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  • : Le blog de l'A.T.F.S.
  • : Le site web de l'association de thérapie familiale systémique - Caen (14)
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Je remercie Claude MICHEL, responsable de l’Ecole des Parents et des Educateurs de l’Orne de m’avoir invité à ce colloque sur les relations entre les familles et les institutions. Il m’a demandé d’aborder deux questions tout à fait complémentaires, d’une part les projections que les institutions se font des familles, et d’autre part la place d’un thérapeute familial dans une institution.

  1. COMMENT LES INSTITUTIONS SE REPRÉSENTENT-ELLES LES FAMILLES ?

Je me suis souvent posé cette question de l’image que les familles pouvaient avoir des institutions, dans la mesure où j’ai travaillé dans de nombreuses institutions diverses et variées, en tant que psychologue, thérapeute familial, mais aussi parfois superviseur ou formateur. Institutions aussi variées que IME (Instituts médico-éducatifs), ITEP (Instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques), MECS (Maisons d’Enfants à Caractère Social), Hôpitaux psychiatriques (adultes et enfants), Maisons de Retraite, CHRS (Centres d’Hébergement et de réadaptation Sociale), Etablissements scolaires, Foyers de l’enfance, Foyers d’ados, Prisons, Placements familiaux, et, en milieu ouvert, Services d’AEMO (Action Éducative en Milieu Ouvert), SESAD (Service d’éducation et de Soins spécialisés à Domicile), SAVS (Service d’Accompagnement à la Vie Sociale) et service de TISF(Techniciennes de l’Intervention Sociale et Familiale).

Les choses ont énormément changé en un demi-siècle. En disant « un demi-siècle », je n’emploie pas une formule toute faite. En effet, j’exerce le métier de psychologue depuis un peu plus de cinquante ans, ce qui m’a permis de voir les évolutions des représentations quant à la place que les institutions accordent aux familles des enfants ou des adultes « pris en charge ». Néanmoins, je ne me situe pas en historien, mais en simple témoin.

Globalement, les institutions ont progressivement donné de plus en plus de place aux familles. Mais cette évolution est loin d’être linéaire, puisque dans mes premiers contacts avec les institutions, j’ai rencontré à la fois des établissements créés par des parents (il s’agit des Papillons Blancs, à leurs débuts) et des internats, pour enfants et pour ados, qui ignoraient complètement l’existence des parents.

En ce qui concerne les Papillons Blancs, j’ai travaillé dans deux établissements dirigés par des parents d’enfants handicapés mentaux pour des enfants (Instituts Médico-Pédagogiques) et des adolescents (Instituts Médico-Professionnels) qui n’avaient aucune place dans la société et en particulier à l’école. Ces associations de parents militants ont été obligées – non sans difficulté au départ – de faire appel à des professionnels, éducateurs, Aides Médico-Psychologiques, psychiatre, psychologue…, et se sont donc professionnalisées. Mais avec des difficultés pour les professionnels lorsqu’ils voulaient limiter les admissions à ceux qu’on nommait alors des « débiles profonds ». J’ai ainsi rencontré un adolescent Infirme Moteur Cérébral, complètement mutique, dont les parents étaient parmi les promoteurs de l’établissement. Il était dit de lui qu’il avait appris à lire, mais aucun son ne sortait de sa bouche. J’ai réussi un jour, après plusieurs tentatives, à lui faire écrire quelque chose. Je n’ai pas été peu surpris de la phrase qu’il a alors écrite, en lettres détachées, mais sans une faute d’orthographe : « je hais les papillons blancs » !... Il n’était effectivement pas à sa place dans cet établissement, mais il est vrai qu’il n’existait alors aucun autre lieu d’accueil que celui créé par ses propres parents.

A l’inverse, à la même époque (1964) un IMP, un foyer pour adolescentes délinquantes, une Maison d’Enfants, fonctionnaient pratiquement sans aucun contact avec les familles. Dans l’IMP, j’avais été frappé de constater la bonne tenue des dossiers médicaux et scolaires, mais frappé aussi de l’absence de tout renseignement d’ordre social ou familial. L’idée de base de l’époque étant que les troubles présentés par l’enfant et qui avaient justifié son placement en institution étaient la résultante d’une incompétence, d’une carence de la famille. C’était « la bonne institution contre la mauvaise famille ». Il fallait couper l’enfant de sa famille et lui procurer des conditions d’éducation meilleures au sein de l’institution pour lui permettre de se construire et d’évoluer favorablement. Ce processus de « parentectomie » était la règle dans nos pratiques socio-éducatives. L’institution était donc définie comme meilleure que la famille.

Dans cet IMP, des parents se sont un jour manifestés pour signaler qu’un éducateur avait eu des attouchements sexuels sur leur enfant. C’est donc que les parents n’étaient pas si éloignés que cela de la vie de leurs enfants ! Mais l’affaire a été vite étouffée, l’éducateur concerné ayant simplement été invité à démissionner. J’ai été surpris à la rentrée suivante de retrouver cet éducateur embauché dans une autre institution où j’intervenais également. Nouvelle plainte d’un parent. Nouvelle invitation à démissionner. À cette époque, c’était il y a 50 ans !, ce problème était très vite étouffé, la bonne image de l’institution devant passer avant l’intérêt et le soin à l’enfant victime. C’est néanmoins dans le secteur de la rééducation, de l’enfance inadaptée, que les silences sur ces situations d’abus par des professionnels ont été levés en premier et les situations judiciarisées, avant que l’Éducation Nationale, puis tout récemment l’Eglise catholique, fassent à leur tour (et ce n’est pas encore gagné) leur aggiornamento.

Je ferme cette parenthèse sur les risques pédophiliques qui montrent toutefois que l’institution peut être parfois plus nocive que la famille. Mais, je reste dans le domaine judiciaire pour souligner que jusqu’en 1984, les décisions de placement judiciaire (donc dans les secteurs de la protection de l’enfance) se nommaient des « jugements définitifs », qui n’étaient revus que si quelqu’un en faisait la demande (l’établissement ou plus rarement la famille dans la mesure où elle ne connaissait pas souvent ce droit de demander). A côté des « jugements définitifs » existaient aussi des « ordonnances de placement provisoire », mais il n’était pas rare que ces décisions provisoires soient oubliées jusqu’à la majorité de l’enfant.

En 1984, les décisions judiciaires sont devenues révisables au minimum tous les deux ans. Et en 1986, la réforme du droit des usagers de l’Aide Sociale à l’Enfance a limité à un an la durée des recueils temporaires (toutefois renouvelables…) Plus tard, l’accès de la famille au dossier judiciaire est devenue possible sous certaines conditions.

En 1989, dans le domaine du handicap, la réforme des Annexes XXIV de la sécurité sociale a demandé que l’on prenne en compte l’importance et la place de la famille. Tous les établissements pour handicapés ont alors été tenus de reformuler leur projet institutionnel qui devait prévoir la réalisation d’un projet individuel pour chaque enfant avec la participation des familles à l’élaboration de ce projet. Je participais à cette époque, en tant que représentant de la profession de psychologue, à la Commission Régionale des Institutions Médicales et Médico-Sociales (CRISMS) chargée d’examiner ces nouveaux projets des institutions de la région. En fait, nombre d’établissements, de structures, fonctionnaient encore avec cette idée non exprimée que la famille est coupable des difficultés de l’enfant. Aussi, bien souvent, et pour satisfaire aux nouvelles règles des Annexes XXIV, on se contentait de faire signer aux parents un projet pour l’enfant qui avait été élaboré et rédigé par l’équipe de l’institution.

Autre exemple de « parentectomie », dans un établissement de « Papillons Blancs » devenu très professionnalisé. Je travaillais alors (dans les années 75-80) dans un service d’AEMO et nous venions d’être chargés d’une mesure d’AEMO administrative dans une famille dont un enfant était admis aux Papillons Blancs. Cet établissement venait de décider le placement de cet enfant dans une famille d’accueil compte tenu de l’incapacité des parents de faire face au handicap de l’enfant. Lors d’une réunion de prise de contact avec l’établissement, je me suis étonné de cette décision de placement. Si l’enfant était en danger chez ses parents, il me paraissait plus judicieux de faire appel au juge des enfants. Mais le psychiatre m’a coupé d’un refus catégorique : « le juge ? sûrement pas, il écoute les parents ! ». L’enfant appartenait bien à l’institution, seule apte à répondre à ses besoins, et les parents n’avaient pas leur mot à dire.

La loi de 2002 sur les institutions sociales et médico-sociales a plus encore renforcé cette « obligation » de « mettre l’usager au centre du dispositif » et d’associer les familles à l’élaboration du projet individuel.

Mais qui, dans l’institution, va se charger de ce lien avec la famille de l’enfant admis, confié, placé ? En 1965, avec le psychiatre avec qui j’intervenais, et aux Papillons Blancs, et dans l’IMP déjà cité, nous avons demandé et obtenu l’embauche d’une assistante sociale, afin de créer, voire de recréer des liens avec les familles. C’était le début de ce que l’on connaît sous le nom de « service de relations-familles » assuré par un travailleur social, mais pas toujours en lien avec le reste de l’équipe. Ce peut même être, souvent, un moyen de tenir la famille à distance de l’institution. Même époque, dans une Maison d’Enfants, Avner Ziv, le psychologue qui m’avait précédé avait fait sa thèse de doctorat (1965) sur la vie des enfants en collectivité. Il notait dans ses conclusions que « les relations des enfants avec les parents se détériorent au cours du placement, et nous pensons que ceci pourrait, dans une certaine mesure au moins, être évité si le Service Social s’efforçait de maintenir les liens entre les familles et les enfants pendant le placement ». On notera qu’il évoquait le maintien du lien parents-enfants mais nullement le lien entre la famille et l’institution.

C’est au début de ce siècle que différents rapports (rapport Naves-Cathala, rapport Roméro), rédigés à la demande du ministère de la famille, ont commencé à parler de co-éducation, et de co-responsabilité éducative. Voici un passage particulièrement significatif : « L’amélioration des relations parents-enfants-professionnels suppose en premier lieu de prendre en considération la question du rôle et de la place des parents dans l’éducation de leurs enfants, notamment à l’école, dès le plus jeune âge de l’enfant. Mais aussi de ne pas en inférer que les autres acteurs ne seraient pas comptables en cas de négligence de la part des parents… S’il est important de renvoyer chaque parent à sa responsabilité, il est également important de renvoyer chaque acteur éducatif à la sienne en posant avec force les principes de co-éducation et de co-responsabilité éducative

…Prévenir le plus en amont possible, soutenir la famille en difficulté en milieu ouvert, proposer des alternatives à l’accueil permanent hors du domicile familial, préparer le retour en famille en cas de séparation, lorsque les évolutions nécessaires sont acquises, étayer le retour une fois celui-ci réalisé… Et au-delà, il convient de s’interroger sur les moyens d’articuler les prestations d’aide à domicile aux prestations d’accueil physique de l’enfant.

En particulier, la mise en place d’une mesure d’accompagnement familial et éducatif permettrait de s’inscrire dans une logique non plus d’éducation à destination des enfants, de façon à promouvoir une action globale autour de la famille, respectueuse de l’exercice de l’autorité parentale, en vue d’un partage de l’action éducative entre parents et professionnels. »

Nouvelle parenthèse avec retour à la thèse d’Avner ZIV en 1965 qui notaitde la même manière, mais 35 ans plus tôt : « notre expérience tend à montrer que le placement n’est pas toujours la meilleure solution. D’une part, la séparation des enfants de leurs parents devrait être évitée dans la mesure du possible, et le placement ne devrait être envisagé qu’en toute dernière extrémité. D’autre part, une décision de placement prise à la légère peut être une solution de facilité qui, au lieu d’aider effectivement la famille et l’enfant, ne fait que résoudre très temporairement un problème aigu. D’autres solutions plus efficaces pourraient être trouvées et proposées… une aide financière donnée aux parents,.. le recours à une travailleuse familiale.. un placement familial de courte durée, éventuellement dans la famille même de l’enfant. Ceci permettrait peut-être éviter les prolongations de placement que nous avons souvent rencontrées au cours de notre travail ». Fin de la parenthèse

L’évolution vers cette notion de co-éducation s’est largement inspirée d’une expérience qui datait des années 90 dans le département du Gard, où un juge avait créé un Service d’adaptation progressive en milieu naturel (SAPMN) : placement dans une maison d’enfants avec la possibilité d’autoriser l’hébergement de l’enfant dans sa famille. La maison d’enfants s’ouvre ainsi sur l’extérieur et propose un éventail d’interventions axé sur le partenariat avec les familles qui voient leurs compétences mieux prises en compte. Le 21ème siècle a vu se développer les « placements séquentiels », et la participation des familles aux projets individuels, tant il est clair aujourd’hui que les familles doivent avoir une place dans l’institution, qu’il s’agisse d’une institution pour enfants « placés » par décision judiciaire ou contrat administratif, ou qu’il s’agisse d’enfants « orientés » en établissement pour handicaps physiques, sensoriels, mentaux ou en ITEP.

J’évoquerai un établissement, à la fois IME et ITEP, qui a d’ailleurs toujours eu un peu d’avance sur les textes officiels. Il avait par exemple été un précurseur en créant le premier SESAD de la région rattaché à un établissement. Lorsque j’ai commencé à intervenir dans cette institution, vers 1995, (j’assurais la supervision des équipes éducatives) existaient déjà des rencontres entre les parents et l’ensemble de l’équipe afin de déterminer ensemble ce qu’allait être « le plan de services » qui tenait compte des observations rapportées par les différents professionnels et aussi des attentes et des observations de la famille.

Qu’entend-on par « co-éducation » ? Je citerai ici un passage d’un livre d’un « psycho-éducateur » québécois Gilles Gendreau : « Il s’agit d’un échange entre deux groupes d’éducateurs : ceux qui le sont de par leur fonction parentale et que nous qualifierons tantôt de parentaux et tantôt de naturels, et ceux qui le sont devenus par formation et que l’on nomme professionnels. De par leurs compétences, ces deux types d’éducateurs sont tout à fait complémentaires : la compétence des professionnels les habilite à l’accompagnement éducatif spécialisé ; celle des parents fait d’eux les experts des situations éducatives vécues dans leur famille et son environnement. Aujourd’hui (1995), nous nous demandons si l’un des indices de la compétence d’un professionnel ne serait pas justement son habileté à reconnaître chez le jeune et ses parents des compétences qu’ils ignorent souvent eux-mêmes ».

Je reste au Québec avec Guy Ausloos (qui a été mon formateur en matière de thérapie familiale systémique) et qui décrit l’évolution d’une institution dans ses relations avec les familles des jeunes accueillis, entre 1980 et 1995 : « Il y a une quinzaine d’années, des éducateurs de cette institution se sont avisés qu’il serait intéressant de regarder le fonctionnement des familles avant d’y renvoyer le jeune. Pour ce faire, ils ont invité des familles à venir passer une fin de semaine aux Quatre Vents afin de les observer et d’une certaine façon de les évaluer et de les contrôler. Progressivement, les éducateurs ont réalisé qu’on pouvait tirer plus de cette activité et ils y ont été poussés par des parents qui ont à leur tout proposé aux éducateurs de venir dans la famille, mûs qu’ils étaient par un besoin de réciprocité de ces visites.

A la suite de cela, les rencontres-famille ont évolué et l’institution a commencé à axer beaucoup plus ces rencontres sur le fait qu’il y avait moyen d’offrir à la famille le bon côté de l’institution, à savoir un environnement et des possibilités de détente en fin de semaine.

Progressivement encore, on en est arrivé à une sorte de quatrième étape où actuellement ce qui est essentiel dans les rencontres-famille, c’est le vécu qui peut être partagé entre l’éducateur, le jeune et sa famille au cours d’une fin de semaine qui vient se passer dans l’institution. Partant d’une expérience qui avait plus des visées de contrôle que de changement, malgré un éloignement qui pouvait être un obstacle, on en est arrivé à créer une occasion de rencontre où c’est le vécu partagé qui prime et où les parents et le jeune deviennent réellement les partenaires de l’institution. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas là d’une technique, mais d’une création mutuelle, dans laquelle les parents ont appris à l’institution, et dans laquelle l’institution s’enrichit de ce vécu partagé »

Guy AUSLOOS La compétence des familles Erès 1995.

Dans cette « co-éducation », ce n’est donc plus une assistante sociale ou un « service de relation-famille » qui assure le lien, c’est toute l’institution qui est engagée dans un partenariat avec la famille du jeune. Autre exemple d’une association précurseur, dans un autre département normand. L’association gère plusieurs maisons d’enfants répartis dans tout le département, et les familles peuvent être éloignées du lieu d’accueil de leur enfant. D’où est venue l’idée, vers 1990 comme dans le Gard, d’inviter les familles à venir passer un week-end avec leur enfant dans un gîte proche de la maison d’enfants. Accueil de week-end accompagné à temps plein par un éducateur (donc y compris au moment des courses, des repas, du coucher, du lever). A la fois évaluation et contrôle comme dans les débuts de l’expérience des Quatre Vents, mais aussi partage de loisirs entre parents et enfant(s), et en même temps d’échanges entre parents et institution.

Le placement à domicile avec un accompagnement éducatif soutenu était aussi au programme de cette association. Avec la possibilité, en cas de besoin ou d’urgence, d’accueillir l’enfant en internat pour une durée variable. Ces expérimentations, qui vont dans le sens d’une évolution vers une plus grande participation des familles se trouvent parfois combattues par les financeurs qui considèrent qu’il n’est pas possible de laisser des lits inoccupés…

Il reste difficile malgré tout pour un « éducateur professionnel » de considérer que la famille peut être aussi compétente que lui. Il est toujours difficile de considérer que le professionnel n’est pas plus efficace que le bénévole. Il est toujours tentant de considérer que si tel enfant est « placé » ou « orienté », c’est bien qu’il y a eu une certaine déficience chez les parents, qui, par définition, savent moins de choses que nous. Et pourtant, cet enfant, ils le connaissent depuis bien plus longtemps que nous, et ce ne sont ni nos observations, ni nos réunions, qui vont nous donner la connaissance intuitive et l’expérience, « l’expertise » comme dit Gilles Gendreau, qu’ont les parents et l’ensemble de la famille.

Qu’en est-il du côté des établissements qui reçoivent des adultes ?

J’évoquerai deux institutions : un CHRS tout d’abord (Centre d’Hébergement et de Réadaptation Sociale), CHRS qui accueille des hommes en difficulté sociale, SDF, sortants de prison… Dans cet établissement, les travailleurs sociaux ont mis en place des groupes de parole pour permettre l’expression des difficultés rencontrées par ces usagers, et entre autres la question de l’exercice de la parentalité car beaucoup de ces hommes isolés étaient en même temps parents et bien souvent complètement coupés de leurs enfants. A partir de là est venue l’idée de consacrer un des appartements-relais qui servent aux usagers à se réinsérer progressivement dans la société à des rencontres et même des week-end père-enfants, sans la présence de travailleurs sociaux. Cet « appart à papa » a servi à un certain nombre d’hommes qui étaient aussi des pères. Par la suite, cet appartement a servi aussi à des mères hébergées par une autre association. Je ne sais si cette activité s’est poursuivie. Là encore, les financeurs de ces associations ont constaté que cet appartement n’était pas utilisé à plein temps…

Je terminerai ce panorama avec l’institution psychiatrique. J’ai assuré, depuis 3 ans des formations d’infirmiers dans un hôpital psychiatrique, formation sur la prise en charge des victimes d’agressions sexuelles. Les infirmiers sont très intéressés par des formes d’intervention thérapeutique qui inclue la famille du patient ou de la patiente. Mais ils se heurtent souvent à la réticence ou au désintérêt du médecin chef du service qui, par formation, par idéologie aussi (le patient est un adulte qui doit se dégager de sa famille, plus ou moins envahissante), tend à privilégier le travail en relation individuelle, la famille pouvant être une gêne plus qu’une ressource. Mais la formation ne concerne que les infirmiers et non les médecins ou les cadres soignants…

En résumé, j’ai pu noter une évolution importante vers une plus grande participation des familles à la vie des institutions. On est allé de la « parentectomie » à la « co-éducation ». Toutefois, rien n’est acquis, et encore aujourd’hui, on peut dire que, selon les institutions, la famille peut être considérée

  • encore comme la cause des difficultés du patient, et donc à éliminer
  • ou comme une gêne pour l’autonomisation du patient et pour le travail thérapeutique, et donc à éviter,
  • mais aussi comme l’inévitable récupérateur du patient au terme de la prise en charge (voire au moindre incident), et donc à ménager
  • comme participant aux problèmes du patient, et donc à soigner avec lui
  • comme partenaire de l’action, compte tenu de ses « compétences ». On parle alors de co-éducation.
  1. UN THERAPEUTE FAMILIAL DANS L’INSTITUTION

Dans certains de ces établissements, c’est en qualité de thérapeute familial que je suis intervenu. Mais, en fait, thérapie familiale et Institution me paraissent être des notions antinomiques. Le thérapeute familial peut participer activement au travail de collaboration entre l’institution et les familles à propos du jeune ou de l’adulte admis dans l’institution. Mais de thérapie familiale stricto sensu, point. A moins d’entendre thérapie familiale comme « thérapie avec la famille » (c’est le titre d’un excellent ouvrage d’un italien, Maurizio Andolfi). La famille est alors associée à l’action éducative, à la thérapie, aux soins psy, nécessités par le patient admis dans l’institution. On retrouve alors l’idée de co-éducation évoquée plus haut.

J’ai évoqué cet établissement à la fois IME et ITEP. J’y étais sollicité pour conduire des entretiens familiaux qui réunissaient le (ou la) jeune, ses parents et l’éducateur du SESAD. Afin d’éviter de me trouver dans la situation de soigner une famille dysfonctionnelle qu’on aurait pu considérer responsable des difficultés du jeune, j’avais redéfini mon travail comme une sorte de supervision en direct du travail de l’éducateur. J’étais présent moins pour la famille que pour l’éducateur. J’essayais d’aider l’éducateur (trice) à aider la famille à aider son enfant. Ce qui me permettait par exemple de critiquer l’éducatrice lorsqu’elle ne tenait pas suffisamment compte (à mon avis) des compétences parentales. Ou bien, en copiant ce que m’avait enseigné Guy Ausloos à partir de son expérience dans une institution pour adolescents en Suisse (avant qu’il parte au Canada), pendant que l’éducatrice incitait le jeune à réaliser ses finalités personnelles de formation et d’autonomisation, je pouvais, et en plein accord avec l’éducatrice, inciter le jeune à rester dépendant de ses parents et à ne pas s’autonomiser trop vite. L’idée étant que c’est au jeune lui-même de se sortir de ce double lien scindé, et de choisir entre ses finalités personnelles et ses finalités familiales.

Je suis intervenu aussi pendant plusieurs années dans une maison de retraite, au départ pour la supervision de l’équipe des soignants, après une période où il y avait eu des problèmes de violence sur des personnes âgées. On s’est vite aperçu que ces problèmes de violence avaient quelque chose à voir avec le fonctionnement global de l’institution. Lorsque ces problèmes ont été parlés et traités, j’ai proposé d’axer mes interventions sur les relations entre la famille de la personne âgée et l’équipe de la maison de retraite, en organisant des groupes de paroles de familles avec des membres de l’équipe soignante, afin que chacun s’exprime sur ses attentes, ses craintes, ses observations sur les évolutions ou les involutions du résident. J’ai aussi essayé, mais sans grand succès, de mettre en place des modalités d’admission où la responsable de la maison de retraite rencontrerait le ou la candidate avec le plus possible de membres de sa famille, afin de parler, en présence de la personne âgée, des attentes de chacun et aussi de la demande, (ou de la non demande !) de la personne elle-même. Mais je n’ai pas réussi à convaincre la direction de l’utilité de telles rencontres familiales à l’entrée.

J’ai enfin réalisé des entretiens familiaux en prison (entre 1995 et 2006). La prison est une institution très particulière, un monde à part, mais où l’on a bien conscience de l’importance du maintien de liens entre les résidents et leurs familles. Dans les prisons où je suis intervenu, il n’y a pas de possibilités de « vie familiale partagée » comme dans certains établissements pénitentiaires. Mais les parloirs reçoivent toujours les familles en nombre important. J’intervenais tout particulièrement auprès de détenus condamnés pour des crimes sexuels intrafamiliaux, c’est-à-dire pour inceste, et j’avais prévu dans mon programme d’intervention de rencontrer le détenu avec sa famille toutes les fois que cela serait possible. Il ne s’agissait évidemment pas de thérapie familiale puisque, le plus souvent, c’est moi qui proposais d’être présent lorsque la famille venait voir son détenu. En voici un exemple, très particulier:

. Il s’agit là d’un cas de « culture familiale incestueuse » qui a donné lieu à des entretiens de « groupe de familles » alors qu’il n’y avait pas de demande réelle, mais un intérêt relatif relayé par une demande beaucoup plus nette des conjointes des détenus. C’est un beau cas d’ « enchevêtrement familial ». Ces entretiens familiaux, à visée thérapeutique, ont abordé un dysfonctionnement familial global, mais en utilisant les ressources apportées en particulier par les conjointes des détenus, et aussi les enfants des détenus.

Il s’agit en fait de deux frères jumeaux, mariés à deux sœurs d’une fratrie de 7 filles. Ils ont été condamnés tous les deux à la même peine, pour des abus sur les mêmes victimes, et alors que chacun des deux jumeaux ignorait les abus commis par l’autre.

Ils ont été très vite d’accord pour que je les rencontre ensemble, bien qu’ils ne demandent pas véritablement d’aide. Ils admettaient avoir commis un crime, mais en ayant du mal à en percevoir la gravité pour la victime (un « viol digital » leur paraissait moins grave que des relations sexuelles complètes). Ils étaient sûrs que leur famille leur avait pardonné leur comportement incestueux. Ils attendaient patiemment la fin de leur peine pour pouvoir « vivre en famille comme avant » ! Ils ont accepté facilement, et avec intérêt, que leurs épouses participent à des entretiens lors de leurs visites. Et ce sont les épouses qui ont manifesté le plus d’intérêt, le plus de demande, pour comprendre le pourquoi de ces comportements. Le pardon des femmes n’était pas aussi garanti que l’assuraient ces messieurs et leur retour au foyer familial à l’issue de l’incarcération n’était pas aussi évident.

Le travail qui s’est mis en place n’est évidemment pas une thérapie familiale classique. Les entretiens ont eu lieu environ tous les deux mois, lorsque la famille venait rendre visite aux détenus. Ce n’est donc pas moi qui fixais le calendrier des rencontres.

Dans cette famille enchevêtrée, on retrouve les éléments qui me paraissent tout à fait caractéristiques des familles incestueuses (et même des familles maltraitantes en général), c’est-à-dire des problèmes de communication, des problèmes de distances interpersonnelles et intergénérationnelles, et des problèmes de contrôle des affects et des actes.

Les problèmes de communication dans cette famille étaient importants, tant dans chaque couple que dans l’ensemble de la famille élargie. Ils ont d’ailleurs été surpris de constater que la communication s’était nettement améliorée entre eux depuis la condamnation. (C’est en fait une constatation assez générale. La « révélation », les interrogatoires, l’instruction, le procès d’Assises, ont déjà mis des mots sur ce qui était jusqu’alors secret et innommable). On pouvait maintenant parler de choses « secrètes », de sexualité par exemple. On pouvait évoquer les inquiétudes pour l’avenir de chaque couple compte tenu des comportements antérieurs. Les conflits dans la famille élargie étaient fréquents et assez changeants. La condamnation des deux frères avait rapproché les deux couples qui jusqu’alors ne s’entendaient guère et les avait soudés, contre le reste de la famille.

Leur rapprochement était même saisissant. Bien sûr la prison avait maintenu ensemble les deux frères et j’avais moi-même encouragé ce rapprochement en voulant voir ensemble les deux couples. Lors de chaque entretien, alors que j’avais installé leurs quatre chaises en arc de cercle, je les retrouvais sur une seule ligne, les quatre sièges collés, chaque jumeau tenant sa conjointe un bras autour du cou. J’ai alors exprimé ma surprise, mais j’ai accepté cette définition de leur relation qui montrait à quel point ces deux couples étaient à la fois jumeaux et soudés.

Lors d’un entretien, les femmes sont venues chacune avec un fils. Contrairement à ce que j’espérais, cela n’a fait qu’accentuer le processus. Chaque enfant s’est assis à côté de son père, collé à lui, sans qu’il soit possible de prendre de la distance, et comme si la séparation était dangereuse pour les uns ou les autres. Et j’ai pu me rendre compte que si les couples pouvaient aborder assez facilement nombre de leurs problèmes, la communication chez les fils restaient un problème sérieux. Il se sont en effet montrés pratiquement mutiques en dépit de mes nombreuses sollicitations (mais peut-être aussi inhibés par cette pénétration à l’intérieur de la prison ?). Communication encore limitée, distances inexistantes qui évoquaient plutôt une fusion sans individualité, ce qui pouvait faire craindre que le fonctionnement familial incestueux soit en risque de se reproduire si la famille n’introduisait pas de changements dans sa façon d’être.

Mais lors de l’entretien familial suivant, sans les enfants, j’ai eu la surprise de voir les 4 chaises restées à la place où je les avais mises. Ils avaient commencé à « prendre leurs distances » et à se différencier. J’ai pu alors reprendre des entretiens individuels avec chacun des jumeaux, et l’un des jumeaux, Jacques, le père de la principale victime, m’a annoncé que sa femme et sa fille souhaitaient venir pour un entretien. Le copain de la fille était également présent, et Jacques a pu dire à sa fille qu’elle avait bien fait de révéler ce qui s’était passé et qu’elle n’avait pas à se sentir coupable de quoi que ce soit, la condamnation étant tout à fait légitime en raison des actes commis. Mon patient, le « patient désigné », c’était l’auteur du crime sexuel condamné par la société. Mais la victime, c’était sa fille, et dans cet entretien, c’est l’auteur des abus qui a su « réparer » la victime et la déculpabiliser (les victimes se sentent souvent coupables d’avoir fait condamner leur agresseur). L’individualisation avait fait son chemin, au rythme de la famille. Le changement était évident.

Un mot de conclusion sur l’évolution des représentations de la famille, en lien avec l’évolution des connaissances en matière de protection de l’enfance. On (nous, les professionnels) a d’abord pris conscience de l’existence des mauvais traitements, physiques, puis sexuels sur les enfants. On a mis en place des programmes de prévention, qui ont surtout permis d’améliorer les révélations et donc le dépistage, beaucoup plus que la prévention. Les sanctions des auteurs de maltraitance se sont progressivement aggravées (avec l’idée de coupure nécessaire entre l’adulte violent et l’enfant victime). Mais en même temps, on s’est rendu compte qu’à côté du traitement de la maltraitance, il serait opportun de promouvoir la bientraitance, ce qui implique de mettre en place des actions de soutien à la parentalité (la véritable prévention), d’être attentif aux compétences parentales, et aussi de reconnaître l’existence de la résilience.

Et, dans cette évolution, le travail du thérapeute systémique est bien de tenir compte d’une part de tous les membres d’un groupe familial, et d’autre part des relations de ce groupe familial avec son environnement, et tout particulièrement avec les institutions fréquentées par l’un ou l’autre des membres du groupe familial…

Michel SUARD

Flers, 10 juin 2016

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Published by suardatfs - dans compétences parentales