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Une fois encore, l’actualité traitée de manière urgente, brûlante, risque de privilégier les émotions au détriment de la pensée. Nous invitons les professionnels à la lecture d’un article de Nicole Malinconi [1]

 

Nous vous invitons également à relire le livre « Procès Dutroux : penser l'émotion » (télécharger : procès Dutroux, Penser l’émotion) et notamment l’article de Florence Rault « Les risques de dérive quand l'opinion publique veut rendre justice elle-même » ( Procès Dutroux, Temps d’arrêt , yapaka 2004).  

 

 

Face à son passé et à l’opinion publique

 

Michelle Martin sortira donc de prison dans les prochains jours, après quinze ans de réclusion. Les medias n’ont pu faire autrement que de divulguer la nouvelle avant même que celle-ci soit confirmée (par la décision du Parquet de ne pas recourir à la cassation du jugement), scoop oblige. Michelle Martin « fait » ces jours-ci la une des quotidiens, des journaux télévisés et radio, elle est l’objet d’émissions spéciales, de reportages et tables rondes, dans la même trépidation et la même émotion que lors de son procès, en 2004. Mêmes images aussi : sur les écrans de télévision, on la revoit menottée, sortant et entrant dans le combi de gendarmerie, renouvelant devant la presse le geste d’ouvrir la porte de la cache dans la cave de Marc Dutroux, puis assise, immobile, dans le box des accusés.

 

A croire que le procès est toujours en cours, ou qu’il faudrait le refaire, ou que malgré la condamnation de Michelle Martin à trente ans (et non à perpétuité) et surtout devant le jugement qui la libère aujourd’hui, on préférerait faire fi de cette réalité et perpétuer le rappel de l’horreur pour conforter le vœu d’une réclusion sans limites, éternelle.

 

Peut-être conviendrait-il de laisser l’apanage de ce vœu aux seuls pour qui il pourrait se justifier ou en tout cas se comprendre, les parents des victimes, pour qui la mort atroce de leur enfant ne trouvera jamais réparation ni peine suffisantes, plutôt que de profiter de leur indignation et de leur colère éventuelles pour réclamer quelque chose qui pourrait bien ressembler à une loi du talion ou à un tribunal du peuple. En évitant ainsi de faire quelques discernements. Comme, par exemple, entre les conditions exigées pour une libération conditionnelle et l’obligation d’assumer la responsabilité de son acte.

 

Le tribunal d’application des peines n’a pas conditionné la sortie de prison de Michelle Martin à cette obligation-là, sans doute parce que la libération conditionnelle fait le pari de l’évolution de celui qui a été condamné, son but étant de « ne pas tuer l’espoir » (pour reprendre l’expression de  Pierre Chômé, avocat pénaliste) : allons-nous l’imposer, nous, opinion publique ? Et, à supposer qu’ayant même accompli l’entièreté de sa peine et parvenant au terme des trente ans, Michelle Martin laisse encore à certains l’impression qu’elle « n’a pas tout dit » ou qu’elle ne manifeste toujours pas le moindre repentir, ou qu’elle n’a toujours pas quitté la catégorie des « monstres », l’opinion publique va-t-elle réclamer son enfermement jusqu’à sa mort, sa radiation définitive, au-delà du jugement rendu ?

 

L’obligation d’assumer la responsabilité de son acte n’est pas une obligation judiciaire, mais plutôt une question d’éthique singulière, posée à tout être humain (c’est là, sans doute, la différence avec les aveux d’un procès), à quoi l’on consent ou non à répondre, de quoi l’on subit en soi-même le bouleversement. Lorsque j’ai rencontré Michelle Martin en prison, au cours des entretiens qui m’ont amenée à écrire mon livre [2], en 2006 et 2007, j’ai espéré en  une parole venant d’elle qui aurait dit cela, cette reconnaissance ; j’ai constaté cependant que sa manière de « revenir sur les faits » consistait en une description extérieure à elle-même, comme si elle considérait qu’elle avait cessé d’être « cette femme-là » qui s’était soumise à un homme jusqu’à voir comme si elle ne voyait pas, jusqu’à laisser mourir des enfants  ; j’ai pensé, à l’époque de nos rencontres, que sa manière de parler comme à côté d’elle-même relevait du même déni - toujours là, hélas - que celui qui l’avait entraînée à sa complicité criminelle. Aujourd’hui, j’ignore quel a été son parcours depuis ces quatre années. Je pense que lorsqu’on est prisonnier de cette sorte d’aveuglement, le dessillement des yeux se paie d’un très lourd prix et que l’on est seul à pouvoir le payer.  Je sais pourtant que ces quinze années en prison auront enseigné à Michelle Martin beaucoup de choses, c’est elle-même qui me l’a dit ; et je crois, au nom de mon engagement avec elle au cours de nos rencontres, qu’en même temps que son aveuglement, elle doit détenir en elle, enfouie, la force de regarder en face sa responsabilité et de néanmoins vivre avec cela.

 

On a annoncé son possible départ pour un monastère en France, et l’éventualité de son retour en prison si les démarches avec l’Etat français n’aboutissaient pas. On signale maintenant le refus de la France de l’accueillir…A moins qu’il se fût agi d’un choix de Michelle Martin elle-même ou d’une obligation, c’est à se demander s’il n’existe aucun couvent capable de l’accueillir en Belgique, ou si la société civile belge s’avère tacitement réfractaire à encore lui laisser une place.

 

L’opinion publique préfère la condamnation des « monstres » au nom de la seule émotion, sans discernement quant à la part d’inhumanité mêlée à l’humanité de chacun. Ceci pourrait bien répéter le même aveuglement.

 

Nicole Malinconi

 

 

 

 

[1] Ecrivain, Nicole Malinconi compose à partir du réel de la vie. Dans son livre « Vous vous appelez Michelle Martin » ( Denoel 2008), elle évoquait, de ces rencontres avec Michèle Martin, nos interrogations sur l’humain malgré tout, sur les conséquences de nos actes, sur nos aveuglement ou dénis…Cet article-ci a été publié le 12 mai dernier dans La Libre Belgique

 

[2] Vous vous appelez Michelle Martin, Paris, Denoël, 2008.

 

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