Une étude choc sur les violences sexuelles
L’association « Mémoire traumatique et victimologie » a réalisé récemment et publié, avec le soutien de l’UNICEF, les résultats d’une enquête sur « l’impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte ». Cette enquête a été menée auprès de 1200 victimes de violences sexuelles à l’aide d’un questionnaire (184 questions) diffusé essentiellement par internet. Les résultats et les préconisations ont été présentés lors d’une journée à Paris au Palais du Luxembourg le 2 mars dernier. On trouve le questionnaire et le rapport de l’enquête sur le site de cette association : www.memoiretraumatique.org
Les réponses au questionnaire sont importantes et soulignent la souffrance de ces personnes, même longtemps après les faits dont elles ont été victimes, leur insatisfaction des réponses sociales, médicales et éventuellement judiciaires qui leur ont été données. Ces informations doivent assurément être prises en compte. Mais, car il y a un « mais ».
Cette enquête ne peut être considérée comme une étude sociologique scientifique dans la mesure où l’échantillon des répondants n’est pas représentatif de l’ensemble des personnes ayant subi des agressions sexuelles. De plus, il ne s’agit pas d’une étude qui chercherait à valider une hypothèse. L’introduction du questionnaire adressé aux répondants annonce d’entrée des résultats connus d’avance et présentés comme un acte militant destiné à faire pression sur les pouvoirs publics : « Les violences sexuelles font partie des violences qui ont le plus d’impact sur la santé à court et moyen terme… De nombreuses conséquences psychotraumatiques pourraient être évitées avec une prise en charge de qualité. Or, les professionnels de santé ne sont pas toujours formés à la psychotraumatologie et à la prise en charge des victimes de violence…. Nous militons pour la reconnaissance de la réalité des violences subies par les victimes et de l’impact sur leur santé, et pour l’amélioration de leur prise en charge médicale et pour la formation des professionnels à cette problématique ».
Certaines questions sont d’ailleurs orientées vers des réponses allant dans le sens voulu par les auteurs de l’enquête. Plusieurs questions portent sur les réactions de l’entourage, de la police, des soignants, face à la révélation de violences subies. Questions à choix multiples qui comportent un peu plus de 30 propositions de réponses. Sur ces réponses proposées, 10 évoquent des réponses « positives » (soutien, aide, compréhension), 20 à 22 concernent des réponses négatives (déni, accusation de mensonge, rejet..).
Le caractère militant de l’enquête est confirmé dans le rapport qui précise que « le questionnaire a été diffusé au sein d’un milieu associatif et militant, s’adressant en premier lieu aux femmes victimes de violence ».
L’échantillon non représentatif est confirmé également par les auteurs du rapport qui signalent que la principale limite de l’enquête est due au fait que « le questionnaire a été rempli par des personnes qui se sont senties visées par son sujet, qui se sont senties concernées er qui ont par conséquent passé le cap de l’expression (nous ne disposons pas des réponses des personnes qui souffrent d’amnésie traumatique, sont dans le déni ou ne se sentent pas la force de s’exprimer) ».
Mais la limite la plus importante de l’enquête tient au fait que les responsables de cette recherche font l’impasse sur les personnes qui ont subi des agressions sexuelles et qui, soit n’ont pas été traumatisées, soit se sont réparées après l’agression, sans être porteuses du syndrome de stress post traumatique, qui constitue l’essentiel des questions posées aux victimes ayant répondu au questionnaire.
Les personnes qui ont répondu à l’enquête sont manifestement des personnes qui souffrent encore des violences subies et qui sont à la recherche de soutiens par le biais de forums, de réseaux sociaux, et qui ont ainsi eu connaissance de ce questionnaire. Il n’est donc pas étonnant que 95% des répondants au questionnaire considèrent que les violences ont eu un réel impact sur leur santé mentale puisque les personnes qui ont connu des violences sexuelles mais qui vont bien aujourd’hui n’ont pas répondu au questionnaire puisqu’elles n’en ont pas eu connaissance, puisqu’elles n’ont pas besoin de chercher des informations sur un problème dépassé. Il faut donc bien lire que 95% des répondants au questionnaire affirment que la violence sexuelle subie a eu des répercussions sur leur santé mentale, et non pas 95% des personnes ayant subi des violences sexuelles.
Pour les auteurs de l’enquête, n’existent que des victimes, qui souffrent du syndrome de stress post traumatique. Quant aux auteurs, ils sont désignés au début du rapport sous le terme de « prédateurs ». Ce qualificatif n’est pas repris dans le reste du rapport. Il colore néanmoins clairement le contenu de cette enquête. Pour ma part, j’ai travaillé en prison auprès d’environ 200 auteurs de crimes sexuels intrafamiliaux. Aucun d’entre eux ne peut être considéré comme un « prédateur ». Mais il serait malhonnête de ma part d’en conclure que le nombre de prédateurs parmi les auteurs de violences sexuelles est de l’ordre de 0% , car je sais que mon échantillon de 200 sujets n’est pas représentatif de l’ensemble des auteurs de crimes sexuels.
Les auteurs de l’enquête semblent ignorer la réalité de personnes qui ont subi des violences sexuelles et qui n’ont pas été traumatisées. Pourtant, face à un exhibitionniste, certaines personnes vont effectivement se sentir souillées, traumatisées de façon durable, mais d’autres vont réagir de façon banale, voire avec humour, sans oublier cet événement, éventuellement iront signaler cet individu à la police pour l’empêcher de nuire, et ne présenteront pas pour autant de symptômes qui évoqueraient un trauma.
Je peux citer aussi le cas d’une jeune fille qui a été manifestement perturbée par les relations incestueuses subies : elle a mis le feu dans une salle de son lycée. Ce n’est que lors d’un placement en foyer qu’elle a parlé de ces abus subis, ce qui a amené la condamnation de son père. Mais elle a expliqué en même temps qu’elle avait allumé cet incendie lorsqu’elle a appris que la compagne de son père était enceinte. Et quand je l’ai rencontrée avec son père après sa sortie de prison, elle m’a dit toute sa colère contre son père qui concluait ses lettres à son fils (le frère de la jeune fille) par ces mots : « ton père qui t’aime », alors qu’elle n’avait droit dans les lettres de son père qu’à un simple « ton père ». Cette jeune fille était certainement perturbée dans son développement psycho-affectif, mais avec des troubles qui n’ont rien à voir avec les troubles évoqués dans le questionnaire.
Autre situation : celle d’une enfant qui a été victime d’agressions sexuelles de la part de son beau-père lorsqu’elle avait 4 ans. Aujourd’hui adolescente, sans troubles particuliers, elle peut dire clairement qu’elle s’est sentie perturbée non pas par les abus subis, mais par les interventions psycho-socio-judiciaires qui ont voulu à tout prix la considérer comme une victime démolie.
Quant à cette assistante familiale qui a reçu les confidences d’une enfant gardée évoquant des abus subis par son père, elle en a aussitôt informé l’éducateur référent qui a signalé à l’autorité judiciaire, d’où audition filmée, examen psychologique, gynécologique, et l’assistante familiale de dire à l’éducateur : « pourquoi tout ce cirque ? J’ai vécu la même chose quand j’avais son âge, j’en ai parlé, mais il ne s’est rien passé de tout cela ». Cette assistante familiale n’a rien oublié, mais elle va bien. On peut seulement se dire que son choix professionnel est peut-être une forme de sublimation des abus subis dans le passé.
Ces personnes ont été victimes, mais ne se sentent pas victimes. Boris Cyrulnik a bien mis en évidence le fait qu’un trauma suppose certes un événement inattendu, violent, douloureux, mais nécessite en plus le sentiment d’être traumatisé.
On connaît aussi maintenant, grâce en particulier à Cyrulnik, les cas où des personnes qui ont été traumatisées par des faits de violence, que cette violence soit physique, psychologique ou sexuelle, peuvent « rebondir », c’est-à-dire faire preuve de « résilience » si elles ont rencontré dans leur parcours des « tuteurs de résilience » qui ne sont pas nécessairement des soignants, ou bien si elles ont gardé des souvenirs solides de liens d’attachement sécure datant de leur enfance. Un professionnel, médecin, thérapeute, pourra remplir ce rôle de soignant, tuteur de résilience, s’il est suffisamment formé, et les auteurs de l’enquête ont raison de souligner la carence de formation des soignants sur cette problématique. Mais la personne qui a subi des violences sexuelles peut aussi, et souvent, trouver aide, écoute, compréhension, soutien, auprès d’un proche, d’un conjoint, d’un collègue, surtout si elle a déjà fait l’expérience d’un attachement sécure.
J’ai par ailleurs expérimenté, dans mon travail en prison, des entrevues entre l’auteur de viols intrafamiliaux et sa victime, où c’est l’auteur qui a rempli ce rôle de tuteur de résilience, en reconnaissant la réalité des abus commis, la réalité des dommages subis par la victime, l’importance du fait qu’elle ait révélé les faits, et la nécessité de la sanction. Ces rencontres ont permis aux personnes qui avaient subi ces viols intrafamiliaux de se sentir « réparées ». Plusieurs articles publiés sur notre blog présentent de telles situations. L’une de ces personnes « réparée » par une rencontre avec son ancien agresseur m’a dit par la suite avoir tenté de parler de cette expérience dans une association de victimes. Elle a eu la surprise de se faire rejeter parce qu’une telle possibilité de rencontrer son agresseur était jugée inconvenante et inadmissible. Ce qui vient conforter l’idée qu’une certaine catégorie de personnes qui se sentent victimes tient, de façon militante, à le rester.
Lors de ces entretiens auteur-victime, j’ai aussi rencontré quelques personnes « victimes » qui m’ont révélé, et clairement démontré, que leur dénonciation avait été mensongère, soit qu’elles avaient dénoncé le condamné à la place d’un autre, soit qu’elles avaient dénoncé pour dire comme leur sœur ou leur frère, qui avait été réellement victime. Mais cela ne me permet pas d’annoncer que 12% des condamnés sont victimes d’erreur judiciaire, même si sur les 50 personnes « victimes » venues en prison pour des entretiens avec leur ancien agresseur, ce sont 6 d’entre elles qui ont fait cette révélation. D’une part, les condamnés concernés avaient pour la plupart commis des abus sur un autre mineur. Et ces 6 « victimes », échantillon évidemment non représentatif, avaient, plus que d’autres, besoin de venir s’expliquer avec le condamné. Victimes officielles, elles ne portaient aucun des symptômes évoqués dans le questionnaire, mais leur sentiment de culpabilité était à prendre en compte avec respect et compréhension.
La résilience, pour une personne qui a subi des violences sexuelles, n’est possible que si elle s’est préalablement sentie reconnue comme victime, par l’auteur des violences ou par la Justice si l’auteur n’a pas reconnu les faits. Et lorsque le travail de « réparation » (psychologique et non financière) a pu se réaliser, avec l’aide de professionnels ou de proches, ces personnes ne se sentent plus « victimes ». Elles ne présentent pas de symptômes d’amnésie traumatique. Et elles se définissent comme « anciennes victimes » ou comme « ex-victimes », mais seulement lorsqu’il leur apparaît utile d’évoquer leur passé. Cela n’obère aucune de leurs activités au quotidien. Il arrive même que certaines d’entre elles deviennent thérapeutes ou créent des associations d’aide aux victimes pour les aider à sortir de leur « statut » de victime.
J’ai veillé dans cette analyse critique à parler de « personnes ayant subi des violences sexuelles » et aussi d’ « auteurs de délits et de crimes sexuels » (en particulier intrafamiiaux, puisque c’est auprès de ces personnes que j’ai surtout travaillé). J’évite en effet de parler de « victimes » d’une part, et de « prédateurs » ou même de « pères incestueux » d’autre part. C’est plus long, plus compliqué, mais aussi moins « militant », voire moins démagogique, et aussi moins « politiquement correct », ou moins « psychologiquement correct ». Mais cela me paraît plus proche de la vérité, puisque bon nombre (mais nombre impossible à déterminer) de personnes ayant subi des violences sexuelles ne se considèrent plus comme des victimes, et ne veulent plus être considérées comme telles, et puisque les auteurs qui ont commis de violences sexuelles ne peuvent être réduits à cette seule caractéristique.
Le rapport de l’enquête évoque rapidement le fait que certains auteurs de violences sexuelles ont été eux-mêmes des victimes. Toutefois, dans les questions posées, aucun item n’évoque cette conséquence possible d’une violence subie. 30 types de symptômes différents sont proposés, outre les tentatives de suicide et la grossesse. Sont évoqués les compulsions sexuelles et les conduites à risque, c’est-à-dire le risque de subir de nouvelles violences, et également les conduites auto-agressives. Mais les agirs sexuels sur d’autres personnes, mineures ou majeures, ne sont pas envisagés. Pour ma part, lorsque je parle des victimes de violences sexuelles que j’ai rencontrées, je ne peux laisser de côté les 80 condamnés suivis en prison (soit 40% de mon échantillon d’auteurs) pour avoir commis des crimes sexuels intrafamiliaux, et qui ont eux-mêmes été victimes dans le passé, soit dans leur famille, soit en institution, soit dans leur quartier, en sachant que les 120 autres condamnés suivis avaient tous subi des violences, autres que sexuelles, et parfois plus traumatisantes, dans leur enfance. Il arrive en effet que des violences psychologiques soient plus destructrices que des violences sexuelles.
Les préconisations des promoteurs de l’enquête étaient donc connues avant l’enquête, celle-ci ayant surtout pour fonction de « faire du chiffre » et de l’émotion, susceptibles de faire pression sur l’opinion et sur les décideurs du monde politique. On ne peut qu’être d’accord avec la demande de formation particulière des soignants, médecins, thérapeutes, infirmiers sur cette problématique des violences sexuelles et plus généralement de la psychotraumatologie.
Toutefois, vouloir que les soignants posent systématiquement la question : « avez-vous subi des violences ? », cela pose question. Cette question serait à poser à des personnes chez qui le soignant fait l’hypothèse d’un éventuel traumatisme lié à des violences subies. Mais on apprend précisément aux officiers de police judiciaire chargés d’auditionner des enfants à ne pas poser de « questions inductives », questions trop directes susceptibles de donner des réponses immédiatement positives. Le risque est, chez l’enfant comme chez l’adulte, de provoquer des faux souvenirs, surtout dans le contexte d’une relation soignante basée sur la confiance, voire sur la dépendance. La question directe « avez-vous subi des violences ? » est importante et intéressante mais ne peut être utilisée qu’avec prudence et surtout pas de façon systématique.
La demande que les affaires de viol ne soient pas correctionnalisées est juridiquement légitime. Elle mérite toutefois d’être discutée. Les procès d’assises dont doivent relever les viols qui sont juridiquement des crimes sont souvent vécus comme des moments très violents pour les victimes qui sont appelées à revivre des événements douloureux qui peuvent dater de deux ans, et parfois de beaucoup plus. Ces procès peuvent devenir la cause de ce qu’il est convenu d’appeler une « victimisation secondaire ». L’audience correctionnelle peut être moins violente pour la victime. Il est vrai que les peines pour l’auteur sont évidemment moins sévères en correctionnelle qu’aux Assises. Mais faut-il se réjouir de constater que la France soit le pays occidental qui fixe les peines les plus sévères tant aux délits sexuels qu’aux viols ? Un pays voisin, la Belgique, correctionnalise souvent les affaires de viol ; les sanctions sont moins sévères que chez nous ; et il n’y a pas plus de récidives en Belgique qu’en France ; et la Belgique dispose de nombreux services compétents pour venir en aide aux victimes. Certes, notre Justice devrait être plus rapide, plus efficace, mais on ne peut oublier que la prise en compte de ces situations de violence sexuelle ne date réellement que d’une trentaine d’années. Les Cours d’Assises plient sous le poids des affaires de viol qui constituent l’essentiel de leur activité. La sévérité des jugements n’a cessé de croître. La critique de la Justice, face à cette situation, ne peut être que contre productive.
La demande de la gratuité des soins pour les victimes peut apparaître comme une évidence, d’autant plus que cette gratuité figure déjà dans la loi de 1998. Elle est manifestement difficile à mettre en place. Mais on peut s’étonner de cette demande dans la mesure où, lorsque la situation de violence a été judiciarisée et que l’auteur présumé a été reconnu coupable, la victime obtient, au civil, des « dommages et intérêts », c’est-à-dire une indemnisation, dont le montant peut être avancé par la C.I.V.I, mais qui est bien payée par le condamné. (L’enquête pose des questions sur les indemnisations par la CIVI en omettant de rappeler que c’est l’auteur qui est condamné à verser cette indemnisation). Cette « réparation » financière des dommages subis, payée par l’auteur des violences, devrait normalement être utilisée pour payer les soins que nécessite le traitement des dommages subis. Cette indemnisation, ainsi définie, prendrait tout son sens. Ce qui supposerait, lorsque la victime est encore mineure, que le magistrat chargé de la tutelle débloque des fonds pour payer les thérapeutes intervenant auprès de la personne qui a besoin de traiter le traumatisme.
La demande de réintroduire l’inceste dans le code pénal est encore plus problématique. L’introduction de l’inceste dans le code pénal par une loi de 2010 a été retoquée par le Conseil Constitutionnel au motif que la définition de la famille incestueuse était trop floue. L’association « Mémoire Traumatique et Victimologie » récidive en proposant une définition de la famille à peine plus claire que celle qui a provoqué l’annulation de la loi. La définition proposée est la suivante : « les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis sur la personne d’un mineur par un membre de sa famille selon l’état civil, ou par toute autre personne résidant habituellement au sein du même foyer que la victime ou entretenant une relation sexuelle ou conjugale avec un des membres de la famille de la famille selon l’état civil ». Cette définition de l’inceste sur mineur se trouve à nouveau différente de l’inceste entre majeurs. L’inceste, au sens académique du terme, vise des relations sexuelles entre des personnes qui ne peuvent pas se marier, c’est-à-dire « les membres de la famille selon l’état-civil », pour reprendre la définition proposée plus haut. Or, un beau-père fait certes partie de la famille « recomposée », mais il ne lui est pas interdit de se marier avec l’enfant, majeur (et s’il est consentant), de sa compagne, il ne relève donc pas de l’inceste au sens strict du terme. Et cette introduction d’un inceste élargi dans le code pénal n’apporte rien de plus que la qualification de viol ou d’agression sexuelle « par personne ayant autorité », qui constitue une circonstance aggravante claire dans le code actuel. La qualification de viol ou d’agression sexuelle incestueux risque même, comme cela a déjà été souligné par des juristes lors du votre de la loi de 2010, de ne plus pouvoir être considérée juridiquement comme une circonstance aggravante et donc être moins sanctionnée que dans la définition présente. La nouvelle définition proposée inclut aussi les beaux-frères et belles-sœurs comme possibles agresseurs incestueux, mais on ne voit pas en quoi cela modifie quelque chose de la réalité des abus subis. Je préfère, pour ma part, parler de violences sexuelles intrafamiliales plutôt que d’inceste, pour les différencier des violences extrafamiliales.
Les auteurs du questionnaire ont tenu à utiliser les termes du code pour désigner les violences subies par les victimes. Mais, d’une part, ils ont omis de reprendre, à côté des viols et des agressions sexuelles, la catégorie des « atteintes sexuelles », sans doute difficiles à caractériser, puisque faites sans « violence, menace, contrainte ou surprise », et donc ne relevant pas véritablement des « violences », et d’autre part, ils ont tenu à ajouter la catégorie « inceste » (puisque l’un des objectifs de l’étude est de réintroduire l’inceste dans le code pénal), mais en lui donnant une définition apparemment plus simple mais différente et finalement plus extensive que dans les préconisations finales. Les répondants au questionnaire disposaient de la définition suivante : « inceste = viols et agressions sexuelles commis par une personne de la famille (parents, beaux-parents, grands-parents, frères et sœurs, oncles et tantes, cousins et cousines) ».
En conclusion, face aux violences sexuelles la société (et tout particulièrement le monde des soignants) a tendance à se figer dans deux attitudes opposées. D’un côté, le déni de la réalité des violences subies et de leurs conséquences, qui peuvent être dramatiques pour la victime de ces violences. C’est ce que souligne la grande majorité des répondants au questionnaire proposé par l’association « Mémoire traumatique et victimologie ». A l’autre extrême, la conviction que la plupart des troubles psychologiques, voire physiques, s’expliquent par des violences sexuelles subies, avec la volonté affichée que les personnes qui ont subi des violences sexuelles sont condamnées à présenter des troubles durables, sauf à bénéficier d’une thérapie « intégrative ». C’est ce que tentent de démontrer les promoteurs de cette enquête, qui assurent déjà des formations à ce type de thérapie.
Le risque pour les personnes qui ont réussi à dépasser le traumatisme de violences subies et qui tomberont sur la lecture du rapport de l’enquête, c’est de se sentir anormales, voire coupables de ne pas présenter les troubles annoncés, voire imposés par l’étude.
Une attitude médiane serait la bienvenue. Alors, d’accord pour dire « stop au déni de la réalité des violences sexuelles ». Mais disons aussi « stop au déni de la résilience après le traumatisme des violences sexuelles ».
Michel Suard
Thérapeute familial, thérapeute d’auteurs et de victimes de violences intrafamiliales.