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Etude clinique de la NON-RECIDIVE

 

Communication faite au Congrès International Francophone sur l’Agression Sexuelle (CIFAS), qui s’est tenu à MONTREAL les 11,12 et 13 mai 2009

 

Je tiens à remercier tout d’abord André Mac Kibben, président du Comité scientifique du CIFAS, qui a accepté ma communication alors que, dans un premier temps, le Comité scientifique ne l’avait pas retenue.

 

Toutes les études sur le devenir des auteurs d’agressions sexuelles portent sur le risque de récidive, sur les programmes de prévention de la récidive. Les médias ne parlent que des auteurs d’agressions sexuelles qui ont récidivé, et les pouvoirs publics, porteurs de l’utopie démagogique de la tolérance zéro, multiplient les lois de répression des actes de récidive. Cette centration sur la récidive des agressions sexuelles a pour effet d’entretenir dans l’opinion, et aussi chez les professionnels, l’idée que tous les auteurs d’agression sexuelle sont des récidivistes en puissance, et chez les victimes d’agression sexuelle, l’idée qu’elles restent en danger permanent d’être à nouveau agressées, sans possibilité de restauration.

 

Les études canadiennes les plus récentes font état de 13% de récidives légales d’agressions sexuelles (toutes formes d’agression sexuelle confondues) dans les cinq ans qui suivent la sortie de prison.

Une étude statistique de l’administration pénitentiaire française à partir du fichier du casier judiciaire, étude faite en 1997 et portant sur les 11 années précédentes comptabilisait 2,5 à 4% de récidives de viol chaque année, et 8 à 9% de récidives d’agression sexuelle (anciennement attentats à la pudeur).

En 2000, au Centre Pénitentiaire de CAEN, deux collègues du SMPR faisaient une étude sur l’effectivité des traitements proposés aux auteurs d’agressions sexuelles incarcérés (étude présentée au CIFAS de BRUXELLES en 2003). Sur la population des 250 détenus de l’étude, pour la plupart condamnés pour viol, 6% étaient en état de récidive légale. J’ai repris cette étude avec l’une de ces collègues afin de différencier les cas d’abus intra-familiaux sur des enfants des autres crimes sexuels (viols extra-familiaux et viols sur adultes). La différence était significative entre ces deux sous-groupes, puisque 3% des auteurs de viols intra-familiaux (inceste) étaient des récidivistes, pour 9% pour les autres formes de viols.

Une statistique récente fournie par Pierre-Victor TOURNIER, chercheur au CNRS, fait état, pour les cas de viols et d’agressions sexuelles sur mineurs, (sur l’ensemble de la France) de 11% de situations de nouvelles peines privatives de liberté dans les 5 ans qui ont suivi la première libération.. Ce chiffre tombe à 1% pour les peines de réclusion criminelle. (Le taux de nouvelles condamnations à un emprisonnement ferme est de 45% pour l’ensemble des cas de crimes et délits, sexuels et non sexuels)

 

Il est donc possible d’affirmer que 9 personnes condamnées pour agression sexuelle sur 10 ne récidivent pas. Comment vivent-elles ? Qu’est-ce qui a changé dans leur rapport aux autres pour qu’ils ne récidivent pas ? Que leur ont apporté la condamnation et les soins éventuels?  Une recherche en ce sens pourrait modifier le regard porté habituellement sur ces personnes, par l’opinion publique, les médias, les professionnels mais aussi les victimes elles-mêmes, et devrait en outre ouvrir des pistes nouvelles sur les programmes de prévention (prévention de la récidive, mais peut-être aussi de l’abus lui-même).

Pour être complète, cette recherche devra porter sur un large échantillon de population, comprenant des personnes condamnées pour viols, pour agression sexuelle (sans pénétration), pour atteintes sexuelles, et en tenant compte de la nature des victimes (enfants, adultes ; violence intrafamiliale et extrafamiliale).

 

C’est la partie préliminaire de cette recherche que je vais présenter maintenant. Elle porte sur un échantillon de 26 hommes que j’ai rencontrés pour un entretien semi-directif. Cet échantillon n’est pas représentatif de l’ensemble de la population des personnes condamnées pour agressions sexuelles, ce pour plusieurs raisons :

 

  1. Il s’agit de sujets, dont j’ai gardé la trace, et que j’ai suivis pendant leur détention, et pour certains après leur détention, dans le cadre d’une obligation de soins en libération conditionnelle ou en suivi socio-judiciaire (ou parfois sans aucune obligation). Le manque d’objectivité qui en découle est toutefois compensé par la bonne connaissance que j’ai du dossier pénal et de leur évolution en prison et hors la prison.
  2. Tous ont été condamnés pour des violences sexuelles intrafamiliales sur des enfants (leurs propres enfants ou les enfants de leur compagne). Or, l’on sait que ces abus intrafamiliaux récidivent moins que les abus extrafamiliaux. Mais ce sont aussi les situations les plus fréquentes.
  3. 23 d’entre eux, sur les 26 ont été condamnés pour des actes de viol. L’on sait aussi que les auteurs de viol récidivent moins que les auteurs d’autres formes d’agression. Il faudra d’ailleurs s’interroger sur les raisons de cette différence.

 

Les caractéristiques générales de cette population ne sont donc pas généralisables. Je ne donnerai donc que des chiffres bruts et non des pourcentages, qui n’auraient pas de sens. Ces caractéristiques sont toutefois intéressantes :

La moyenne d’âge au moment de la recherche est de 53 ans (entre 35 et 65 ans)

La durée moyenne d’incarcération réelle, compte tenu des remises de peine et des aménagements, est de 7 ans et demi (entre 2 et 12 ans) pour des condamnations entre 5 et 16 ans. Deux personnes n’ont pas été incarcérées, l’une a eu une peine de sursis avec mise à l’épreuve, l’autre a eu 6 mois ferme (et 2 ans de sursis)., peine aménagée en port du bracelet électronique.

Ces hommes sont sortis de prison depuis 3 ans en moyenne (entre 6 mois et 8 ans).

Six d’entre eux sont sortis en fin de peine, dont deux avec une mesure de surveillance judiciaire après expertise. Tous les autres sont sortis en libération conditionnelle, avec une obligation de soins, dont dix bénéficient en outre d’un suivi socio-judiciaire. Au moment de la recherche, 18 personnes sur les 26 ne bénéficient plus d’aucune obligation de soins.

Neuf d’entre eux sont restés en contact avec la mère de la (ou des) victime(s), et ont repris la vie commune à la sortie de prison avec la particularité pour 3 d’entre eux de s’être mariés après la révélation des abus. Et deux sur ces trois hommes ont eu un nouvel enfant après la sortie de prison. Ce nombre important de couples maintenus est dû sans conteste à mon orientation de travail, puisque la thérapie familiale était l’une de mes propositions pendant l’incarcération. Je connaissais donc les compagnes de ces 9 personnes et je les ai revues au moment de l’enquête.

Douze autres ont créé un nouveau couple peu après la sortie, et (sauf un seul) ont parlé à leur compagne de leur incarcération et de ses motifs. J’ai eu l’occasion de rencontrer également 7 de ces conjointes. Un treizième a un projet de PACS avec un homme connu en prison et encore détenu.

Les quatre derniers sujets de l’échantillon ont fait le choix de rester seuls.

Sur les 17 personnes qui n’ont pas repris la vie commune avec leur ancienne compagne, 6 seulement n’ont plus aucun contact avec leur famille. Les autres voient leurs parents, leurs enfants non victimes, ou d’autres membres de la famille d’origine, qui sont autant de soutiens importants.

Sur la totalité de l’échantillon, dix personnes vivent ou ont des contacts réguliers avec leurs enfants (non-victimes) mineurs, et quatre autres avec leurs enfants majeurs, et tous ont eu l’occasion de parler avec eux des motifs de leur condamnation et de la nécessité de la sanction.

Quatre personnes ont repris des contacts réguliers et positifs avec la (les) victime(s). Trois autres ont eu un ou plusieurs entretiens médiatisés avec la victime, pendant l’incarcération ou après la sortie, mais sans reprise de contacts par la suite. Au total, treize d’entre eux ont eu le souci d’adresser un courrier d’excuses à la victime.

A noter que trois mères d’enfants victimes n’ont plus de contacts avec leurs enfants (victimes et non-victimes) depuis  6 mois pour l’une et 3 ans pour les deux autres, alors que les pères, auteurs des abus, ont des contacts réguliers avec le frère ou la sœur de la victime (résidence principale chez le père pour l’une des enfants, visites médiatisées pour les deux autres, placés en familles d’accueil).

Neuf auteurs ont été condamnés pour avoir agressé deux ou trois de leurs enfants. Au total, les 26 personnes de notre échantillon ont été condamnées pour avoir agressé 36 victimes. Toutefois, il faut noter que quatre de ces victimes ont révélé, pendant l’incarcération de l’auteur ou après la sortie de prison, ne pas avoir subi les agressions dénoncées. Mais les auteurs n’ont pas souhaité demander une révision de leur jugement afin d’éviter de faire revivre aux enfants les dommages d’un procès qui les aurait mis en grande difficulté.

 

Aucun ne présente de pathologie psychiatrique. Quatre d’entre eux ont pourtant bénéficié dans les expertises pré-sentencielles du diagnostic de perversion. Les actes commis peuvent être qualifiés d’actes pervers, puisqu’il s’est agi de se servir d’un enfant-objet pour la satisfaction d’un désir sexuel, mais je conteste l’idée d’une structuration perverse ou psychopathique chez ces personnes. Les diagnostics posés s’apparentent plus à des jugements moraux.

Le trait dominant est en fait l’immaturité, chez des êtres « névrotico-normaux », qui ont tous subi dans leur enfance des traumatismes ou des violences, pas nécessairement sexuelles.

La question de l’attirance sexuelle pour des enfants ne se pose que pour l’un des membres de l’échantillon. Pour 22 autres, auteurs d’abus intrafamiliaux, sur la fille de leur conjointe (et leur propre fille pour 16 d’entre eux), le sens de l’abus est à comprendre dans le dysfonctionnement des relations du triangle père (ou beau-père) mère, enfant. Mais aucun ne peut être considéré comme un « pédophile » au sens strict.  Les trois derniers membres de l’échantillon ont commis des abus sur leur fils (ou beau-fils), et ces situations posent davantage la question d’une homosexualité refoulée ou non assumée.

 

Seuls deux d’entre eux présentent une déficience légère. Et pourtant, l’un travaille dans une entreprise d’insertion, l’autre en interim en milieu ordinaire.

Sur les 26, 17 ont un travail, dont 3 qui ont plus de 60 ans. Deux autres sexagénaires sont très engagés dans des activités bénévoles (secours populaire, création d’une association d’aide aux familles de détenus). Deux autres retraités vivent avec leur retraite. Trois personnes vivent avec le RMI et cherchent du travail. Un autre a travaillé, puis a passé un BTS et un master ; il est actuellement en recherche d’emploi.

 

Tous éprouvent une réelle culpabilité, du moins en ce qui concerne les actes qu’ils reconnaissent. Mais si sept d’entre eux contestent une partie des accusations, ils n’en veulent pas (à l’exception d’un seul) à la victime, mais bien plus à l’instruction ou au jugement. Ils ressentent de l’inquiétude pour les dommages causés à leur victime, mais ils se sont tous sentis rassurés par les informations qu’ils ont pu obtenir (examens scolaires, formation professionnelle, couple, enfants..)

 

Sur une échelle des sentiments vécus au moment de notre enquête, il apparaît que trois d’entre eux ressentent une réelle sérénité : culpabilité et sanction assumées, pas d’inquiétude pour l’avenir, souci de se réaliser.

 

A l’autre extrémité de cette échelle, quatre personnes expriment encore beaucoup de colère, avec un fort sentiment d’injustice : condamnation trop sévère, procès bâclé… Et pour celui qui en veut à sa fille victime, il lui reproche en particulier de s’être réjouie, au moment du verdict, du montant des dommages intérêts.

 

Tous les autres vivent, profil bas. Bien réinsérés sur le plan professionnel ou (et) affectif, conscients d’avoir profité de la condamnation et du séjour en prison pour mûrir, grandir, et s’affirmer, ils expriment tous cependant un sentiment de peur important, avec des causes variées : à commencer par la peur d’oublier de donner son adresse à la gendarmerie chaque année avec le risque de retourner en prison et de payer une lourde amende (obligation considérée par la plupart comme une double peine et un marquage social à vie), peur d’être convoqué, suspecté et mis en garde à vue si un enfant est agressé dans la région (mais l’existence du fichier ADN est pour eux une sécurité), peur du regard que peuvent porter des membres de l’entourage si un enfant s’approche d’eux, peur des enfants tout simplement, non pas par peur de commettre un abus, mais par peur de l’interprétation qui pourrait être donnée par l’entourage. Un seul exprime sa peur de (et sa colère contre) la victime elle-même qui continue, 8 ans après la fin de peine, à traiter son père de pédophile dans la grande surface où ils se rencontrent parfois, ce qui l’amène à sortir de chez lui le moins possible.

 

Ils ont par ailleurs tous découvert l’importance du dialogue avec l’autre. L’incapacité d’exprimer les émotions, les craintes, les désirs, l’impossibilité de parler de soi, les caractérisaient en effet tous avant leurs passages à l’acte. La mise en mots de leurs actes lors de l’instruction et du procès, la réflexion quotidienne réalisée dans le silence de la cellule, et le travail thérapeutique, leur a appris à communiquer sur leurs émotions. Le travail thérapeutique a permis également la reconnaissance des traumatismes subis dans le passé, la prise de conscience que leurs violences agies pouvaient être une mise en actes des violences subies et jamais parlées, et donc une mise à distance de ces souvenirs délétères. Ce souci d’expression des émotions, des désaccords, cette possibilité de se confier à quelqu’un, ont permis en outre un contrôle émotionnel qui permettra d’éviter d’autres passages à l’acte, y compris des violences non sexuelles. Ils reconnaissent tous en effet l’intérêt du suivi psychologique réalisé pendant la détention, que ce suivi ait été clairement demandé par le condamné ou qu’il ait été fortement « incité » par le Juge d’Application des peines.

 

Les conjointes (anciennes) que j’ai rencontrées constatent avec satisfaction cette capacité nouvelle à échanger, et donc à dialoguer dans le couple. Toutefois, elles reconnaissent que le caractère n’a pas pour autant profondément changé. Ils ne sont pas devenus des anges pour autant. La susceptibilité pour l’un, le « mauvais caractère » ou la rigidité pour un autre, le manque de participation aux tâches ménagères pour un autre… sont toujours présents. Quant aux conjointes nouvelles, elles expriment toutes qu’elles ont été surprises lorsque leur compagnon leur a révélé sa situation et les causes de sa condamnation. Mais toutes considèrent, sans aucune inquiétude, que s’il a commis une faute, il a payé pour cela et qu’il n’y a aucune raison pour que cela se reproduise.

 

Curieusement, même si la peur d’avoir à retourner en prison est exprimée par la grande majorité, la prison a été vécue comme nécessaire : apprentissage de la loi, de la règle, du respect de l’autre, prise de conscience de la gravité des actes posés, effet dissuasif, « vaccin » (pour ne pas avoir à y retourner…), et souvent aussi comme salutaire puisqu’elle a permis la maturation et la réflexion sur soi. C’est sans doute là qu’apparaît l’intérêt de la cellule individuelle du centre pour peines, comme lieu de réflexion, plus efficace que la cellule surpeuplée de la maison d’arrêt, avec la télévision qui marche parfois 24 heures sur 24. D’où sans doute une des raisons de la moindre récidive chez les personnes condamnées à de longues peines (crimes, donc viol).

 

Toutes les personnes interrogées reconnaissent donc la légitimité de la sanction subie. De plus, deux d’entre eux se sont dénoncés eux-mêmes après que les faits (cessés depuis plusieurs années) aient été révélés dans la famille. Toutefois, ceux qui ont été condamnés aux plus longues peines considèrent que le travail de compréhension de leur crime, et de restauration de soi, n’avait pas besoin d’une telle durée d’incarcération. Deux à trois ans auraient suffi. Et trois d’entre eux ont émis l’idée d’un travail sur soi dans un lieu thérapeutique autre qu’une prison, avec le maintien d’un travail rémunéré qui permette de payer plus rapidement les dommages dus à la victime.

 

Au terme de cette étude préliminaire, les conclusions provisoires ne peuvent concerner que les personnes condamnées pour des abus sexuels intrafamiliaux. Il apparaît dans cet échantillon que la crainte de la récidive ne les concerne pas, alors qu’ils sont pour la plupart anxieux devant le jugement de l’environnement social, sans pourtant que cela handicape leur insertion sociale ou professionnelle. Soulagés par l’arrêt des abus, par la révélation et par la sanction, et néanmoins perturbés par la sévérité et le rejet de l’environnement à leur égard.

 

Il convient d’élargir la recherche à un public plus vaste et plus représentatif, qui permettra peut-être de répondre à la question de la différence de nature entre les actes pédophiles (extrafamiliaux) et les actes incestueux (intrafamiliaux), et donc d’imaginer la possibilité de modes de traitement différents pour ces deux types de déviance.

 

Des contacts sont en cours en vue d’associer les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation à la poursuite de cette recherche. Le questionnaire destiné aux personnes ayant purgé leur peine portera d’une part sur les conditions de vie après la sortie de détention : logement, travail, vie relationnelle et affective, sur les soins éventuels (suivi psychologique, traitements médicamenteux). L’accent de la recherche étant mis sur la non-récidive, il ne paraît pas opportun de se demander pourquoi et comment ils ne récidivent pas, mais bien de chercher à avoir comment ils vivent aujourd’hui dans un environnement soupçonneux. Il faudra néanmoins interroger sur le vécu de la sanction et de la détention, et aussi sur le degré d’empathie pour la ou les victimes.

 

 

Michel SUARD

Psychologue, thérapeute familial

Association de Thérapie Familiale Systémique CAEN

Membre de l’ARTAAS

michel-suard@orange.fr

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