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JOURNEE D’ETUDES AFIREM

Paris 3/12/10

La pénalisation de l’inceste : quels changements pour les pratiques ?

 

 

Evénement ou non-événement ?  Quels changements pour les pratiques ?

 

On me pose deux questions : 1. Cette loi sur l’inceste est-elle un événement ou un non-événement ? et 2. Qu’est-ce cela change pour nos pratiques ?

 

Je vais tenter de répondre à la première question, et je réserverai la réponse à la seconde question pour ma conclusion.

 

1. Evénement ou non ? Je ne suis pas normand pour rien. Je répondrai donc : « à la fois événement et non-événement ». Et je vais m’en expliquer.

 

Introduire un terme non juridique dans le code pénal pour qualifier un crime ou un délit, c’est un événement ! Mais voter – en urgence – une loi qui, avec un mot nouveau, ne fait que reprendre ce qui existait déjà dans le Code, c’est plutôt un non-événement.

 

C’est donc, selon moi, une loi inutile, puisque les agressions sexuelles et les viols sur mineur par ascendant (ou par personne ayant autorité) sont clairement définis et réprimés depuis la réforme de 1994.  L’innovation mise en avant apparaît dans le fait que les Juges pourront considérer qu’il existe une « contrainte morale » pour tous les mineurs de moins de 18 ans. Il semblerait donc que la notion d’atteinte sexuelle (agression mais « avec consentement ») ne puisse plus être retenue dans le cas de l’inceste, l’emprise du parent sur l’enfant ou l’adolescent étant dès lors considérée comme systématique.

 

C’est aussi une loi floue. La définition finalement retenue pour caractériser l’inceste, et pour en faire une notion juridique, n’a plus rien à voir avec la définition communément admise, à savoir : relation sexuelle entre personnes entre lesquelles le mariage est impossible. J’aimais bien, dans mes interventions sur l’inceste (en étant quelque peu provocateur) expliquer que l’inceste n’était pas interdit : je ne serai pas condamnable si je vis en couple avec  ma fille, ou ma sœur, ou ma mère… à condition bien sûr qu’elles soient majeures et consentantes. Je pourrai même avoir des enfants avec elles. Par contre, le code civil a prévu qu’un seul des deux parents pourra les reconnaître. Ils seront de père ou de mère inconnus. Et je trouvais que l’absence du mot inceste dans le code pénal comme dans le code civil était un message très fort. Cela signifiait pour moi que l’inceste n’était pas un interdit. Il était au-dessus de l’interdit. Puisqu’il était un tabou. Le code ne dit pas qu’il est interdit d’avoir un enfant avec sa fille. Il dit que c’est impossible. Il ne dit pas que le mariage incestueux est interdit (aucune sanction n’est prévue si on transgresse l’interdit), il dit que c’est impossible. Et si par hasard, un maire mariait par erreur un père et sa fille, le couple ne serait pas puni. Le maire serait puni ! et le mariage invalidé. Ceci est toujours vrai aujourd’hui. Mais nous sommes confrontés maintenant à une double définition de l’inceste : l’inceste sur mineur et l’inceste entre majeurs. Et la définition pénale de l’inceste se trouve donc différente de l’inceste – même non nommée – évoquée dans le code civil.

 

Mais surtout, l’auteur de l’inceste sur mineur n’est plus seulement quelqu’un avec lequel le mariage est impossible. La loi étend l’inceste aux relations imposées au mineur par les membres d’une famille élargie, qui va jusqu’au beau-frère et la belle-sœur. Alors imaginons la situation suivante : un beau-père, concubin de la mère, a des relations avec sa belle fille de 17 ans et demi. La mère, qui se sent trahie,  prend ombrage de cette relation, porte plainte. Le beau-père est condamné pour inceste avec contrainte morale, selon la nouvelle loi. Et lorsque la jeune fille a 18 ans, elle peut épouser le condamné…. Cherchez l’erreur !

 

Et pourtant, dans mon expérience de travail avec des personnes condamnées pour avoir commis des crimes sexuels intrafamiliaux (je préfère cette appellation à celle de « pères incestueux), j’ai toujours mis sur le même plan les pères, pères biologiques, pères légaux, et les beaux-pères. Je n’ai jamais fait de différence entre l’inceste au sens strict et la relation beau-père/ beau-fils ou belle-fille. Parce que je considère que cette relation sexuelle avec un enfant mineur, enfant de la famille, est un symptôme qui prend sens dans le fonctionnement de la famille. C’est un message qui, d’abord, s’adresse à la mère, que l’auteur soit le père de l’enfant ou le beau-père. Et finalement, je verrai un petit intérêt à cette loi puisqu’elle permettra malgré tout de distinguer dans les statistiques de l’administration de la Justice, les crimes sexuels intrafamiliaux des crimes sexuels extrafamiliaux (pédophilie) qui ne m’apparaissent pas avoir la même signification. Mais je ne vois guère d’études scientifiques qui cherchent à valider cette différence de nature….

 

Et puis, la nouvelle définition de l’inceste ne s’étend-elle pas aussi à l’ « ami de la famille », puisqu’il est question aussi de « toute autre personne ayant une autorité de droit ou de fait », certes « au sein de la famille », mais l’ami qui vit habituellement au domicile et qui intervient régulièrement auprès des enfants n’est-il pas aussi concerné ? (cf « une QPC à propos de la définition de l’inceste dans le code pénal » sur le blog de Michel Huyette)

 

Cette loi me paraît aussi une loi dangereuse dans la mesure où elle banalise le tabou en voulant le nommer. L’idée de la rapporteure de la loi était d’ailleurs bien de faire tomber le tabou, en confondant, sans doute volontairement, le tabou de l’inceste lui-même et le tabou sur la parole autour de l’inceste. Or, il est bien difficile aujourd’hui de prétendre qu’il est toujours aussi difficile d’en parler. La difficulté essentielle est encore d’obtenir des aveux de l’auteur présumé. C’est plutôt sur le nombre très important des « classements sans suite faute de preuves » qu’il serait urgent de travailler, pour chercher comment faciliter la reconnaissance des actes commis. Mais l’augmentation de la répression ne peut qu’augmenter le nombre des négations des faits. Il faudrait trouver autre chose….

 

La loi est dangereuse aussi parce qu’elle mélange des notions juridiques et des notions psycho-sociales. Mais ce mélange n’est qu’un mélange supplémentaire dans ce domaine. J’ai évoqué tantôt la confusion entretenue entre sanction et soin. De même la rétention de sûreté qui est un enfermement pour cause de « dangerosité » avant le passage à l’acte, et non plus après un acte criminel. Confusion également, dans le chapitre de la loi sur la prévention, entre prévention et dépistage. La loi veut renforcer les actions de prévention dans les écoles, alors que les expériences passées ont été abandonnées, non sans raison. Parce qu’elles mettaient l’enfant en situation d’être responsable de sa propre protection. Et ce qui est en fait recherché dans ces actions, c’est surtout l’incitation pour les enfants à parler de l’inceste subi. Il s’agit donc plus de dépister que de prévenir. Ce n’est pas inutile, mais ce n’est pas de la prévention avant l’acte. On sait d’ailleurs que toutes les campagnes dites de prévention ont augmenté le nombre de situations signalées, au lieu de les diminuer…

 

Toutes  ces confusions de langage font évidemment penser à Ferenczi et à la confusion des langues. N’était ce pas une des caractéristiques de l’inceste ?...

 

La désignation d’un administrateur ad hoc peut être intéressante lorsque les deux parents n’ont effectivement aucun intérêt, aucune capacité, à « représenter » leur enfant. Mais la désignation systématique n’induit-elle pas l’idée, très excessive, que dans l’inceste père-enfant, la mère est nécessairement complice ?  Auparavant, la règle était que l’un des parents pouvait représenter l’enfant victime, sauf exception. Maintenant, la règle, c’est l’incapacité des parents, et il faudra fortement motiver les exceptions.

 

Lors du congrès de l’AIVI évoqué plus haut, Marie-Louise FORT, députée, rapporteure de la loi, a insisté sur la nécessité d’ « éradiquer ce fléau ». Un tel objectif n’est pas une utopie. C’est une illusion. La violence, la violence sexuelle, l’inceste, sont des caractéristiques premières de l’être humain, que la culture nous permet de canaliser, de partiellement maîtriser, mais qu’on ne pourra jamais « éradiquer ». Tous les récits mythologiques qui racontent la création du monde ne parlent que de violence et d’inceste.

 

Voyons comment est racontée la cosmogonie dans la mythologie grecque. Du chaos, serait sortie la déesse terre, mère nourricière : Gaïa, ainsi qu’Eros, une sorte de principe d’attraction qui pousse les éléments à s’agréger et à se combiner. Gaïa va engendrer Ouranos, qui devient son époux. De toute façon, le début de la vie ne peut être qu’incestueux : l’Unité primordiale, qu’elle soit déesse ou cellule, doit s’autoféconder pour se diviser, pour passer à trois avant de pouvoir se multiplier à l’infini. Ouranos va avoir beaucoup d’enfants avec Gaïa : les Titans, les Cyclopes, les Géants. Mais pour conjurer le risque d’être détrôné par ses fils, il les faisait disparaître après leur naissance, « en les précipitant dans le sein de la terre ». Gaïa, la terre-mère, lasse de voir ses enfants disparaître les uns après les autres, décide de châtrer son mari. C’est le dernier né des Titans, Kronos, qui va s’en charger. Ouranos prédira ensuite à son fils qu’il sera à son tour évincé par un de ses enfants.

 

Kronos épouse sa sœur Rhéa. Ils vont avoir beaucoup d’enfants, qu’il avale au fur et à mesure de leur naissance pour ne pas être éliminé un jour par eux. Comme sa mère, Rhéa voudrait bien sauver au moins un de ses enfants, et sur le conseil d’Ouranos et de Gaïa, elle accouche en cachette d’un certain Zeus, puis apporte à son mari une pierre emmaillotée qu’il s’empresse d’avaler.

 

Kronos, rescapé d’un premier génocide, devient lui-même génocidaire. Zeus rescapé d’un second génocide, va devenir le maître de l’Olympe. Lui aussi, va épouser sa sœur, Héra, qu’il va tromper allègrement, faisant des enfants à droite et à gauche, et séduisant aussi les enfants qu’il aura eus de ses conquêtes.

 

La création du monde racontée dans la Genèse est aussi un récit rempli de violences et d’inceste. Violence de Yahvé qui punit le premier homme pour sa désobéissance, violence de Caïn qui tue son frère. Ne peut-on dire par ailleurs qu’Eve, née du corps d’Adam, est en quelque sorte une fille incestueuse d’Adam ? Et s’il est bien dit dans le premier récit que « l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme », lorsque « Caïn connut sa femme qui conçut et enfanta Hénok », de quelle femme s’agit-il sinon de sa mère elle-même ? De même, on ne note aucune colère de Yahvé, mais au contraire une grande tolérance lorsque les filles de Lot décident d’enivrer leur père pour coucher avec lui dans le but d’assurer une descendance et donc de poursuivre le dessein de Yahvé. Quant à Abram, il déclare « Sara est vraiment ma sœur, la fille de mon père, mais non la fille de ma mère, et elle est devenue ma femme ». Et, dans un  monde où la polygamie est à l’évidence permise, il refuse que son fils Isaac « prenne une femme parmi les filles des cananéens au milieu desquels il habite », et il choisit « dans sa parenté » Rebecca, qui n’est autre que la cousine d’Isaac, la petite fille du frère d’Abram, sans que cela provoque la moindre colère de Yahvé.

 

Ce que nous disent les auteurs de ces récits mythologiques, c’est que la violence et l’inceste sont au cœur de l’homme. La violence et l’inceste sont premiers. Mais alors, d’où provient le tabou ?

 

Durkheim, dans son livre « La prohibition de l’inceste et ses origines »,  nous explique que  le tabou a été au départ une institution religieuse, l’interdiction de contact entre un homme et une femme du même clan étant liée au caractère sacré attribué au sang de la femme, associé au caractère divin du totem du clan……Et, commentaire de Robert Neuburger : « Ces rites ont engendré les idées relatives à l’exogamie, qui s’est transformée en obligation, puis en interdit et, de ce fait, est devenue indiscutable car irrationnelle ». Il est assez troublant de considérer ce caractère « irrationnel » d’un tel interdit. Et s’il est « indiscutable », nous ne le discuterons pas plus avant.

 

2. J’en viens à la deuxième question : quels changements dans les pratiques ?

 

Les Juges et les Parquets sont tenus d’utiliser la nouvelle appellation d’inceste. Toutefois, les anciennes qualifications n’ont pas été supprimées, et pourront donc sans doute être encore utilisées. Quand la nouvelle qualification sera retenue, les avocats de la défense vont pouvoir utiliser – c’est peut-être le côté « gag » de cette nouvelle loi votée en urgence – une règle juridique qui précise que « l’élément constitutif d’une infraction ne peut être en même temps une circonstance aggravante de cette infraction ». Autrement dit, l’inceste, qui constitue maintenant une infraction caractérisée, n’est plus une circonstance aggravante, et devrait donc être punie moins sévèrement qu’auparavant. J’ai trouvé cette information étonnante sur le blog d’un pénaliste. Mais il est vrai qu’un magistrat (Michel Huyette) se rassure, sur son blog, en disant que si effectivement les avocats pourront utiliser cet argument, «le mot inceste n’est qu’une décoration ajoutée sur l’intitulé du crime comme la guirlande sur le sapin, crime qui reste fondamentalement ce qu’il a toujours été : un viol aggravé par la qualité de son auteur. La cour de cassation tordra un peu le texte pour le faire coller avec la volonté du législateur de lutter contre l’inceste et non d’en alléger la répression ». La loi est une chose, l’application en est une autre !    Ce même magistrat avait commenté la nouvelle loi en ces termes : « On reste toujours un peu perplexe devant ce genre de loi dont on a peine à comprendre la logique. La définition parlementaire de l’inceste est plus large que celle du dictionnaire et que la définition juridique du terme… Au final donc, pour ce qui concerne les contours et la répression juridique du viol et de l’inceste, la nouvelle loi ne change quasiment rien aux règles applicables jusqu’à présent. Par ailleurs les victimes savaient déjà parfaitement bien que quand leur agresseur est un père ou un oncle, il s’agit d’une relation incestueuse, et elles savaient déjà expliquer au moment du procès combien il est psychologiquement dévastateur d’être agressé par celui en qui elles avaient mis une certaine confiance et sur qui elles pensaient pouvoir compter. Alors, beaucoup de bruit – un peu de n’importe quoi-  pour pas grand chose ? »

 

Les statisticiensde la Justice vont pouvoir distinguer l’inceste des autres formes d’abus. A condition toutefois que les magistrats se saisissent tous de cette opportunité. Cela pourrait permettre de lancer des études comparatives entre les abus intra-familiaux et les abus extra-familiaux. Mais encore une fois, quels professionnels se sentent intéressés ?

 

Les actions de prévention ? Il est fort peu probable que les professionnels, du soin comme ceux de l’école, se mobilisent pour appliquer des dispositions qui ont déjà montré leurs limites et qui ne recevront vraisemblablement aucun financement. Les professionnels médico-psycho-sociaux à l’école sont de toute façon quasiment en voie de disparition et nous avons vu que les interventions étaient plus de dépistage que de réelle prévention. (A moins de lancer des actions innovantes auprès d’adolescents pour limiter les risques d’abus sur des plus jeunes : prévention de la pédophilie plus que de l’inceste).

 

Les travailleurs sociaux, à l’ASE et dans les institutions, seront toujours confrontés au problème des classements sans suite après des révélations et des signalements, classements beaucoup plus nombreux que les affaires instruites et jugées.

 

Quels changements pour les professionnels du soin ? aucun ! N’importe quel thérapeute est depuis longtemps capable d’employer le mot inceste lorsqu’il travaille avec une victime ou avec un auteur. Et je ne vois pas ce que la loi pourrait modifier dans la pratique thérapeutique. Il existe bien sûr des psys qui ne savent pas comment s’y prendre avec ces situations. Mais ce n’est pas la loi qui va leur donner la compétence qu’ils n’ont pas.

 

En ce qui me concerne, la succession illimitée de ces lois répressives, la politique centrée sur la peur, peur qui entretient la violence, violence entretenue pour maintenir la peur dont a besoin le pouvoir pour se maintenir, la « tolérance zéro », le fameux « principe de précaution » (qui justifie par exemple la rétention de sûreté), .. ; tout cela m’a mis souvent en colère, au point parfois d’écrire à un JAP mon indignation. Mais ma colère a fait place aujourd’hui au découragement. C’est sur ce découragement que je terminerai mon propos, (et je ne tarderai pas, comme Achille, à me retirer sous ma tente. Et je pense qu’en sa compagnie, je me remettrai au Grec ancien….)

 

 

Michel SUARD

ATFS CAEN

michel-suard@orange.fr

www.atfs.fr

 

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