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Un colloque sur les mères des enfants victimes d’inceste s’est tenu à Paris le 30 janvier dernier. L’association des Dr Jean Bru qui gère une Maison d’Enfants à Agen spécialisée dans l’accueil des jeunes filles victimes d’inceste organisait et animait ce colloque avec des intervenants variés : sociologue, psychiatres, psychologues, juristes et magistrats, travailleurs sociaux. Les actes de colloque sont parus aux Editions Eres sous le même titre que le titre du colloque : « Inceste, lorsque les mères ne protègent pas leur enfant ». (Voir aussi le site de l’association des Docteurs Bru : www.maison jeanbru.org sur lequel on peut demander les actes des précédents colloques de cette association)

 

Il est inhabituel d’aborder cette question des mères d’enfants victimes d’inceste. On a plus l’habitude de s’intéresser, que l’on soit magistrat ou soignant, au vécu de la victime et à la personnalité de l’auteur. D’où l’intérêt d’une telle étude qui aborde le sujet dans une perspective plus large que ce que j’ai pu écrire dans ce blog il y a quelques mois (cf « les mères des enfants victimes d’abus sexuels dans le cadre familial »).

 

Les divers intervenants de ce colloque ont beaucoup insisté sur l’ambivalence des mères face à l’inceste du conjoint sur leur enfant. J’ai de même éprouvé une certaine ambivalence tout au long de ce colloque dans la mesure où je ne retrouvais pas la totalité et la variété de mon expérience professionnelle de thérapeute dans ce domaine.

 

Le titre du colloque, et de l’ouvrage qui présente les actes, est lui-même ambigu :

« Inceste, virgule, lorsque les mères ne protègent pas leur enfant ». On peut comprendre que le colloque traite de certaines situations d’inceste, celles où les mères n’ont pas été protectrices. Mais on peut aussi comprendre que l’inceste, c’est lorsque les mères ne protègent pas leur enfant, ce qui les rendrait alors indirectement responsables des passages à l’acte incestueux du conjoint. Or, j’ai eu le sentiment tout au long de la journée que les intervenants oscillaient entre ces deux « définitions ».

 

Certes, il a été fort bien précisé qu’il n’existait pas un inceste, mais des processus d’inceste, et que parmi les figures des mères d’enfants victimes, on pouvait distinguer des mères complices, mais aussi des mères sécures qui interviennent dès qu’elle sont informées, qui se montrent protectrices en quittant leur conjoint, des mères ambivalentes et incrédules, et aussi des mères tout à fait insécures qui accusent leur enfant de mensonges et se montrent indifférentes à sa souffrance.

 

A été souligné également le risque de disqualification de la mère par des policiers enquêteurs lorsqu’ils lui reprochent plus ou moins explicitement de ne pas être intervenue pour empêcher la transgression incestueuse.

 

Mais c’est l’ambivalence maternelle qui retient le plus l’attention des intervenants, même chez les mères qui dans un premier temps ont reconnu la réalité de l’agression subie par l’enfant, mais qui, dans un second temps hésiteraient ou abandonneraient  presque inévitablement leur rôle de protection et de soutien.

 

Je peux comprendre que les victimes d’inceste qui fréquentent la Maison d’Enfants d’Agen, ou qui consultent les professionnels, soient des personnes gravement perturbées, et d’autant plus en souffrance lorsque leurs mères n’ont pas été protectrices. Ces victimes d’un « meurtre d’identité », d’un « meurtre psychique » pour reprendre des termes cités lors du colloque, ont vécu un traumatisme profond et le travail thérapeutique entrepris nécessite en effet que la mère soit associée pour permettre une reconstruction de la victime.

 

Toutefois le terme même, couramment employé, de « meurtre psychique » ne me convient pas, même dans les cas les plus graves. Je ne suis que thérapeute. Je ne me considère ni comme un croquemort, ni comme un thaumaturge capable de dire à la victime « Lève-toi, et marche ». Je ne peux me résoudre à considérer ces personnes comme mortes, même si c’est « seulement » psychiquement, et je me contente de les accompagner sur le chemin de la reconstruction en m’appuyant sur leurs nombreuses ressources.

 

De plus, il se trouve que les victimes d’inceste que j’ai rencontrées étaient loin d’être « détruites ». Il existe en effet, à côté des  victimes effectivement traumatisées, voire démolies par la relation incestueuse, des personnes qui n’ont pas vécu cette relation comme un traumatisme même si elles en ont bien perçu l’anormalité et l’interdit, qui n’ont donc pas vécu cette relation comme une rupture du lien de filiation même lorsque l’auteur est bien le père. J’ai rencontré des victimes perturbées par l’inceste, mais qui voulaient comprendre ce qui leur était arrivé, qui voulaient maintenir un lien « parce que c’est quand même mon père », affirmant ainsi leur volonté de maintenir le lien de filiation, assurément « abîmé » par l’auteur.

 

J’ai rencontré de telles victimes pendant l’incarcération de l’auteur. Peut-être se sentaient-elles protégées par l’emprisonnement du parent abuseur. Mais certaines d’entre elles, psychologiquement bien vivantes, ont voulu reprendre des liens (non incestueux !) à la sortie de prison.

 

J’ai aussi rencontré des familles, certes perturbées par une situation d’inceste ancienne qui n’avait jamais été judiciarisée. Les liens maintenus entre les membres de ces familles ont parfois été compliqués, mais la mise en mots des déviances passées, et du vécu des ces déviances par la victime, par l’auteur et par les autres membres de la famille, a pu rétablir un fonctionnement plus serein, sans rupture ni traumatisme. Et dans ces situations, le rôle et la place de la mère se sont révélés en effet déterminants.

 

Dans cette importancede travailler avec les mères, a été évoquée la nécessité « d’aider notamment la mère à surmonter le conflit de loyauté qui ne manque pas de survenir entre son conjoint et sa fille ». Cette aide semble bien consister essentiellement à convaincre la mère qu’elle doit faire le choix de la protection de sa fille, et donc à rompre avec le conjoint. Vouloir maintenir un lien protecteur à la fois avec le conjoint et avec l’enfant serait nécessairement vécu par l’enfant victime comme une trahison.

 

C’est sûrement vrai dans un certain nombre de situations. Mais, là encore, la généralisation n’est pas possible. Elle est même dangereuse car elle condamne les mères qui réussissent à se partager entre la protection réelle de leur enfant et le soutien, bien souvent « maternant », à un conjoint immature à qui elles souhaitent pardonner. C’est d’ailleurs sur ce plan là, celui des rôles et des places de chacun, que la thérapie aura à travailler pour tous les membres de la famille.

 

J’ai en effet rencontré un nombre important de mères qui n’ont pas quitté leur conjoint après la révélation de l’inceste. Ce fut le cas en particulier lors d’entretiens familiaux en prison, la victime tenant à participer à ces rencontres, les doutes et les inquiétudes n’étant portées que par l’environnement psycho-socio-judiciaire, et pas du tout par la famille, sans qu’il soit possible pour autant de considérer que la famille était dans un déni de la réalité des abus, puisque les faits étaient abordés clairement de même que les dégâts vécus par la victime, en même temps que le contexte enchevêtré d’un fonctionnement familial qu’il convenait de modifier.

 

J’ai déjà évoqué sur ce blog des situations, jugées a priori inconvenantes par l’environnement, dans lesquelles non seulement la mère est restée en couple avec l’agresseur, mais où la mère et l’auteur des abus se sont mariés après la révélation ou après la condamnation, mariages acceptés par la victime, qui a même pu dans certains cas se sentir soulagée ou libérée du lien au père par l’officialisation de cette union. Le vécu de la victime, les motivations du mariage, la nature de la relation du couple, tout cela est à travailler, mais sans jugement préconçu si possible…

 

Le colloque s’est penché également sur la personnalité des pères abuseurs. L’étude présentée porte sur un échantillon de 30 pères incestueux suivis après condamnation par un SMPR (Service Médico-Psychologique Régional), et ainsi diagnostiqués : 5 « pères carencés », 15 « pères passifs, inhibés, dépendants », 7 « pères narcissiques », et 3 « pervers moraux ». Mais la description de la personnalité et l’impact sur la fonction conjugale et paternelle n’a pratiquement concerné que les pères dits « narcissiques », soit ¼ de l’échantillon.

 

Or, pour ma part, j’ai rencontré environ 200 auteurs d’abus sexuels intrafamiliaux en prison et hors la prison. Je sais que cet échantillon, malgré sa taille, ne saurait être considéré comme représentatif puisque ces hommes sont venus me voir pour comprendre, pour ne pas reproduire, pour renouer des liens, ce qui n’est pas le cas de tous les auteurs de crimes incestueux. J’ai toujours de grosses difficultés par ailleurs pour poser un diagnostic précis, différentiel, sur des personnes qui ne présentent pas de pathologies classiques, et que j’ai très souvent considérées comme « normales » ou « névrotico-normales », comme tout un chacun. Je garde le souvenir pénible d’une collègue qui, dans un rapport d’expertise avait osé cette formulation : « il est à ranger dans l’entité nosographique des psychopathes » (cf sur le blog le « parcours de vie » de Lucien, Maryline et leurs enfants, Lucien n’étant à l’évidence en rien un psychopathe !). Je ne sais pas, et je ne veux pas « ranger » les gens de cette façon. Je peux seulement dire que l’immaturité est une caractéristique évidente et première chez tous ces hommes, dont beaucoup m’ont dit avoir « grandi », « mûri » en prison. « Immaturo-névrotiques » donc, pour plus de 80% de l’échantillon, pour reprendre le terme que propose Roland Coutanceau. J’ai peut-être rencontré 1 ou 2 pervers qui trouvaient tout à fait normale leur relation avec leur fille. Le narcissisme n’est pas une donnée essentielle de la majorité de cet échantillon tant leur préoccupation pour le devenir de leur victime est importante. Quelques-uns toutefois se préoccupent plus de leur petite personne que du reste du monde et peuvent donc bénéficier de l’étiquette de narcissiques.

 

En résumé, je pense donc que la clientèle, victimes, mères, auteurs, suivie par les animateurs du colloque, auteurs du livre, n’est pas tout à fait la même que celle que j’ai eu l’occasion de rencontrer. D’où sans doute le décalage apparent entre deux visions différentes.

 

Au risque de caricaturer, je dirais que j’ai entendu parler dans ce colloque de situations où l’inceste a été commis par un père narcissique, tout puissant, déniant la réalité des dommages subis par leur victime, perçue par lui comme toujours consentante, sur une fille d’autant plus psychiquement « morte » que sa mère, même si elle n’a pas été réellement complice de son conjoint, s’est montrée insuffisamment protectrice parce que trop ambivalente. Mère qui doit quitter con conjoint si elle veut confirmer à sa fille sa protection et son soutien.

 

À côté de cette réalité, d’autres situations méritent attention et étude : celles où la victime n’a pas vécu la relation incestueuse comme traumatique, celles où la mère a su croire son enfant, la protéger et la soutenir, sans pour autant rompre le lien avec son conjoint, celles où l’auteur des abus est un être « normal » avec un sentiment de culpabilité réel, qui s’est senti soulagé lors de son arrestation et qui, parfois, est même allé se dénoncer lui-même à la police.

 

Si l’on accepte l’idée que les auteurs d’inceste ne sont pas des monstres, ils peuvent même dans certains cas devenir aidants pour la reconstruction de la victime. Je renvoie à ce sujet aux autres articles de ce blog.

 

Mais entre ces extrêmes, une très grande variété de situations est possible.

 

On sait par ailleurs que de très nombreuses situations d’inceste ne sont pas dévoilées (le fameux « chiffre noir » de l’inceste). Mais dans ces situations restées cachées, les victimes ne sont pas toutes détruites. Elles « vivent avec » un passé souvent douloureux, qui ne facilite pas la protection de leurs enfants à venir, mais qui n’empêche pas nombre d’entre elles de construire une vie à peu près équilibrée, sans intervention des juges ni des psys.

 

L’ouvrage dirigé par Patrick Ayoun et Hélène Romano : « Inceste, lorsque les mères ne protègent pas leur enfant » reste néanmoins un document important, puisqu’il met en avant l’importance du rôle de la mère de la victime dans le travail thérapeutique auprès de la victime.

 

Il ne s’agit pas en effet d’opposer deux visions du processus incestueux. Chaque cas est unique et nécessite une approche comportant le moins possible d’a priori théoriques.

 

L’étude réalisée par l’Association des Dr Bru porte sur les situations d’inceste père-fille. On pourrait penser que cet inceste au sens strict, c’est-à-dire entre deux personnes qui ont un lien de filiation peut être plus destructeur qu’une relation entre un homme et sa belle-fille et que, comme le nomme Pierre Legendre, il s’agit là d’un « crime contre la généalogie », qui détruit les liens de filiation. Pourtant ma pratique, qui a concerné autant des victimes d’un père que d’un beau-père (ou d’un grand-père, d’un frère ou d’un oncle…) infirme cette affirmation. Je n’ai pas noté de différence significative dans le vécu de ces différentes victimes, qu’elles soient fille, belle-fille, petite fille… de l’agresseur. Mais dans tous les cas, la place de la mère dans le fonctionnement familial est importante car, quel que soit le statut de l’auteur dans la famille, la fille victime est toujours la fille de la mère, et il est intéressant de travailler sur le sens que prend pour l’auteur le fait que sa victime soit la fille de sa compagne. Très souvent en effet on peut faire l’hypothèse que la relation incestueuse soit un message adressé à la mère de la victime. Ce qui nécessite une analyse des relations dans le triangle auteur-mère-victime.

 

Restent les cas d’inceste où la victime est un garçon, ceux où l’auteur est la mère… A suivre donc !

 

Michel SUARD

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