
Maddaléna mentait et je rageais encore. Elle mentait comme elle m'avait menti aux premiers jours de notre complicité amoureuse. A cette époque, elle m'avait juré qu'elle était vierge. J'avais dix-huit ans à peine et pour le garçon naïf que j'étais, débarquant tout juste de sa campagne, la virginité de son premier amour, c'était important. Cette virginité, je l'ai trouvée en la personne d'Inès. Ce sacré inconscient m'aurait-il conduit à une sorte de revanche ? Etais-je animé de ce désir impérieux d'être le premier, de posséder un jour une femme totalement, d'en avoir l'exclusivité ? J'observais Maddaléna dans le prétoire. A ce moment, je souhaitais que l'on fasse son procès, à elle aussi, qu'on l'accuse de complicité de viol. Mais, incohérent que j'étais, je ne souhaitais pas qu'on l'envoie en prison.
J'avais toujours cette satanée tendance à me déculpabiliser en rejetant mes responsabilités sur des tiers, mais je souhaitais néanmoins que ceux-ci soient épargnés. Point de coupable, en somme. J'oubliais qu'il n'y avait qu'un seul accusé dans le box, et que cet accusé, c'était moi. J'oubliais encore qu'il n'était question que d'un seul jugement, le mien, que c'était de moi qu'il s'agissait… de moi seul.
- A l'instruction, l'accusé a dit que vous dormiez dans le lit de votre fille, pendant qu'elle dormait avec lui ? continua le Président.
- Non, ça n'est pas vrai. Moi, j'étais au courant de rien.
- Et vos fils non plus ?
- Non
- Bon… C'est effectivement ce qu'ils ont dit à l'instruction.
Ca, c'est normal, David et Mathieu étaient déjà majeurs sur la fin l'époque des faits. On a dû bien les conseiller ; je comprends cela et c'est tant mieux. Pourtant, j'avais dit stupidement au juge d'instruction que mes fils savaient. David avait même traité plusieurs fois Inès de salope et Mathieu m'avait dit un jour : "C'est drôle ça, avec Inès, elle est bizarre quand même la vie chez nous. On a une drôle de famille, nous". Mes pauvres garçons magnifiques qui n'ont jamais souhaité évoquer ces instants de honte ; comme on peut les comprendre.
Le Président demanda à Maddaléna si elle était au courant de l'interruption volontaire de grossesse de sa fille à telle date - Inès avait seize ans et huit mois. Maddaléna répondit qu'elle n'en avait pas été informée. Là, j'avoue que j'ignore si elle savait ou pas.
Mes trois amis, témoins de moralité, jurèrent à tour de rôle qu'ils ignoraient la nature des rapports existant entre Inès et moi. Ils mentaient eux aussi. La majorité de nos amis savaient, mais ils ne s'aventuraient jamais à émettre le moindre commentaire, hormis Pierre, le patron hypocrite du cabaret le Café des Artistes qui disait souvent : "Qu'ils sont mignons tous les deux, on en mangerait. Quand on voit la Inès, Thibault n'est pas loin et quand on voit l'Thibault, la taupe suit itou !" (Inès : la taupe à cause de ses récentes lunettes) Et son amie Karine d'ajouter : "Moi, ça m'fait toujours drôle de les voir tout le temps ensemble, c'est marrant". Il est vrai qu'un soir d'euphorie, force rosé de Provence gouleyant, je m'étais laissé aller à raconter ma vie de couple avec Inès, à ces deux-là.
Lorsque Inès était au collège, jusqu'à quinze ans et demi, elle souhaitait toujours m'accompagner dans tous mes déplacements. Quand nous vivions en situation de concubinage, elle était jalouse, elle aussi, de mes fréquentations féminines, surtout lors de mes prestations en cabaret.
Un jour que nous étions invités, ensemble comme d'habitude, chez des amis et y restâmes pour dormir, nos hôtes n'avaient "naturellement" pas eu l'idée de nous séparer pour la nuit. Aucun obstacle ne se dressait devant l'accomplissement de mon crime. Personne ne faisait la moindre allusion à notre couple quasi officiel. Incroyablement, à tous je m'étais vanté de cette situation. J'en étais plutôt fier. J'étais serein puisque personne ne s'autorisait à m'interpeller amicalement pour me mettre devant mes responsabilités et me démontrer mon inconscience. Pour moi, ça roulait donc au poil. On peut être étonné du silence de mes amis, dont la plupart étaient des gens très responsables, intelligents, voire cultivés. Ils travaillaient dans l'administration, le paramédical, le commerce ou l'hôtellerie. Aucun d'eux ne m'écrit, c'est normal, les gens honnêtes n'ont rien à voir avec un violeur. Ils sont très surpris de ce qui m'arrive, forcément, ben voyons !
Sur les douze personnes amies appelées par mes soins à témoigner, trois seulement furent retenues par maître Hinault. Il prétendait se méfier des amis à la barre. Sur ce point, je ne lui donne pas totalement tort. Seul, Patrick le quatrième "ami" avait été convoqué par la partie civile. A la barre, il dit que j'avais la grosse tête, que je me prenais pour une star. Il dit qu'une fois, Inès s'était plainte à lui d'avoir été violée par moi dans la baignoire et frappée avec la pomme de douche. Inès avait vraiment raconté cette histoire, un gros mensonge qui m'étonne encore aujourd'hui. Ce jour-là, elle s'était rétractée aussitôt en présence du témoin, en disant qu'elle ne savait pas pourquoi elle avait inventé cette histoire. N'était-ce pas une recherche de repère ou d'un conseil avisé, un appel au secours ? J'avais moi-même évoqué spontanément cet épisode à l'instruction. Je savais aussi dire la vérité. Cela se retournait contre moi, mais n'y a-t-il pas une logique dans tout cela ?
Après leurs mensonges qui les dissociaient du crime, les trois témoins de moralité crurent redorer un tantinet le blason bien terni de leur ami accusé. Mais que de maladresses. Je fus dépeint comme un homme plutôt mystérieux dont on n'arrivait pas toujours à discerner l'humour du sérieux. J'étais reconnu comme ayant des qualités. J'étais un grand séducteur (ça, c'était pas bon), un véritable épicurien vivant au jour le jour, plus pour les bonnes choses de la vie que pour le travail. Puis, Annie, l'institutrice trop bavarde, continua… Elle faisait abstraction de la présence de son époux. Elle dit qu'on avait failli partir ensemble en tournée en Pologne, avec la troupe folklorique dont elle était membre. Son mari n'était pas intéressé par ce voyage, et puis il y avait leurs filles à garder. Elle ajouta que si je l'avais accompagnée, on aurait fait des bêtises.
- Des bêtises ? reprit le Président
- Eh bien oui, des bêtises, enfin vous voyez ce que je veux dire, moi, j'aurais craqué.
Le mari fit les gros yeux et me regarda d'un air ahuri. A son tour, il raconta que c'était sa femme qui m'avait présentée à lui. Elle m'avait rencontré au Café des Artistes où elle venait me voir chanter. Lui, me connaissait assez peu, bien qu'Inès et moi furent invités à dîner un soir sous son toit. Ce soir-là, j'avais été prié d'apporter ma guitare. Inès m'avait accompagné pour une petite prestation conviviale avec le vieil orgue électronique des filles de nos hôtes. Mon ami dit qu'il m'avait trouvé très sympathique, chaleureux, très talentueux, mais beau parleur. Il avait raison sur ce dernier point.
En effet, j'étais un beau parleur, une espèce d'enjôleur mal dans ses baskets de fils d'ouvrier. Je pensais qu'en utilisant la parole - la magie des mots - tout me serait permis, que le monde m'appartiendrait. J'avais acquis la conviction que la faconde et la rhétorique étaient le bagage essentiel de la réussite. En évoluant dans la comédie humaine, j'improvisais mes dialogues au diapason des circonstances. J'étais un opportuniste qui aurait sans doute pu faire carrière en politique. Je possédais l'essentiel pour cela. Il ne me manquait que des convictions, la sécheresse de coeur et un minimum d'études à Sciences Po ou à l'ENA.
Je remarquai une larme au coin de l'oeil droit de Mélanie. Elle me fit un tendre sourire. Je lui répondis de même. Mélanie tint des propos dithyrambiques à mon égard. Elle évoqua nos bons moments passés à faire de la musique, les répétitions, les spectacles dans lesquels elle m'accompagnait au clavier. Le Président lui demanda si elle était amoureuse de moi.
- Ben… J'sais pas… un peu quand même.
- Un peu quand même. Vos relations avec Monsieur Forestier étaient seulement amicales ou plus intimes ?
- Non, non, euh… on était amis
- Et vous dormiez chez lui ?
- Oui
- Quel âge avez-vous ?
- Vingt-trois ans.
- A cette époque, vous aviez donc vingt et un ans ?
- Oui.
Le procureur intervint.
- Là non plus, on n'est pas dans le troisième âge !
Je sollicitai la parole sous le regard tueur du procureur. Je demandais au Président de faire dire au témoin, Mélanie, qu'elle avait pu constater les visites régulières d'Inès chez moi, durant le mois de son départ, après être partie habiter chez sa mère, là où l'attendait son nouveau bon ami Django. Décidément, je ne ratais pas une occasion d'évoquer le consentement d'Inès. Je m'escrimais maladroitement et toujours avec ce fameux cynisme, à faire entendre qu'on était dans une histoire d'amour, une histoire de couple ordinaire. Mélanie répondit qu'elle voyait effectivement Inès chez moi à cette période précise ; ce que contestait l'intéressée, principalement vis-à-vis de Django, surtout que la future belle-mère assistait aux débats. Il est évident qu'Inès n'aurait jamais avoué qu'elle se plaisait dans mes bras et appréciait beaucoup de partager ma couche. J'étais persuadé qu'elle était heureuse avec moi, qu'elle vivait avec moi par amour et rien ne pouvait me convaincre du contraire. Il était compréhensible que Django ne comprendrait ni n'accepterait cette révélation. Je pensais à cette phrase dont j'ai oublié l'auteur : "Pour se défendre, les hommes sont prêts à tout, y compris à accabler ceux qu'ils aiment". Donc, Inès, qui ne pouvait assurément que m'aimer, ne mentait que pour sauvegarder son couple et son honneur. J'étais mauvais psychologue. Je ne voyais que les choses que dans le sens où elles correspondaient à mon optique.
Maître Hinault se réveilla. Il demanda de faire revenir Inès à la barre et l'interrogea avec la plus grande courtoisie.
- Mademoiselle Forestier, vous aviez quitté votre père pour aller vivre chez votre mère qui habitait à seulement cinquante mètres, n'est-ce pas ?
- Oui
- C'était le (date) n'est-ce pas ?
- Oui, c'est ça, répondit clairement Inès qui ne semblait pas troublée outre mesure : les psys n'ont-ils pas évoqué sa personnalité équilibrée et sa très bonne mémoire ?
- Bien… C'est depuis le mois d'… 19.. que vous connaissiez déjà votre ami Django que vous aviez rencontré, justement, chez votre mère, je crois ?
- Oui, c'est ça.
- Et malgré le fait d'avoir un nouvel ami, en quelque sorte un fiancé, n'est-ce pas ?
- Euh…oui
- Eh bien, vous êtes restée chez votre père jusqu'en (mois) et ensuite vous veniez le voir, mais pourquoi pas ?
- Non, j'allais pas le voir, répondit Inès, qui dissimulait admirablement son embarras. Elle jeta furtivement un regard sombre dans ma direction.
- Si ! Tu es revenue pendant tout le mois de…, en cachette de ta mère et de Django, lui lançai-je.
Le président me conseilla impérativement de m'adresser à la Cour. J'insistais sur une période qui visiblement n'intéressait ni la Cour, ni le ministère public, ni la partie civile, ni mon avocat. Ce dernier de faire semblant de me défendre mais sur un pont dérisoire.
…Elle s'arrangeait pour venir quand sa mère travaillait, soit le matin, soit l'après-midi, en alternance chaque semaine, continuais-je à l'attention du président.
Puis je demandai qu'on rappelle le couple de témoins à la barre. Mes amis confirmèrent que c'était bien dans le courant du mois concerné qu'Inès et moi étions allés dîner chez eux. J'étais décidément très fort. Il ne me manquait que la robe et les effets de manche. J'étais l'élite du barreau. J'avais tout compris sur la manière de mener une défense. J'étais infâme, grotesque, pitoyable… à jeter. Inès continua de nier le fait. Mais quelle importance. Django devait absolument ignorer cela aussi. Inès avait dû, ce soir-là, solliciter la complicité de sa mère en lui demandant de ne rien dire à Django. En rentrant vers minuit, elle avait accepté de monter chez moi pour boire un dernier verre et faire l'amour.
Je venais d'insister sur un point qui n'était pas pris en compte par la Cour. Je m'évertuais à évoquer tous les éléments de l'affaire en espérant minimiser ma culpabilité. Je culpabilisais Inès en prétendant qu'elle savait ce qu'elle faisait quand elle couchait avec moi, à l'époque de ses seize ans et dix sept ans. J'ignorais que j'étais jugé essentiellement sur les faits d'abus sexuels perpétrés sur mineure de quinze ans. La Justice ne s'intéressait pas à autre chose. Moi, je fuyais le vrai problème, comme j'avais toujours fui la réalité, comme je m'étais toujours fui moi-même.
Le procureur se chargea de recadrer les débats, en ne parlant que de viols sur mineure de quinze ans, d'abus sexuels sur une petite fille par son père légitime. Dans l'essentiel de son réquisitoire, il me tailla un costume de pied en cap avec les cornes, les canines, les griffes et la longue queue du diable. Là, je ne choisissais plus mon personnage, on me l'imposait. J'étais Méphistophélès, un artiste marginal gauchiste qui écrivait des chansons sur la drogue, un escroc, un être diabolique qui avait accepté d'accueillir en son foyer et donné son nom à la victime dans l'intention d'en faire un jour son objet de plaisir. J'étais un individu pervers, un mauvais père incestueux et pédophile. Le magistrat accusateur admit que je pouvais bénéficier des circonstances atténuantes. Il requit une peine de dix années d'emprisonnement.
L'avocate de la partie civile ouvrit un livre traitant de la psychologie enfantine. Elle évoqua les traumatismes et séquelles graves que peuvent entraîner des sévices sexuels sur une fillette. Elle sut illustrer admirablement comment une femme pouvait souffrir plus tard de ces sévices et viols perpétrés par un père violeur. Elle expliqua comment la vie sexuelle d'une femme violée dans son enfance pouvait être annihilée et rendre impossible toute notion de couple dans la norme. L'excellente avocate d'Inès, que j'aurais préféré avoir dans mon camp, évoqua les frigidité, névrose et autres pathologies découlant de viols.
Puis Maître Hinault "plaida".
- Nous savons tous ici que les circonstances de viols aggravés commis sur une mineure de quinze ans par ascendant légitime ne permettent pas d'envisager le consentement de la victime. Par conséquent, je n'irai pas à l'encontre de Monsieur le Procureur sur ce point.
"Bravo ! mon bon défenseur, pensais-je sottement, tu commences très fort".
- … Il est vrai que le portrait que vient de brosser le ministère public de Monsieur Forestier n'est guère reluisant, il est même plutôt sombre.
Je pensais encore : "C'est bon mon grand, continue, pour un ténor tu me parais plutôt enroué, abruti !" J'interpellai donc celui que je considérais comme mon déconneur d'avocat. Il se retourna en colère dans un effet de manche éloquent, signifiant : " Ta gueule ! c'est moi qui parle et je dis ce que je veux, tu n'avais qu'à pas faire le con !" Il avait bougrement raison. Maître Hinault reprit sa plaidoirie.
- … Néanmoins, en seconde partie de mon intervention, je tenterai de vous présenter mon client sous des aspects moins noirs, voire plus acceptables.
En fait, Maître Hinault fut très bref et pas vraiment plaidant. Il évoqua curieusement l'affaire de la veille dans laquelle il avait aussi plaidé. J'étais un peu déphasé, mais dans un éclair de lucidité, je me demandais si cette évocation n'était pas une sorte de code à l'intention du président ou un message destiné aux jurés à leur insu (?). Je devais être en proie à une crise de paranoïa aigüe, ma parole ! L'avocat de la défense conclut sa pseudo-plaidoirie en demandant à la Cour d'accéder à la demande du procureur, à savoir : accorder les circonstances atténuantes à son client. Il occulta, involontairement ou volontairement, la fameuse deuxième partie qui devait consister, selon ses propres termes, à me présenter sous des aspects moins noirs, voire plus acceptables. Mais qu'est-ce qui pouvait motiver un avocat à défendre un individu de mon acabit ce jour-là ? Rien, évidemment. Non seulement j'avais préalablement saboté sa plaidoirie, comme l'on verse du poivre sur un gâteau de riz, mais je l'avais aussi fait passer dans le camp adverse. Ca, il fallait quand même le faire. Changer son défenseur en procureur. N'étais-je point magicien ? Vraiment, comme je ne suis pas fier aujourd'hui.
Le Président me demanda si j'avais quelque chose à ajouter. Je répondis que non en pensant le faire juste avant les délibérations. C'était l'heure des délibérations… idiot que j'étais.
"Accusé, levez-vous".
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la Cour avait répondu aux questions suivantes:
- L'accusé est-il coupable d'attentats à la pudeur sur mineure de quinze ans par ascendant légitime ? La réponse fut Oui
- L'accusé est-il coupable de viols par contrainte, violence ou surprise sur mineure de quinze ans par ascendant légitime ? La réponse fut Oui
- L'accusé est-il coupable de viols sur une autre personne qu'une mineure de quinze ans et ce par ascendant légitime ? La réponse fut Oui
- L'accusé peut-il bénéficier des circonstances atténuantes ? La réponse fut Oui.
- En conséquence, la Cour condamne l'accusé à une peine de douze ans de réclusion criminelle. Monsieur Forestier, vous disposez d'un délai de cinq jours pour vous pourvoir en cassation.
Je ne réagis pas. Je n'étais pas vraiment étonné. Maddaléna me regarda. Que pensait-elle ? Inès aussi m'avait lancé un bref regard, un regard que j'étais incapable d'interpréter. Soudain, il me vint à l'esprit que j'avais omis de demander pardon à ma victime. N'étais-je point médiocre ?
- Inès, je te demande mille fois pardon. Je veux que tu sois heureuse et tu le seras, même si c'est sans moi.
Là, je supplantais messieurs Racine, Shakespeare et Victor Hugo réunis. "Mille fois pardon", alors qu'une seule fois et au moment opportun aurait peut-être été entendu.
Mélanie avait les larmes aux jeux. Mon avocat était écoeuré. Moi qui n'avais jamais bien su qui j'étais, à cet instant, je n'étais plus rien, ni pour les autres ni pour moi-même. Je gravitais dans un espace temps intemporel, dans les abysses d'un océan d'incompréhension et d'inconscience.
Lors de l'audience civile, l'avocate reprit les arguments de sa plaidoirie d'assises et demanda la somme de cent cinquante mille francs pour les dommages et intérêts. La Cour lui accorda cent mille francs. "La Justice ne serait donc qu'affaire de fric ? Un chèque de cent mille balles et tout le monde semblait satisfait ? Quelle chienlit !" pensai-je, amer et toujours irresponsable et cynique. Je pensais aussi que tout était maintenant réglé. J'avais fauté et rendu mes comptes à la société, comme on dit. Justice était rendue. Mais, j'établissais cette conclusion hâtive, sans compter sur le travail mental que j'opérerai toutes ces années suivantes.
Et pour Inès, était-ce terminé ? Il semblerait évident de répondre oui à cette question. Eh bien, il s'est avéré que pour moi, ce fut NON ! L'on ne peut se méprendre sur ce non.
Ces pages qui semblaient tournées : crime, dépôt de plainte, instruction puis procès, ne l'étaient pas forcément pour Inès. Ma fille avait été abusée sexuellement par son père. Elle fit juger et condamner ce père indigne et criminel. Tout devait donc être terminé et il fallait désormais vivre avec ces terribles cicatrices en essayant peut-être d'oublier, d'une certaine manière. Mais tout cela s'était-il terminé justement, je veux dire en toute justice ? Non.
Je ne parle pas de la Justice pénale, puisque justice fut rendue dans le cadre de la loi, mais de la JUSTICE. Inès vit-elle avec le sentiment d'avoir été réellement victime ? Moi, le coupable, j'ai commencé à me poser cette question quelques semaines après le procès. Ce n'est pas le système judiciaire que je mets en cause présentement - je l'ai déjà évoqué, le fonctionnement de la justice mérite un chapitre sans concession, voire un ouvrage complet, mais ce n'est pas mon propos dans ces pages. La loi condamne très sévèrement les violeurs sur mineur de quinze ans. Le code pénal dit : dix à vingt ans d'emprisonnement. Non, le système que je réprouve aujourd'hui, c'est le mien, mon comportement irresponsable et cynique. Ma conduite scandaleuse et honteuse à partir du jour de mon inculpation jusqu'à l'heure du verdict est une véritable avanie, une seconde série de viols. En excluant ma culpabilité, j'ai continué d'abuser de ma fille. En l'insultant sous la forme de mes revirements et de mes allusions, en l'humiliant de mes contradictions et mensonges, je lui ai fait violence de nouveau.
J'ai continué de violer ma fille en public face à la justice. Si je ne signe pas comme pervers sexuel, à juste titre, en revanche, je revendique une forme de perversion durant toute la période de l'examen de mon dossier et pendant l'audience de Cour d'Assises.
Quatre jours me furent nécessaires pour assimiler le quantum de ce que je pensais être une trop lourde peine. Recouvrant peu à peu ma lucidité, je revivais chaque instant du procès, de l'instruction et de tous les détails des faits qui m'avaient conduit en prison.
Je prenais enfin conscience de mon crime, mais je restais convaincu d'avoir été trop sévèrement puni. Je rédigeai un recours en grâce manuscrit de huit pages à l'attention de Monsieur le Président de la République. Quelques semaines plus tard, je reçus du Ministère de la Justice le rejet de mon recours en grâce qui m'était signifié en termes laconiques. Entêté, je m'adressai au bâtonnier pour lui solliciter un avocat d'office. Je reçus très rapidement une réponse avec un nom. Je contactai aussitôt l'avocate nommée.
Maître Marbot ne pouvait être nommée d'office pour m'assister dans un recours en grâce. Elle m'accorda la gratuité de son intervention. Curieusement, ce geste pas banal me réconcilia avec la notion de justice - mais pas nécessairement avec le système judiciaire - et provoqua un déclic quelque part dans mon esprit. Maître Marbot vint me rendre visite plusieurs fois en ayant au préalable bien relu mon dossier qu'elle semblait effectivement bien connaître. J'en fus très étonné, presque flatté. Je l'écoutais attentivement. Elle était très interrogative au sujet du silence concernant Maddaléna. Elle ne comprenait pas que la mère d'Inès soit passée entre les mailles du filet. Je dis bien : elle ne comprenait pas, sans allusion. Je lui bredouillai que si mon épouse avait fait cesser le crime au lieu de laisser sa fille lui succéder dans le lit conjugal, j'aurais sûrement pris conscience de la gravité des faits et le crime aurait vraisemblablement cessé. Maître Marbot qui m'avait écouté attentivement pensait que je n'avais pas tort, mais qu'il serait très mal venu d'attaquer mon ex-épouse. Maître Marbot accepta de rédiger une formulation de recours en grâce en bonne et due forme. Ce recours fut également rejeté.
J'ai pris l'initiative difficile et délicate d'écrire ces pages en forme de confession. Jamais encore, je n'ai pu trouver une personne suffisamment attentive, hormis mon psychanalyste, à qui parler, à qui me confier. Mais mon psy ne m'écoute que dans un cadre professionnel. Le psychanalyste est à la place du mort, dixit un psy écrivain.
Peu importe sur le fond d'utiliser ou pas un pseudonyme, ce qui compte pour moi c'est de parler tout haut pour que l'on entende enfin un père incestueux. Mais que l'on m'entende, sans que ni ma famille ni mes amis ne soient montrés du doigt. J'évoque mon cas dans l'espoir que beaucoup de pères incestueux se reconnaîtront et que d'autres, en mauvaise passe de le devenir, réagiront avant qu'il ne soit trop tard. Que puis-je espérer désormais ? Faire bien prendre conscience - sans aucune prétention - à ces pères incestueux, des graves dommages souvent irréparables que peuvent engendrer les crimes d'inceste. Un père qui a des relations incestueuses ou qui se trouve en situation d'en avoir, doit savoir que ce n'est pas normal, qu'il met son enfant en danger. Il doit prendre l'initiative de consulter au plus tôt et accepter les éventuelles mesures de prévention qui seraient prises pour protéger son enfant et pour le bien de son entourage familial, ainsi que pour lui-même.
Depuis quelques mois, je me livrais seul à une auto-analyse. Je parvenais à faire tant bien que mal ressortir quelques-uns des traits de mon caractère, à mettre au grand jour quelques-uns de mes sentiments profonds et inconnus de ma conscience. Je prenais conscience de certains mauvais penchants qu'il me fallait accepter de bonne grâce. Mais ce travail d'investigation personnel, s'il se révélait positif, s'avérait néanmoins insuffisant. Je me dispersais ou prenais de mauvais chemins qui, ou bien m'égaraient, ou bien ne me conduisaient à aucune solution concrète. Un jour j'ai ressenti qu'une aide extérieure me devenait indispensable. A la Maison d'Arrêt, j'avais pu obtenir un entretien avec un psychiatre. Le docteur qui m'écouta longuement m'expliqua que si j'avais été atteint de légères tendances pédophiliques, celles-ci n'étaient guère plus développées que celles qui sont enfouies au plus profond de chaque individu, que cela ne faisait pas de moi un pédophile, que d'ailleurs rien dans mon dossier ne permettait de tirer de telles conclusions. Il me précisa qu'un père incestueux n'était pas nécessairement un pédophile. Il ajouta que je n'étais pas pervers et qu'on ne pouvait me reconnaître aucune pathologie particulière. Je restais perplexe, plutôt réconforté du point de vue de mon état mental, mais perplexe. Ma première victoire était d'avoir admis que j'étais incestueux, que ma non-paternité (non-consanguinité) ne devait en aucun cas constituer un motif de minimisation de mes responsabilités. Inès était ma fille légitime, j'étais son père, j'étais incestueux. Je suis donc un PÈRE INCESTUEUX… point. A partir de cette réalité enfin reconnue, j'allais pouvoir accéder à la compréhension. J'allais pouvoir "ramener à ma conscience des sentiments obscurs ou refoulés", dixit mon psy, en respectant la règle du tout dire.
De la Maison d'Arrêt, je fus transféré dans un Centre de Détention. Les surveillants y ont un comportement quelque peu différent de leurs collègues de là-bas. Ils ne sont pas apparemment vindicatifs envers les détenus de ma catégorie. Certains sont suivi une formation pour oeuvrer à la réinsertion des détenus. Ils sont plutôt sympa, selon le comportement de l'individu-détenu. On rencontre ici des pervers de tout poil, des schizo, parano, mystico, mytho et tutti quanti. J'y croise des analphabètes de tous âges, des hypochondriaques prostrés et dépersonnalisés dans l'assistanat, des zombies hagards attendant l'heure de la fiole salvatrice, des immatures qui s'auto-infantilisent, quand ils ne sont pas en train de "s'emboîter comme des Lego" dans leur cellule aux relents d'alcôve. En ce qui me concerne, je ne me suis pas réfugié dans l'homosexualité, une homosexualité qualifiable en ces lieux de perverse, même si elle pourrait y être considérée comme "hygiénique" pour des types condamnés à de très longues peines. Une perversion qui est la conséquence d'une vie carcérale dans un univers de mâles incapables de maîtriser leur libido. On ne peut que déplorer dans ces conditions un manque total de respect de soi. Pour l'anecdote, certains disent ici que les trois quarts des mecs s'enculent parce qu'il n'y a pas de chèvres en taule. On voit aussi des indigents se prostituer pour une boîte de Ricoré. Heureusement - je vous rassure un tantinet - il y a une vingtaine de gars normaux, sur un effectif de quelques centaines de bonshommes. Dans ce grand jardin où la "narcisse" fleurit abondamment en toute saison, le taux de condamnés pour moeurs atteint près de soixante quinze pour cent de la population pénale. Ce taux est composé d'une majorité d'abuseurs sexuels intra-familiaux. Cet établissement pour longues peines est doté d'un service médical appréciable. Différents psys sont à la disposition des détenus qui souhaitent être écoutés et le cas échéant suivre une thérapie, ou s'autoanalyser chez le psychanalyste pour ceux qui y sont accessibles.
Après avoir bien observé mes codétenus, égocentriques, orgueilleux, vicieux, dissimulateurs, déglingués; déloyaux… médiocres, j'ai appris ce qu'est la haine. Je n'avais jamais haï vraiment et ce sentiment avait fait défaut dans mon équilibre affectif. La haine et l'amour ne sont-ils pas des sentiments qui se rejoignent ? J'avoue éprouver aujourd'hui ce sentiment de haine envers mes compagnons d'infortune. Mais à travers eux, celui que je hais le plus en réalité, c'est celui qui a abusé de ma fille chérie, ce salaud de moi. Ce sentiment de haine côtoie un autre sentiment, un horrible sentiment : la pitié. La détresse des détenus ne peut me laisser indifférent. En oubliant les raisons qui les ont conduits en ces lieux, je me surprends à avoir de la compassion pour eux, voire de la sympathie pour certains. C'est alors que j'aimerais les aider, les aider à comprendre, à assumer, à moins rouler des épaules et à être moins frileux face à la réalité, face à la vie. Je suis presque gêné de ne point souffrir d'être en prison. Ma souffrance à moi est autre.
En commençant à rédiger ces pages, j'avais opté pour une narration froide, sans le moindre état d'âme. Je sais que les états d'âme d'un violeur n'intéressent personne et je le comprends aisément. Mais la froideur ne correspond en rien à mon caractère, elle aurait faussé la compréhension de mes attitudes. Entre les états d'âme et la froideur, il y a … les sentiments. Un père criminel incestueux n'en est pas moins un homme, un homme qui éprouve des sentiments. Il peut aussi avoir une grande sensibilité. Comme l'a dit justement mon avocat, je ne suis pas un voyou.
J'ai commencé à gamberger : "Qu'est-ce que je fous dans cette zone ? Ce n'est pas possible, on n'a pas pu me punir comme ça, par pure vengeance comme on le faisait au Moyen Age. Si on m'a largué ici, il y a une raison. Je ne dois pas être le seul bien portant. Il faut que je trouve, que je découvre mes véritables sentiments, mon dérèglement. Il faut que je m'ouvre le crâne en deux et tout étaler sur la table pour trier".
Je doute fort d'être un pédophile pervers, selon les termes du procureur. mais je veux en avoir la certitude, la confirmation.
Souvent, j'ai ragé en me regardant dans le miroir : "Mais qu'est-ce que t'as dans la calebasse pour en être arrivé là ? pour te poser toutes ces questions… si t'es pédophile, si t'es pervers ? me disais-je. C'est vrai, tu les aimes les femmes, continuais-je, surtout quand elles sont belles, elles te font fantasmer. Mais les gamines… tu les aimes normalement, bien sûr, comme tous les enfants, mais pas au-dessous de la ceinture, ça, t'en es sûr, c'est sans équivoque. Pour Inès, c'était différent. Tu la voyais comme une femme, ta petite femme. Et c'est là que t'as fait le con. C'est là que quelque chose n'allait pas. Alors, il faut éclaircir ça avec un bon psy, mon gars, allez hop ! au boulot".
Dans mon profond désir de TROUVER, je formule une demande de consultation auprès de la psychologue. Le travailleur social me signale qu'une place se trouve libre sur le divan du psychanalyste. C'est bon pour la psychanalyse ! J'apprends également qu'une thérapie de groupe doit être mise en place à l'intention des pères incestueux qui souhaitent y participer. Dans cette perspective, une conférence préalable est donnée par le psychothérapeute. Seulement huit détenus sont présents, dont quatre pères incestueux, sur le grand nombre concerné. Si différents styles de thérapies existent en détention, elles n'entrent pas dans le cadre des obligations. La majorité des condamnés se considèrent innocents, victimes d'une justice mal rendue, ou ne prennent pas conscience de la gravité des faits. Beaucoup ne sollicitent tardivement une thérapie que dans la perspective d'engranger un maximum de remises de peines ou pour consolider la formulation de leur demande de permission de sortir ou de libération conditionnelle. Aujourd'hui, ainsi que l'a souligné le directeur de l'établissement, le fait d'aller consulter un psy n'est plus montré du doigt.
Je me suis spontanément porté candidat à la thérapie de groupe. Je fus reçu par le psychothérapeute pour un premier contact. Lors de cet entretien, le psy constata, lui aussi, que je me portais plutôt pas mal, que j'étais tout à fait conscient de mon cas que j'autoanalyse assez bien. Il pensait que par mon "expérience" j'étais susceptible d'apporter mon concours au sein d'un groupe de thérapie. Quand je lui expliquai que je ne souhaitais pas cesser ma psychanalyse, il me répondit que j'avais raison de poursuivre ce bon travail qui se révèle être une des meilleures thérapies. En conclusion, il ajouta avec un regard pétillant et enjoué, mais sérieux, qu'il n'y avait pas de doute, je suis un séducteur qui aime convaincre.
- Oui, c'est vrai, répondis-je, mais je travaille aussi là-dessus.
- C'est bien, vous êtes sur la bonne voie, je vois que ça va plutôt bien pour vous, me répondit le psy… convaincu.
Je me rends deux fois par semaine sur le divan du psychanalyste. Au début, j'avais l'impression de pratiquer un égocentrisme exacerbé, voire de l'égoïsme. Mais là, justement, j'y étais pour parler de moi. Chaque fois que je me rendais à une séance, j'avais la sensation de franchir un sas d'adaptation s'ouvrant sur un autre univers, celui du MOI, de ce Moi que j'investiguais encore très maladroitement, de ce Moi qui me faisait un peu peur.
Ce Moi, qui m'échappait encore, je voulais le connaître chaque jour davantage pour mieux le comprendre et l'appréhender avec discernement. Ce Moi inquiétant, je voulais en percer le mystère. En découvrant au fil de cette longue et patiente quête de soi, mes véritables pensées enfouies et sentiments refoulés, j'accède à ce que je ressens profondément comme une RENAISSANCE. Dès les premières séances de ma psychanalyse, j'ai commencé tout naturellement à dire que je ne me sentais pas appartenir à la catégorie des pédophiles, mais que les experts en avaient conclu différemment. Ils avaient dit : "tendances pédophiliques incestueuses". Le psychanalyste, dont nous avons la chance qu'il soit éminent, me déclara tout net que les tendances pédophiliques incestueuse n'existent pas ! J'entrepris d'essayer de comprendre. N'étant pas compétent en psychologie et encore moins en psychiatrie, je ne pouvais contester les rapports des experts sans leur opposer des contre-arguments basés sur une bonne connaissance de soi. Je suis donc entré dans une profonde analyse, comme celui qui, à force de concentration, finit par entendre les murmures de l'autre côté du mur.
J'ai confirmation aujourd'hui de n'être pas pédophile. Je ne me situe pas dans la maison perversité, mais dans la maison hystérie. A savoir que je ne suis pas un hystérique pour autant. Ceci a fait apparaître clairement à ma conscience ma grande méconnaissance de soi et son déplorable corollaire.
Je suis incestueux. Oui, mais POURQUOI ? Je pense aux propos de l'expert psychiatre qui ne s'était pas que trompé. Il avait conclu : "la faiblesse du sens moral de l'inculpé avait permis le relâchement des tabous incestueux…" Il me faut donc TROUVER la raison de cette faiblesse du sens moral…
L'analphabétisme, l'inculture, le manque d'affection, l'ignorance des valeurs morales peuvent engendrer une sexualité mal dirigée. Ainsi, une sexualité mal vécue peut découler d'un atavisme ou d'une éducation parentale dans laquelle les repères sociaux et familiaux s'éloignaient des critères et des règles de notre culture.
Une mère, des oncles et des tantes complices dans la sottise, répétant sans cesse à un enfant de sept ans qu'il n'est qu'un âne, alors qu'il avait reçu le prix d'honneur en récompense de sa première année scolaire, s'avère un élément perturbateur et déstabilisant pour lui. Je travaille bien à l'école, j'ai obtenu ce prix prestigieux que mes camarades m'envient, et la quasi-totalité des membres de mon entourage familial me dit que je suis un bourri. Ma mère et ses frères (oncles idiots) me répétaient souvent que j'étais un bourri de ferme, trop bête pour faire un bourri de château. Un enfant qui, à l'âge de sept ans savait lire et écrire mieux que les adultes illettrés de sa famille devenait suspect et gênant, voire humiliant. C'est donc lui qui serait humilié. Dès lors, je me désintéressais de la scolarité et mes études furent laborieuses. Je n'avais d'intérêt que pour l'aspect ludique de toute activité. Je ne trouvais pas mes repères. Rien n'existait vraiment. Tout n'était qu'abstraction, immatériel. Même le sol n'existait pas. Je marchais dans le vide. Il m'est arrivé de me laisser tomber d'un arbre pour voir si j'étais solide, si j'existais vraiment. Ce jour-là, j'avais dévié de ma trajectoire et je m'étais quasiment empalé sur une branche cassée deux mètres plus bas. Cet accident me valut une bonne rouste des mains de ma mère, avant d'être opéré à l'aine par le médecin, sur la table de la cuisine, et sans anesthésie. Il m'arrivait malgré tout d'avoir des sursauts de courage dans les études lorsqu'elles faisaient appel à l'imagination et à la créativité. Ne sachant pas où se trouvait le bon axe, il m'était trop souvent impossible de le saisir. En ajoutant à cela mes croyances pour un monde qui ne reposait que sur de fausses bases, telles que la magie, une culture forcenée du mythe de Noël entre autres, je sombrais dans l'irresponsabilité. Ma mère était la fille aînée d'une famille très nombreuse. Elle n'avait fait que quelques incursions devant un pupitre scolaire. Elle évoquait la sexualité avec des gestes grotesques et des mots absurdes qu'elle inventait. Ces mots insensés me perturbaient et m'entraînaient dans un enchevêtrement de fantasmes des plus délirants. Je fais partie du faible pourcentage (environ 5%) des violeurs qui eux-mêmes n'ont pas été violés dans leur enfance. En tous cas, moi, je n'ai pas été violé sexuellement.
Ma mètre était une obscurantiste acharnée, militante. Chez mes parents, il n'a jamais existé d'installations sanitaires. Pas de salle de bain, pas d'eau chaude au robinet (mon père avait fait installer un chauffe-eau qui ne fonctionna que durant quelques mois), pas de W.C. ni de chauffage central. Le réfrigérateur qui tomba très vite en panne servait à ranger les torchons propres. La machine à laver que j'avais offerte et installée ne servit qu'une fois. Elle devint hors d'usage à cause du desséchement de ses joints. Ma mère faisait toujours ses lessives au baquet. Elle était très méticuleuse et maniaque. Elle passait son temps à tout astiquer en criant. Pourtant, elle chantait joliment bien, ma mère, quand parfois elle était de pas trop mauvaise humeur. Elle me répétait inlassablement "ça s'fait pas !" chaque fois que je voulais vivre comme mes copains. Des copains qu'elle ne m'autorisait pas à recevoir à la maison.
J'étais un passionné de photographie. Il m'arrivait de photographier des jeunes filles. Hormis Inès qui était mon sujet favori, mes modèles avaient toujours l'âge de la majorité et étaient parfaitement conscientes du sens de leurs prestations. Ces belles demoiselles étaient toujours ravies de notre collaboration. Quand nous visionnions nos travaux, elles disaient qu'elles ne se reconnaissaient pas tellement elles étaient bien, comme dans les magazines. Je répondais que c'était normal, qu'une jolie fille n'est pas qu'un paquet de lessive ou un pot de yaourt.
- Elle, elle respire, elle pense, elle existe, elle aime et elle est aimée… et je veux que ça se voie. Grâce à l'objectif de l'opérateur, la femme découvre son corps et ne le reconnaît plus le temps de l'accepter. C'est une loi.
Alors, dévalorisation des images féminines ? Non ! Monsieur l'expert psychiatre. Je suis incestueux, certes, cela est incontestable. Mais je ne suis sûrement pas un phallocrate méprisant la représentation plastique de la gent féminine. Bien au contraire. Vous n'ignorez point sans doute que fantasmer sur la vision d'une silhouette callipyge n'est pas un délit, encore moins un crime.
J'ai souhaité narrer cette anecdote pour dénoncer l'expertise psychiatrique catégorique. Un savant, fût-il le meilleur du monde, ne peut prétendre établir le portrait psychologique exact d'un individu en l'espace d'un trop court entretien d'une demi-heure. C'est à l'issue de ce bref et unique entretien qu'il tire des conclusions qui seront parole d'Evangile devant la Cour d'Assises. Je connais aujourd'hui un psychiatre qui tire des conclusions tout en nuances et les commente sans manichéisme. Sa compétence est indéniable.
N'en déplaise à quiconque, un père incestueux est aussi un homme. Il peut être un homme comme tous les hommes. Dans ce cas, sa seule différence, c'est d'avoir fait une victime… sa fille.
Je suis en détention depuis plusieurs années, et pour d’autres encore. Toutes ces années de prison, je ne les subis pas comme une punition, mais je les vis comme une période de prise de conscience, de réflexion, de méditation, de remise en question. Cette longue période de mise à l'écart de la vie sociale m'a permis de commencer à connaître celui que je suis réellement et que j'aurais dû connaître toujours. Plus tard je ne dirai pas que j’ai eu un trou dans ma vie, comme un grand vide vu ainsi par la plupart des taulards. Non, cette tranche de vie, je l’appréhende au contraire comme une retraite monastique. Avant mon incarcération, je pensais parfois que j’aimerais m’offrir des vacances retirées, loin du tumulte de la vie citadine. Le destin facétieux n’est pas resté sourd à mon souhait secret. Malheureusement, quand c’est le destin qui décide à notre place, qui nous materne, il le fait souvent avec sévérité (qui aime bien châtie bien !), par le biais d’une grande épreuve… une épreuve qui se veut salutaire. Il est très regrettable que cette épreuve soit due au fait d’avoir fait une victime, ma fille.
Je ne crois pas du tout à la vertu de la punition pour mon cas personnel. Le châtiment aveugle n’est certes pas la panacée en matière d’inceste. L’inceste n’est pas un crime de voyou ou de détraqué sexuel. De par mon état de père incestueux et mon intérêt certain pour l'étude des méthodes thérapeutiques, je ne peux nier que la mise à l'écart de la société d'une personne ayant commis des actes graves, ne lui soit salutaire et indispensable pour une prise de conscience. Le temps agit favorablement sur l’évolution de tout individu. Et il n’existe pas d’autre moyen que la prison, dans nos civilisations, pour mettre à l’écart, ou hors d’état de nuire, les personnes qui ont fauté ou qui représentent un danger certain pour la société. Néanmoins, je me permets d’avancer l’idée que l’on devrait avoir une approche différente de ce grave problème de l’inceste, trouver une solution palliative à l’emprisonnement brut. La création ou l’aménagement de centres de thérapie (ou de détention thérapeutique) par catégories de détenus, par exemple, dotés de structures adaptées, pourrait être envisagée. Le Centre de Détention où je suis écroué en est déjà une approche… L'on pourrait aussi mettre à l'étude des méthodes de prévention. Mais voilà… il y a le tabou, le tabou de dire, de parler tout haut. Moi, dans ces pages, je brise le tabou du tabou. Je parle.
L'inceste ne doit plus être un sujet tabou. C'est en l'incluant dans le cadre des réflexions, des débats sociologiques et d'une ouverture d'esprit, sans pratiquer la langue de bois, que l'on pourra avancer dans le domaine de la compréhension, puis des thérapies. Ce qui renforce le tabou, c'est que l'inceste sévit au sein des familles dans toutes les couches de la société. Depuis le prolétaire jusqu'au P.D.G., en passant par le fonctionnaire et l'artisan… de nombreux pères abusent sexuellement de leur(s) fille(s). Je ne parle pas des multiples autres cas d'inceste.
Il y a dans l'attitude de la Justice de quoi hurler. On m'a reproché d'avoir créé des troubles dans l'esprit d'enfant d'Inès en lui disant la vérité sur notre non-consanguinité, de lui avoir fait violence, en quelque sorte. Et le travailleur social de l'hôpital, le Juge d'Instruction et les magistrats de la Cour d'Assises n'ont ils pas fait violence à ma fille en lui présentant son père comme un dangereux criminel ? Ne lui ont-ils pas fait violence, en lui disant que celui qu'elle avait aimé et qu'elle ne détestait pas était un homme de la pire espèce qu'il fallait désormais écarter totalement de sa vie ? Certes, Inès savait que nous étions en infraction, mais elle ignorait qu'elle participait à l'un des crimes plus abominés par la morale que par la Loi ; le code pénal ne condamne pas l'inceste. En me jugeant de cette manière, la Justice n'a-t-elle pas, précisément, traumatisé la victime, alors que jusque là, elle ne l'était pas, traumatisée ? D'où les termes des experts psychiatres : La victime ne devrait pas subir de séquelles, sous réserves. Ces réserves ne seraient-elles pas dues au choc de la justice ? La justice n'a-t-elle pas déclenché en elle des sentiments de haine exacerbés par l'esprit de vindicte du juge d'instruction et la violence des propos exacerbés du procureur ? Une psychanalyste célèbre dit que ni le travailleur social ni le Juge d'instruction ne doivent tenter de se mettre à la place d'un enfant qui a subi des violences de la part de ses parents. Ils ne doivent ni juger ni s'évertuer à salir les parents de l'enfant. Les Suisses, les Anglais et surtout les Canadiens ont compris cela depuis longtemps. Ils ne condamnent pas les pères incestueux comme des criminels dangereux. Ils ne font pas d'amalgame. Ils protègent l'enfant abusé sexuellement en ne faisant pas de son père un monstre, mais simplement en l'éloignant. Comment peut continuer de vivre normalement l'enfant d'un monstre ? Quels repères aura-t-il ? Le sang qui coule dans les veines de cet enfant serait donc le sang d'un monstre ? Alors, à son tour, sera-t-il un monstre ? L'enfant a connu un père qu'il a appelé papa durant toute son enfance, et ce père-là restera à jamais gravé dans son esprit et son inconscient. Par conséquent, n'en faisons pas un horrible monstre qui hantera les nuits et les jours de l'existence de cet enfant.
Mais qu'on écoute un peu plus les bons psychanalystes, ceux qui respectent la dignité de tous : enfants innocents et adultes en difficultés ayant des troubles de la personnalité.
Il suffit d'expliquer à l'enfant que son père a eu un comportement qui n'était pas normal et qu'il ne doit plus le revoir, au moins le temps d'une thérapie, qui peut durer des années.
Je ne parle pas bien sûr de ces pervers qui font endurer à leurs victimes des sévices physiques et moraux : brimades, sadisme, coups, et autres tortures.
Episodiquement, le souvenir d'Inès s'impose à mon esprit. il m'arrive de revivre mentalement des scènes qui aujourd'hui m'attristent, me font rager de remords et me nippent de honte.
Je revois cette adorable petite fille de cinq ans qui m'appelait papa. Elle était ma fille chérie en qui je ne voyais certes pas ma future maîtresse. Je revois cette adorable petite fille de neuf ans qui m'appelait papa. Elle était ma fille chérie en qui je ne voyais certes pas ma future "petite femme". Cela était mon état de conscience, mais que se passait-il dans mon inconscient, et surtout, que se passa-t-il le jour où Inès vint nous dire en pleurs que son amie lui avait cruellement lancé que je n'étais pas son père ? Je crois que je savais déjà qu'elle m'appartiendrait. La machine inconsciente infernale était enclenchée. Pourtant, je ne voyais rien… J'allais être rattrapé par ma mauvaise conscience. Les phrases péremptoires de ma mère me revenaient, lancinantes et enrobantes comme une noire fatalité.
Quand je marchais dans les rues d'une ville du bord de mer, là où nous n'étions pas connus, me parant des plumes du paon, Inès jeune fille me tenant par la main, je me prenais pour un adolescent ou un beau jeune homme. J'oubliais totalement mes obligations de père de famille, même si mes fils étaient déjà grands. J'oubliais que j'avais une épouse qui m'attendait un peu quand même à la maison pendant que je faisais le beau avec ma fille, avec notre fille. Après un délicieux dîner au restaurant, je louais une confortable chambre d'hôtel avec vue sur la mer, télévision et bar pour mieux séduire ma fille, pendant qu'à la maison épouse et enfants vivaient une soirée ordinaire dans une atmosphère extraordinaire. Inès, qui aimait beaucoup ses frères et sa mère, évoquait cette situation. Si elle aimait bien cette vie que je lui offrais, elle affectionnait aussi particulièrement partager le bonheur familial. Elle disait en plaisantant que ce serait bien que David, Mathieu, Julien, Nicolas et maman soient avec nous dans ce bel hôtel de la côte. Cette "forme d'humour" d'Inès était sûrement un appel au secours à l'attention de sa mère lointaine, une prière qui m'était adressée, me disant : non pas ça, il ne faut pas faire ça, nous n'avons pas le droit. Il faut arrêter.
Pourtant, que ce soit à l'hôtel, dans notre chambre à la maison, ou dans n'importe quel autre endroit qui nous accueillait pour y faire l'amour, Inès s'offrait à moi comme amante à amant. Se donnait-elle par amour ou par soumission ? En fait, c'était les deux. J'avais su lui enseigner la manière de m'aimer en la vampirisant quotidiennement, en ne lui proposant que moi pour horizon. Elle n'avait plus le choix. Elle ne pouvait pas lutter face à mon charisme tyrannique, ni contre mon amour possessif. Depuis l'âge de douze ans, elle avait appris que je n'étais pas son vrai père et elle s'était forgée l'idée qu'il n'y avait pas de tabou, pas de véritable interdit à notre relation. Elle n'était donc doublement pas responsable de l'inceste. Moi, si. Je suis coupable d'inceste. Je fus jugé et emprisonné pour ce crime.
Un jour, la grande porte s'ouvrira sur la rue grouillante de vie. Je verrai passer un homme tenant une fillette par la main, sa fille sans doute… et je me dirai : "Pourvu que non !" Puis je les observerai mieux. Je soupirerai de bonheur, et puis, des yeux, je dirai à la petite fille : "Si tu savais quelle chance tu as d'avoir un papa normal… normal comme tous les bons papas. Tu sais, moi, j'ai été un mauvais papa, un très mauvais papa, alors je sais ce que c'est qu'un mauvais papa".
Je me souviens aussi que j'ai eu une petite fille, un jour, mais j'ai trahi son innocence.
Thibault Forestier