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JURÉE D’ASSISES – Dans les abîmes de l’enfance violentée

 

Article paru dans la revue de l’AFIREM :

« Les cahiers de l’AFIREM, n° 58 - septembre 2013 »

 

 

J’ai entendu récemment, lors d’un colloque, le témoignage de Claudie BROUILLET qui était jurée aux Assises du « procès d’Angers » en 2007. Témoignage bouleversant, riche des émotions vécues et des réflexions qu‘avait fait naître cette expérience étonnante de 3 mois de débats.

 

Elle a éprouvé le besoin d’écrire son ressenti lors des différentes phases de ce procès hors du commun : 71 personnes mises en examen, 44 victimes connues, 3 journées de délibéré pour répondre à 590 questions.

 

Ce recueil de pensées, d’analyses, mais surtout de ressentis face à cette « plongée dans l’enfer » constitue, comme le souligne le magistrat qui préface le livre, « le compte-rendu le plus fidèle tant du procès en appel à Nantes dit des « pédophiles d’Angers », que de la noble et difficile fonction de juré-citoyen ».

 

Après avoir entendu Claudie BROUILLET, j’ai aussitôt acheté ce livre et je l’ai lu le soir même afin de rester avec elle « dans les abîmes de l’enfance violentée » (sous-titre de son livre), mais aussi pour partager sa conclusion : "Dans la fange nauséabonde, nous avons décelé des pépites de belle humanité".

 

En effet, dans un style très poétique, elle parvient à nous faire partager son humanisme, sans complaisance, ni acharnement. Elle nous fait percevoir la complexité de l’âme humaine, en ce qu’elle a de pire et de meilleur.

 

La longue préface d’André LOURDELLE, qui était assesseur lors de cette session d’appel de Cour d’Assises, présente de façon très détaillée le fonctionnement des Assises, et permet de comprendre l’efficacité du travail réalisé par la Justice lors de ce procès.

 

Michel SUARD

 

Ci-après, quelques pages de cet ouvrage (p. 58 à 65) qui vous donneront, sans doute, envie de lire le livre en entier.

 

 

….

L’ogre n’habitait pas au fond des bois

où il aurait suffi de ne pas s’aventurer

 

l’ogre était voisin de palier

et il savait se faire gentil

pour emmener promener à dos de poney

et proposer un  tour en voiture

 

là il se dévoilait, si laid et si terrible,

s’exhibant, menaçant,

imposant sa force et sa volonté

 

et sans doute

n’y avait-il alors qu’à disparaître,

se laisser faire , se laisser absorber

 

devenir buche, pierre,  terre

s’évader de ce corps objet

et tenter d’avoir le moins mal possible

 

quelques minutes de folie, de déchaînement

quelques minutes de râles et de violences

quelques minutes de terreur et de haut-le-cœur

et puis quelques bonbons

l’ordre – menaçant - de se taire

et le retour à la maison

on « nettoyait les cochonneries »

l’ogre repu était à nouveau détendu

une femme parfois vous regardait d’un air inquiet

et l’on vous mettait devant la télé

et un dessin animé

 

L’ogre était le voisin de palier

et chez lui se retrouvaient tous les ogres du quartier

en mal de chair fraîche et trop pas-beaux pour se faire aimer

 

Les ogres étaient voisins de palier

et leurs femmes ne cachaient point les petits pour les protéger

Les femmes étaient à l’entrée

et tenaient les comptes

de ceux qui apportaient et de ceux qui prenaient

C’était devenu une habitude folle

nourrie de mille images de pornographie

et d’innombrables cannettes de bière

L’argent circulait

on se croyait riche

C’était la revanche folle et insensée

sur la misère, sur l’humiliation

C’était le vertige délirant

de qui se croit puissant

parce qu’il soumet, à son instinct, des enfants…

C’était sans doute la stupide reproduction

pour ces êtres de peu d’imagination

de ce que de minables bellâtres

stars de la pornographie

leur avaient montré

dans l’une de ces cassettes immondes

qui remplacent les jeux du cirque…

 

Nul d’entre eux alors

n’a vu

qu’il gaspillait,

piétinait,

détruisait,

le seul trésor que la vie lui avait donné :

l’enfant

 

 

FEMMES

 

Elles sont venues comme témoins,

les femmes,

épouses, concubines

ou ex-compagnes

et encore soeur, belle-sœur

de l’un ou l’autre accusé

et presque toujours, surtout,

mère d’un ou plusieurs enfants victimes de ces hommes

 

Elles-mêmes ont été accusées, condamnées ;

certaines sont toujours détenues

Aucune n’a fait appel

elles purgent une peine – souvent lourde –

qu’elles disent juste

à cause du mal fait aux enfants

 

De leurs hommes, elles ont les mêmes histoires :

Familles misérables, maltraitance dès l’enfance,

illettrisme

S’y ajoute le joug du deuxième sexe

 

Toutes ont connu la violence physique,

les relations sexuelles forcées

à l’intérieur même du couple,

toutes vivant avec la peur,

la terreur parfois de leurs conjoints,

et la soumission sans recul

jusqu’à la complicité dans l’horreur

Elles en ont fait du chemin

depuis qu’elles ont en prison !

 

À l’abri des mâles, protégées,

elles regardent leur vie autrement :

« j’ai toujours été battue par les hommes ;

j’ai découvert ici que ce n’est pas normal »

 

À travers les groupes de paroles

le dialogue avec les travailleurs sociaux,

elles se découvrent

elles se reconstruisent

 

ce n’est pas sans violence intérieure

et la camisole chimique est lourde

pour juguler terreur et angoisse

et atténuer la pression du remords et de la honte

 

avec plus ou moins de courage et de détermination

elles se souviennent :

« on s’est servi de moi comme d’une balle de tennis

qu’on balance dans tous les sens »

elles se souviennent

de l’engrenage où elles ont été prises au piège

laissant leurs enfants dans ce réseau de misère

qui leur était familier

acceptant de l’argent un jour de désarroi,

forcées à regarder,

puis à participer un jour de beuverie,

entraînées dans une spirale sordide

 

Leurs entrailles disaient non

et « elles amenaient leurs enfants, mais ne restaient pas"

ou parfois détournaient la tête

parce que « ce ne sont pas des choses à regarder »

Et quand l’argent leur était versé

elles achetaient des jouets

ou des meubles pour la chambre des petits

 

Des assistantes sociales étaient là

et des éducateurs et des médecins

dans leur grande toile de vigilance et de soutien

attentifs, compétents, disponibles…

mais la femme qui n’a jamais appris à faire confiance

peut-elle se fier à ces émissaires d’un autre monde ?

La femme qui ne sait pour survivre

que manipuler, mentir ou se cacher

peut-elle baisser les armes sans se mettre en danger,

sans risquer de se retrouver seule ?

 

Leurs entrailles disaient non

mais l’une d’elles un jour s’est levée

pour dénoncer

sachant bien qu’elle y perdrait ses enfants

et serait aussi emprisonnée

 

l’une d’elles s’est levée

et, se laissant incarcérer,

les a tous délivrés

 

À l’abri des hommes,

ces hommes qu’ici même elles craignent de regarder,

protégées,

elles se découvrent

et se reconstruisent

« je me sens plus forte depuis que je suis en prison »

 

tout doucement elles ont repris contact

avec leurs enfants

par courrier d’abord

puis de parloir en parloir

 

Elles ont trouvé le courage et les mots

pour leur demander pardon

Elles les savent cassés, abîmés

et sans doute sont soulagées

de ne pas en avoir la charge lourde

 

Si quelques-unes règlent leurs comptes,

se vengent,

changent de version sur les faits en changeant d’homme

d’autres ont fait ce chemin

 

Elles se sont levées

Elles ont choisi le camp des enfants

- et c’était, en prison, leur premier choix libre –

et certaines exhortent leur mari :

« il faut dire le mal qu’on a fait – pour eux –

même si c’est dur »

 

Femmes de France

du début du troisième millénaire

émergeant en prison d’un esclavage innommable

 

Femmes de France

du début du troisième millénaire

découvrant en prison

une inaliénable dignité

 

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