J’ai eu l’opportunité – le privilège – d’assister aux auditions publiques de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, les 13 et 14 février, à paris. J’ai été très impressionné par le dispositif mis en place par le Garde des Sceaux. Nicole Maestracci, (première présidente de la Cour d’Appel de Rouen, mais aussi très préoccupée par les problèmes de l’insertion puisqu’elle est aussi présidente de la fédération nationale des Associations de Réinsertion Sociale (FNARS) et qui vient depuis peu d’être désignée par le Président de la République pour siéger au Conseil Constitutionnel) avait été choisie par Christiane Taubira pour organiser, en toute indépendance, le comité d’organisation de cette conférence de consensus et pour en former le jury.
La « conférence de consensus » est un outil de travail souvent utilisé en médecine et aussi parfois dans le domaine social, mais qui n’avait encore jamais été utilisé dans le domaine de la Justice. L’objectif clairement formulé par la Grade des Sceaux était de rassembler les connaissances, les recherches, les expériences, en France et à l’étranger, sur la question de la récidive, dans le but d'élaborer, à partir de données scientifiques évaluées, des propositions de prévention de la récidive de la délinquance. La ligne politique définie consistait à sortir d’un fonctionnement de la justice qui traite la récidive par de plus en plus de répression, de peines automatiques, suite à des lois votées sous l’effet de l’émotion –légitime – provoquée par des drames très médiatisés, mais sans qu’aucune évaluation de ces lois votées ait jamais été réalisée. Or, de 2005 à 2012, ce sont 8 lois successives qui ont été votées par le Parlement dans le but de « traiter » la question de la récidive.
Demande corollaire de la ministre : puisque les études et les pratiques à l’étranger ont déjà démontré que l’emprisonnement n’était pas un moyen efficace d’éviter la récidive des condamnés, réfléchir à la possibilité de créer une peine principale – individualisée – qui ne soit pas l’incarcération. Autrement dit : comment remplacer le mode de pensée qui considère : prison en priorité, sinon, peines « alternatives » à l’incarcération, par un fonctionnement qui privilégie des sanctions dans la communauté, la prison n’intervenant que comme une alternative, ou bien restant privilégiée dans les crimes et délits les plus graves.
Le comité d’organisation, présidé par Nicole Maestracci a, dans un premier temps, entendu et recueilli des contributions orales et écrites d’une soixantaine d’organisations, associations, comités, fédérations, aumôneries, concernées par le sujet étudié (depuis l’académie de médecine jusqu’aux syndicats de policiers, en passant par l’observatoire international des prisons et l’association des maires de France), ce qui a abouti à un document de 600 pages, remis aux 20 membres du jury. Ce jury, très varié et très ouvert, était composé de magistrats, d’universitaires, philosophe, économiste, chercheurs (dont un canadien), de personnels pénitentiaires (directeur de prison, conseillers d’insertion), policier et gendarme, responsables d’associations (dont un ancien détenu), psychiatre, maire, avocat, journaliste (suisse). Et il était présidé par une ancienne juge, belge, et vice-présidente de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Le travail de cette conférence était bien sous le signe de l’Europe.
Les deux journées d’auditions publiques ont rassemblé plus de 2000 personnes à la Maison de la Chimie à Paris. 27 « experts » se sont succédés à la tribune pour exposer leurs expériences, leurs points de vue, leurs propositions, et pour répondre aux questions des membres du jury.
Les intervenants les plus applaudis par le public au cours de ces deux jours ont été tout d’abord Christiane Taubira elle-même qui a séduit le public par sa compétence, sa connaissance du dossier (elle a parlé près d’une demi-heure sans aucune note), son enthousiasme et son charisme. Parmi les experts, Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, a eu beaucoup de succès, de même que le groupe des 6 détenus venus (en permission de sortie à cette occasion) rapporter les réflexions de groupes de discussion qui s’étaient tenus dans leurs établissements pénitentiaires sur les facteurs de récidive et les moyens d’éviter la récidive. Mme Boulay, représentant les victimes et qui a parlé d’une expérience de justice restauratrice, a été elle aussi très applaudie. De même que les 2 conseillers d’insertion et de probation, qui se sont présentés comme « travailleurs de l’ombre », mais il est vrai qu’ils avaient beaucoup de collègues de toute la France dans la salle.
Le jury a continué ses travaux à huis clos pendant les 2 jours suivants et a formulé 12 préconisations qui ont été présentées le 20 février au Premier Ministre et à la Garde des Sceaux.
Le jury, privilégiant la fonction d’insertion et de réinsertion de la peine, et remettant en cause le dogme de l’efficacité de la prison, préconise la création d’une nouvelle peine de probation indépendante et sans lien ni référence à la prison.
Favorable à une politique volontariste d’aménagement des peines, il recommande l’interdiction de toute « sortie sèche » de détention et l’adoption d’un système de libération conditionnelle d’office, sauf décision contraire du juge.
Le jury estime par ailleurs que la rétention et la surveillance de sûreté, la période de sûreté automatique pour les longues peines, ainsi que les mécanismes automatiques d’aggravation des peines – tels les peines planchers – et de limitation de la possibilité de leur aménagement devront être supprimés.
Insistant sur le caractère exceptionnel de l’emprisonnement, le jury rappelle que la détention devra se dérouler dans des conditions préservant la dignité de la personne et lui permettant, dès le début, de préparer effectivement sa réinsertion.
Christiane Taubira s’est engagée à tenir le plus grand compte de ces propositions dans l’élaboration de la loi pénale qu’elle soumettra au Parlement dans les prochains mois. Est-ce que ces changements, qui semblent aller dans le bon sens, sont possibles dans une société, en France comme à l’étranger, qui se veut toujours aussi sécuritaire ? Ce fut la première question posée par la philosophe, membre du jury. Souhaitons que la Ministre parvienne à convaincre à la fois les députés, de droite comme de gauche, ainsi que l’opinion publique. Mais il faudra aussi convaincre le gouvernement que des moyens humains soient trouvés, en particulier pour assurer l’accompagnement des condamnés « en milieu ouvert ».
Il est possible de voir et d’écouter les contributions des experts lors de ces deux journées publiques, ainsi que les discours de présentation de Christiane Taubira et de Nicole Maestracci sur le site du ministère de la Justice : www.justice.gouv.fr/la-garde-des-sceaux-10016/la-prevention-de-le-recidive-fait-consensus-25111.html
Ou sur le site de la conférence : http://conference-consensus.justice.gouv.fr
Michel Suard