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Le code cache, protège ou révèle un sens par un mélange original d’ordre et de désordre. Trouver un sens consiste à découvrir le titre du mélange.

Michel Serres (in Darwin, Bonaparte et le samaritain)

 

Le sens des mots évolue au gré des évolutions de la société. Faut-il regretter ces évolutions sémantiques, ces déformations du sens originel, ces aggravations ou ces banalisations dues à l’usage ? Il importe pour le moins de comprendre ces évolutions, ces transformations, et peut-être de proposer des alternatives. C’est le but de cette présentation autour de trois notions qui concernent la problématique des déviances sexuelles : pédophilie, abus sexuel et inceste, pour lesquelles la charge émotionnelle qui les accompagne rend difficile la recherche objective du sens.

 

 

PÉDOPHILIE

Le mot pédophilie désigne l’amour pour les enfants. Mais l’étymologie (paidos – philia) n’évoque en rien un amour sexualisé. Ce terme est donc impropre pour parler d’une relation sexuelle condamnable entre un adulte et un enfant.

En grec ancien, plusieurs termes différents traduisent différents aspects du mot « amour » : philia, eros et agapè, auxquels ont peut ajouter storgè qui vise plus particulièrement l’amour filial. Philia est un terme général, qui désigne surtout l’amitié, sans aucune connotation sensuelle. Si j’aime la sagesse (sophia en grec), je peux en faire mon amie, et devenir un «philo-sophe ».  Mais il n’y a rien de sexuel dans cet amour. Lorsque je m’intéresse, comme ici, au sens des mots (logos), et que je joue avec eux, je peux me prendre pour un « philo-logue », mais sans aucune ambiguité de nature sexuelle. Quant au coton, qui est perméable à l’eau, et devient ainsi « hydro-phile », sa fusion avec l’élément aqueux n’a non plus rien de sexuel.

Eros et agapè se révèlent plus engagés dans la sexualité, au point que le pape Benoît XVI a consacré sa première encyclique en 2005, intitulée Dieu est amour, à la distinction entre ces deux aspects de l’amour, en particulier conjugal, l’amour physique, c’est-à-dire eros, et l’amour spirituel : agapè.

Puisque eros désigne tout particulièrement l’aspect « érotique » et donc sexuel de la relation humaine, on peut se demander pourquoi le terme existant : « pédéraste » n’a pas été retenu par les instances socio-juridiques pour caractériser la relation sexualisée avec un enfant. Peut-être la confusion fréquemment faite naguère entre pédéraste  (et son diminutif « pédé ») et homosexuel a-t-elle contribué au rejet de ce terme. Il est vrai qu’il n’était pas rare qu’un homme, homosexuel, soit affublé du sobriquet de « pédé » avec une suspicion d’attirance autant pour des hommes adultes que pour de jeunes garçons. Certains professionnels ont proposé de réserver le terme de pédérastie aux relations entre des adultes et des adolescents. Mais la racine paidos désigne bien des enfants, et l’amour pour des ados porte plutôt le nom d’hébéphilie.  Le diagnostic psychiatrique de pédophilie est réservé aux relations avec des enfants pré-pubères. L’origine du vocable « pédophilie » est en effet à attribuer à la psychiatrie américaine, qui a introduit dans les premiers manuels diagnostics et statistiques de la santé mentale (DSM) dans les années 80 le terme de « paraphilie » (aimer « à côté »), pour désigner toutes les déviances sexuelles, pédophilie, mais aussi hébéphilie, zoophilie, nécrophilie…). Or, un « zoophile » devrait pouvoir aimer s’entourer d’animaux sans pour autant avoir des relations sexuelles avec eux. Un nécrophile devrait pouvoir apprécier la compagnie des morts sans se sentir obligé de faire l’amour avec des cadavres.  L’usage de ces termes comportant la racine «philia» est pourtant passée dans le langage courant et dans le vocabulaire judiciaire. Curieusement, le terme de paraphilie, et son descendant : pédophilie, ont été créés au début du 20ème siècle par un psychiatre qui voulait remplacer le terme de perversion jugé trop violent par un terme plus soft. Or, aujourd’hui, le pédophile est au contraire devenu l’image du mal absolu. C’est regrettable au regard de l’étymologie. Et en ce qui concerne cette forme de grave déviance qu’est la relation sexualisée entre un adulte et un enfant, je préfère utiliser le qualificatif «  pédosexuel » que préconise l’association L’Ange bleu et sa présidente Latifa Benari.  Et n’utiliser qu’un qualificatif plutôt qu’un substantif permet de ne pas réduire la personne à l’acte commis. Les actes pédosexuels rentrent ainsi dans la catégorie de la pédocriminalité au même titre que la pédopornographie.

 

 

ABUS SEXUEL

Le terme « pédophile » est donc un abus de langage. Ce qui m’amène au problème que pose le terme « abus sexuel ». Un certain nombre de professionnels conteste l’utilisation de ce terme pour désigner ces actes que j’ai qualifiés de pédosexuels. L’argumentation utilisée consiste à considérer que l’usage sexuel d’un enfant étant lui-même interdit, le terme d’abus deviendrait totalement inapproprié. On peut faire la comparaison avec la publicité pour les alcools qui comportent tous maintenant la recommandation « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé », ce qui implique que l’usage d’alcool est permis. (Il est même encouragé puisque source importante de revenus pour le trésor public !). Le terme d’abus sexuel sur les enfants pourrait donc de la même manière impliquer l’idée que l’usage sexuel est permis. Mais ce raisonnement n’est entendable que si l’on se situe à la place de l’enfant, si l’on pense comme un enfant victime dont on n’a évidemment pas à user sexuellement. Mais si l’on pense en adulte, les choses sont différentes. Un adulte a le droit d’user de sa sexualité. Il peut même l’user si cela lui chante. Mais lorsqu’il oriente sa sexualité vers un enfant, ou vers une personne vulnérable ou une personne non consentante, là, certes, il commet un « abus ». Le verbe « abuser », le substantif « abus », sont des termes qui ont un sens actif et qui mettent en cause d’abord l’acteur de ces actes abusifs. L’expression abus sexuel sur un enfant est bien un abus de pouvoir. Faudrait-il pour autant condamner l’expression abus de pouvoir ?

Les contempteurs du terme « abus » proposent souvent de lui substituer le terme d’ «agression». C’est une possibilité intéressante, dans la mesure où il s’agit d’un terme juridique, mais qui présente l’inconvénient d’être trop limitatif. L’ « agression » sexuelle est l’une des deux formes de délits sexuels nommés par le code pénal, à côté de l’ « atteinte » sexuelle.  Dans ce cas, il serait donc plus juste de remplacer le mot « abus sexuel » par « agression ou atteinte sexuelle ». D’autant plus que le terme « atteinte » présente un sens passif qui lui permet d’être connoté davantage du côté de la victime. Mais les opposants au terme abus ont la volonté de trouver le terme le plus fort possible, le plus violent possible pour désigner ces atteintes sexuelles sur des enfants, commises, selon le code, soit avec « violence, menace, contrainte ou surprise », pour ce qui est des « agressions », soit sans ces ingrédients, dans le cas des «atteintes ». Mais les contempteurs de l’abus ont tendance à considérer que l’enfant victime est toujours contraint, ou menacé ou violenté, et qu’il ne peut donc être concerné par l’article du code pénal qui définit l’atteinte sexuelle. En fait, entre abus, atteinte et agression, ces professionnels, orientés principalement vers la protection des victimes, recherchent le terme perçu comme le plus violent pour désigner l’auteur des abus.

Puisque le terme abus désigne d’abord l’auteur, il suffit de bien préciser « abus sexuel sur enfant » pour que le sens soit clair. Ou bien le terme le plus approprié ne serait-il pas tout simplement « violence sexuelle » ? L’Observatoire National de l’Action Sociale décentralisée (ODAS) avait proposé en 1994 une définition, toujours actuelle, de la maltraitance sur les enfants : « Un enfant maltraité est un enfant qui subit des violences physiques, des violences sexuelles, des violences psychologiques, des négligences lourdes qui ont des conséquences graves sur son développement physique et ou psychologique ». Ce terme générique de violence paraît tout à fait adapté. Pour ma part, j’utilise indifféremment les termes d’ « abus sexuels sur les enfants » et de « violences sexuelles sur les enfants », en laissant à la justice le soin de distinguer ce qui est de l’ordre de l’atteinte sexuelle, de l’agression sexuelle et du viol.

 

INCESTE

C’est aussi parmi les contempteurs du mot abus sexuel que l’on trouve les promoteurs de l’introduction du mot inceste dans le code pénal. J’ai déjà dit à maintes reprises sur ce blog l’erreur sémantique que constitue cette entrée dans le code pénal. Résumons ici ces critiques.

La plus grande partie des abus sexuels (ou violences sexuelles) sur des enfants est commise par des proches : membres de la famille ou amis qui fréquentent régulièrement la famille. Mais tous ces abus ne sont pas nécessairement incestueux puisque l’inceste désigne des relations sexuelles entre des personnes qui n’ont pas d’accès possible au mariage. Il faudrait donc réserver les termes juridiques d’atteinte sexuelle incestueuse et d’agression sexuelle incestueuse aux situations où cette relation sexualisée a lieu entre des personnes qui n’ont pas, de toute façon, la possibilité de se marier : parents,  grands parents, frères et sœurs, oncles et tantes, comme c’est bien précisé dans le code civil. Dans notre législation, une relation sexuelle, consentie ou non, entre des cousins, ne justifie pas le qualificatif d’incestueux, contrairement à ce que réclame encore par exemple l’association internationale des victimes d’inceste (AIVI). De même, les relations beau-père/belle-fille ou beau-fils, beau-frère/belle-sœur… ne devraient pas être nommées incestueuses. Les limites de l’inceste peuvent varier d’un pays à l’autre ou d’une époque à l’autre. C’est ainsi qu’au 11ème siècle, le mariage entre Guillaume le Conquérant et Mathilde de Flandre a été condamné par le pape Léon IX parce que ces deux personnes étaient cousins au 5ème degré. Ils se sont mariés malgré cette interdiction et leur mariage a été validé 10 ans plus tard par le pape suivant Nicolas II, à condition qu’ils construisent deux abbayes qui témoignent encore aujourd’hui à Caen de cet accord papal. (voir aussi sur ce blog l’article n°47 de Pierrette Lemoine sur l’évolution du concept de violences sexuelles à travers l’histoire)

Mais aujourd’hui, le mariage entre cousins, même cousins germains, est admis par notre code civil.

La définition de l’inceste, telle qu’elle vient d’entrer dans le code pénal, et qui inclut donc les relations par exemple entre  un beau-père et sa belle-fille mineure, est donc inadaptée. Nous avons donc aujourd’hui dans notre code pénal une définition de l’inceste sur mineur, définition qui est différente de la définition, implicite, de l’inceste présente dans le code civil.

Pédophilie et inceste, deux termes inexacts, impropres, qui constituent cependant les deux grandes catégories d’abus sexuels. Je préfère, pour ma part, parler d’une part d’abus sexuels extrafamiliaux, ce qui correspond à peu près à ce qu’on nomme habituellement pédophilie, ou actes pédosexuels,  et d’autre part d’abus sexuels intrafamiliaux, commis sous le toit familial, ce qui inclut l’inceste au sens strict mais aussi les abus commis par beau-père ou famille d’accueil. Nous disposons de peu d’études comparatives sur les différences de vécu des victimes d’abus intra et extrafamiliaux, de même que sur les différences entre les auteurs intra et extrafamiliaux. On sait déjà que les auteurs d’abus intrafamiliaux récidivent beaucoup moins que les auteurs extrafamiliaux, ce qui permet par exemple à l’administration pénitentiaire française d’orienter des condamnés pour des crimes sexuels intrafamiliaux vers la seule prison française « ouverte », à Casabianda en  Corse. On sait aussi que ces auteurs sont en général plus âgés que les auteurs d’actes extrafamiliaux. Et il apparaît que les abus intrafamiliaux relèvent plus d’un fonctionnement familial perturbé que d’un trouble de la sexualité ou d’une pathologie individuelle chez l’auteur. Mais nous aurions besoin d’études plus approfondies sur ces différences.

 

L’usage a déformé le sens du mot pédophile (attention à ne pas trop dire qu’on aime les enfants !...). Une militance virulente cherche à éliminer le terme abus sexuel. La loi impose une nouvelle signification au mot inceste. Le vocabulaire évolue, certes. Il reste à être vigilant sur son utilisation et à ne pas considérer « le » pédophile, « l’ » incestueux, « la » victime, comme des modèles généraux, comme des stéréotypes. Toute généralisation est dangereuse, mortifère, et constitue un abus supplémentaire de langage. Chaque victime d’abus sexuel, chaque auteur d’abus, est un être unique, un être humain complexe, différent de tous les autres et qui possède une quantité d’autres caractéristiques que son état de victime, que ses actes pédophiles ou incestueux.

 

Michel SUARD

30 octobre 2016

 

 

 

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Published by suardatfs - dans Inceste