NOTE n° 168 - Fondation Jean-Jaurès - 29 avril 2013
www.jean-jaures.org
Dominique Raimbourg*
* Député de
Loire-Atlantique
Avertissement: La mission de la Fondation Jean-Jaurès est de faire vivre le débat public et de concourir ainsi à la rénovation de la pensée socialiste. Elle publie donc les analyses et les propositions dont l’intérêt du thème, l’originalité de la problématique ou la qualité de l’argumentation contribuent à atteindre cet objectif, sans pour autant nécessairement reprendre à son compte chacune d’entre elles.
Rappeler que les questions de sécurité ont été fortement utilisées depuis plus
de dix ans dans le débat politique français relève de la banalité. On peut
facilement dégager quatre grandes tendances au cours de cette période,
représentées par quatre évolutions législatives marquantes. Premièrement, l’instauration
d’une politique du chiffre, qu’il s’agisse de l’utilisation permanente dans le débat public
de données plus ou moins fiables pour mesurer la délinquance comme de la constitution
d’objectifs chiffrés pour les forces de l’ordre. Deuxièmement, la judiciarisation
exponentielle du traitement des contentieux, à savoir un recours toujours plus grand aux
procédures judiciaires. Troisièmement, l’automaticité des peines, illustrée par
l’instauration des peines planchers. Enfin, la quatrième évolution concerne
l’incarcération, qui apparaît plus que jamais comme l’étalon de toute sanction, avec
notamment la création de nouveaux délits pouvant être sanctionnés par des peines de
prison, le renforcement des peines existantes et l’instauration de la rétention de sûreté
pour incarcérer au-delà de la peine.
Après avoir mené les travaux de la mission d’information parlementaire sur les moyens
de lutter contre la surpopulation carcérale, je propose aux citoyens un exercice de
participation au travail législatif en prévision de l’élaboration de la future Loi pénale que
le gouvernement soumettra au parlement à l’automne prochain (1). C’est en effet un long et difficile travail que la majorité politique de gauche engage en faveur d’un
rééquilibrage, plus que jamais nécessaire, de notre politique pénale et carcérale.
LA CULTURE DE L'ENFERMEMENT
La droite ne change pas de logiciel
Les critiques de la droite au sujet de la politique pénale et carcérale se concentrent sur
trois mesures phares et symboliques défendues par la nouvelle majorité : la suppression
des peines planchers, celle des tribunaux correctionnels pour mineurs récidivistes de
plus de seize ans et celle de la rétention de sûreté.
Le premier constat est que, sur ces trois points, la politique instaurée en son temps par
la droite semble relever d’un « effet d’annonce ». D’abord, s’agissant des tribunaux
correctionnels pour mineurs récidivistes de seize à 18 ans, ils ne concerneraient, selon
l’étude d’impact du ministère de la Justice, que 635 mineurs par an (soit 1,92 %), chiffre
bien faible si on le compare aux 33 154 mineurs jugés en 2010 devant le tribunal pour
enfants. De plus, la création d’une juridiction supplémentaire a compliqué la répartition
des dossiers, risquant une fois de plus de ralentir le jugement des cas les plus graves.
Concernant la rétention de sûreté, elle trouvera sa pleine application seulement quinze ans
après le vote de la loi du 25 février 2008, tout en sachant qu’un détenu seulement aurait
à ce jour été placé en rétention de sûreté (par le biais de la surveillance de sûreté). Au sujet
des peines planchers, celles-ci apparaissent bien plus faibles que ce que la droite tente de
démontrer : elles ont été prononcées à l’encontre de 37 000 personnes entre août 2007 et
janvier 2012 quand, pour la même période, à raison de 600 000 décisions correctionnelles
par an, ce sont près de trois millions de personnes qui ont été condamnées.
En soutenant des réformes pensées et impulsées par l’ancien président de la
République, la droite continue de démontrer qu’elle fait du recours à la prison l’alpha et
l’oméga de la réponse à la délinquance.
Les chiffres du système pénal et carcéral
Au cours de l’année 2010, la police et la gendarmerie ont transmis à la justice
4 502 364 dossiers, dont 1 402 671 pouvaient faire l’objet de poursuites (les enquêteurs
ayant identifié un suspect). La même année, les cours d’assises prononçaient des
condamnations pour 2706 crimes, les tribunaux correctionnels pour 650 699 délits. Plus
de 500 000 dossiers faisaient l’objet de mesures alternatives (rappel à la loi, médiation,
médiation-réparation…). En 2010 toujours, 82 725 personnes condamnées sont entrées
dans l’une des 189 prisons de notre pays et ont pu croiser les 81 839 détenus qui en
sortaient, leur peine exécutée ou aménagée.
Le 1er mars 2012, 66 447 détenus se partageaient les 57 213 places de l’administration
pénitentiaire, soit une surpopulation de l’ordre de 117 %. Ce chiffre ne donne cependant
pas la pleine mesure de la surpopulation. En effet, l’administration pénitentiaire a décidé
de garantir aux détenus condamnés à des peines de moyenne ou longue durées (et
affectés dans des centres pénitentiaires ou dans les maisons centrales) des conditions de
détention ordinaire, sans surpopulation. La surpopulation est alors concentrée
uniquement dans les maisons d’arrêt qui détiennent les prévenus en attente de jugement
ainsi que les personnes condamnées à de courtes peines (normalement deux ans
d’emprisonnement, en pratique plus en raison notamment des délais d’attente pour
intégrer un centre pénitentiaire ou une maison centrale). Le taux de surpopulation peut
alors parfois dépasser les 200 %. C’est notamment le cas des deux maisons d’arrêt de
Vendée – La Roche-sur-Yon et Fontenay-le-Comte – mais aussi des établissements
pénitentiaires de Nouméa en Nouvelle-Calédonie.
Enfin, il faut se souvenir qu’au 1er janvier 2001, la France comptait 47 837 détenus, soit
un taux de détention de 75,6 détenus pour 100 000 habitants. Le 1er janvier 2011, ce
nombre atteignait 60 544, soit un taux de détention de 93,1 pour 100 000 habitants, et on
dénombrait 66 447 détenus au 1er mars 2012, soit un taux qui dépasse désormais les cent
pour 100 000 habitants. Le discours très répressif et l’augmentation de la population pénale
en une décennie n’ont pas apporté la sérénité dans notre pays. En même temps, la prison
est apparue comme l’unique réponse à la délinquance, sans apporter les résultats attendus
compte tenu des taux de récidive et des conditions de réinsertion.
En droit, la prison reste la peine de référence
Dans le Code pénal et dans le Code de procédure pénale, la prison reste la peine de
référence. C’est si vrai que les peines autres que des peines d’emprisonnement sont
qualifiées de peines « alternatives » (peines complémentaires, peines de substitution).
C’est la durée de la peine de prison encourue qui autorise le placement en détention
provisoire ; selon l’article 143-1 du Code de procédure pénale, la détention provisoire est
possible si « la personne mise en examen encourt une peine correctionnelle d’une durée
égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement ». C’est également en fonction de la
durée de la peine restant à exécuter que s’effectue la répartition des compétences entre
le juge d’application des peines – qui statue seul – ou le tribunal d’application des peines
– qui statue de façon collégiale.
Même si de nombreuses autres peines ont été créées, la prison reste aujourd’hui la peine
de référence. C’est d’ailleurs la peine la plus prononcée. Pierre-Victor Tournier,
spécialiste de démographie pénale, en fait la démonstration (2). Ainsi en 2008, les tribunaux
correctionnels ont jugé 580 572 délits. Ils ont prononcé 89 600 peines d’emprisonnement
ferme (15,4 %), 32 265 emprisonnements mixtes (en partie ferme, en partie avec sursis)
(5,6 %) et 195 289 peines d’emprisonnement avec sursis (33,6 %). Le total des peines
d’emprisonnement est de 317 154, soit 54,62 % des peines prononcées. Enfin, la deuxième
peine la plus prononcée est l’amende : en 2008, 168 952 peines de ce type ont été
prononcées par les tribunaux correctionnels. Les peines d’emprisonnement et les amendes
représentent alors 486 106 condamnations sur les 580 572 condamnations prononcées par
les tribunaux correctionnels, soit un total de 83,72 %.
En pratique, la prison reste la seule peine possible
Les chiffres le confirment : ce sont des peines d’emprisonnement ou des peines
d’amende qui sont majoritairement prononcées par les tribunaux correctionnels. Bruno
Lavielle, Michaël Janas et Xavier Lameyre (3) invoquent trois raisons : l’extrême complexité des peines encourues, la très grande liberté laissée au juge dans le choix de la peine, enfin la banalité des peines prononcées par les juridictions. Selon eux, « la complexité du système, l’absence de réflexion globale sur le processus pénal, la massification des contentieux, l’absence de temps à l’audience pour une véritable discussion sur la peine, le privilège donné aux procédures de jugement rapide et bientôt à celle de sanctions sans procès, sont autant de facteurs conduisant les praticiens à se référer essentiellement à l’alternance prison et amende, avec ou sans sursis, sans grande faveur pour les multiples possibilités que le code leur offre. L’absence de logique apparente entre certains textes permettant de prononcer telle peine pour telle infraction et ceux ne l’autorisant pas pour une infraction très proche est sans doute une autre cause de cette situation. Et la prudence de l’emporter sur l’audace, sans même qu’il soit besoin d’aborder d’ores et déjà le désintérêt relatif des uns et des autres pour le devenir de la peine, une fois qu’elle a été prononcée » (4).
La prison comme la seule peine visible et compréhensible
Le fonctionnement de la justice est difficilement compréhensible pour la plupart de nos
concitoyens, qu’il s’agisse de la justice civile, de la justice administrative ou de la justice
pénale. C’est d’autant plus vrai qu’existe encore aujourd’hui un fossé entre le discours
sur la justice et l’expérience de sa pratique. Le Code pénal et le Code de procédure
pénale énoncent que les crimes, c’est-à-dire les infractions punissables de dix années
d’emprisonnement ou plus, sont jugés par les cours d’assises. Cependant, compte tenu
de l’encombrement des cours d’assises et de la lourdeur de leurs procédures, seulement
10 à 15 % des dossiers criminels transmis par la police et la gendarmerie sont jugés. De
la même façon, le Code de procédure pénale consacre de longs développements aux
procédures d’instruction. En pratique, compte tenu de la longueur de la procédure et de
la masse des dossiers à traiter, les juges d’instruction ne traitent cependant que 2 à 3 %
de l’ensemble des dossiers. De la même façon, les tribunaux correctionnels qui peuvent
prononcer des aménagements de peine s’abstiennent de tenir l’audience, faute de temps
et de connaissances de la situation des prévenus.
Concernant la procédure d’aménagement des peines, pourtant utile et efficace, celle-ci
apparaît encore mal comprise par la population, de même que les réductions de peine
accordées aux détenus (alors que ces réductions de peine permettent la surveillance à la
sortie et garantissent le calme pendant la détention). En définitive, le seul élément
compréhensible semble être la détention subie derrière les murs des prisons.
Répression :
L’incompréhension du travail de la justice renforce le rôle central de la prison’une culture
de l’enfermement
D’où provient cette incompréhension ? D’abord du fait que la télévision ne donne à voir
le travail de la justice qu’à travers la présentation de faits divers marquants, souvent par
des reportages de deux à trois minutes offrant peu de place à l’analyse. Ensuite, dans le
cas de délits qui affectent certains territoires en particulier (quartiers sensibles, zones
reléguées), la population ne constate qu’une seule chose : la disparition du quartier de
l’individu à qui l’on impute des méfaits, sans aucune autre explication. En outre, les
gendarmes et policiers qui transmettent les dossiers à la justice ne sont que très peu
informés des suites données à leurs arrestations et ne sont presque jamais informés des
sorties de prison et des obligations qui pèsent sur certains condamnés. Enfin, le légitime
secret des décisions de justice en matière de justice des mineurs fait que celle-ci
apparaît comme particulièrement opaque. Seule est visible l’absence du mineur en
raison de son placement ou en raison de sa détention.
La droite avait bien compris cette incompréhension de la part d’une grande partie de la
population. Elle en a fait son cheval de bataille, animée par l’idée que seule la sévérité
de la sanction était à la fois visible et dissuasive. une culture
du contrôle ?
LA NÉCESSITÉ D’UNE ÉVOLUTION HISTORIQUE DE NOTRE SYSTÈME
PÉNAL ET CARCÉRAL
Les dérives auxquelles la droite s’est laissée aller ont pu prendre appui sur des éléments
anciens et structurants. Ceci n’en rend pas moins nécessaire un changement de cap, au
nom au moins de deux raisons principales.
L’inefficacité du système
L’incarcération a trois visées principales : la sanction d’un acte ; la protection de la
société à l’encontre de la personne détenue ; un projet de retour à la société pour la
personne incarcérée. Sur deux de ces trois points, nous pouvons douter sérieusement de
l’efficacité de notre système. D’une part, le sens de la peine, qui devrait marquer la sanction
et permettre à la personne condamnée de prendre conscience de la gravité de ses actes, est
particulièrement contrarié par les conditions de jugement (lenteur des procédures,
automatisation croissante des peines allant à l’encontre de leur individualisation) ainsi que
par les conditions d’exécution de ces peines (exécution très tardive de certaines peines,
vétusté des bâtiments, surpopulation carcérale, etc.). D’autre part, ces mêmes causes
affectent indubitablement les conditions de réinsertion des détenus. Finalement, l’unique
objectif qui sort renforcé par l’instauration d’une telle politique pénale et carcérale est la
mise à l’écart de la société des personnes condamnées.
Les coûts humains et financiers d’une telle politique
Cette politique pénale et carcérale entraîne bien évidemment des coûts humains et
financiers. En plus des conditions de détention et des risques de récidive (notamment
chez les plus jeunes), les conditions de travail des personnels de la justice et de
l’administration pénitentiaire sont souvent déplorables. L’inflation carcérale a conduit le
précédent gouvernement à vouloir augmenter à 80 000 le nombre de places du parc
pénitencier. D’un point de vue financier, une telle approche aurait eu des conséquences
lourdes, au regard du coût de construction de ces places de prisons, notamment dans le
cadre des partenariats public-privé (PPP) très courus par le gouvernement de l’époque,
et au regard des 32 000 euros annuels que coûte en fonctionnement une place de prison
alors même que les moyens sont reconnus comme insuffisants.
Les conditions d’incarcération représentent également un coût réel du fait de la
multiplication des procédures judiciaires imputées contre la France. En effet, notre pays est
souvent condamné par les instances internationales du fait des conditions d’incarcération
dégradantes et non respectueuses de la dignité humaine s’agissant de ses détenus. Le coût
de ces condamnations pourrait dépasser le million d’euros pour l’année 2012.
VERS LA CULTURE DU CONTRÔLE ? TROIS PROPOSITIONS SOUMISES À LA CONSULTATION
La question essentielle n’est pas de trouver une alternative générale à la détention. Il s’agit
avant tout de construire un nouvel équilibre, permettant de lui redonner du sens et de
l’efficacité quand elle est nécessaire, et in fine de mieux traiter nombre de crimes et délits.
En pénalisant des comportements, une société ne se dote pas uniquement d’outils pour
gérer les transgressions. Prononcer une peine signifie non seulement que l’on sanctionne
un comportement, mais aussi que l’on affirme des valeurs essentielles en réparant la
blessure infligée à la société. Fonder une répression moderne nécessite que les nouvelles
pénalités soient vécues par le corps social comme des réponses adéquates et symboliques.
A. Redonner du temps aux magistrats pour juger au cas par cas : la déjudiciarisation
La justice prononce trop de peines centrées sur la prison car, pour prononcer autre chose
qu’une peine de prison, il faudrait que les juges aient plus de temps pour examiner
chaque cas, pour disposer d’enquêtes de personnalités, pour examiner l’ensemble des
mesures qui pourraient être prises concernant telle ou telle personne. Faute de temps,
la prison devient la solution par défaut.
Pour y remédier, la déjudiciarisation est possible. Elle consiste à donner une réponse
autre que par l’institution judiciaire à une série de comportements. Par une loi du 30 juin
1971, la Belgique a mis en place un système d’amendes administratives. En cas
d’infraction, l’autorité administrative, qui est aussi l’autorité enquêtrice, fixe une amende
et en assure le recouvrement. L’auteur a la possibilité de s’adresser à un juge pour
contester sa culpabilité ou le montant de l’amende. Ces procédures sont utilisées dans
différentes matières, notamment les infractions au droit du travail, auparavant peu
poursuivies devant la justice.épression :
Une réflexion de ce type pourrait être menée en France. Elle pourrait concerner en
premier lieu les infractions au droit du travail, mais aussi le contentieux routier, hors
accidents, et notamment les premières conduites sous l’empire de l’alcool, contentieux
important en nombre. On pourrait réfléchir à des sanctions plus efficaces et moins
coûteuses humainement et économiquement, comme la généralisation de la
confiscation du véhicule.d’une culture
de l’enfermement
à une culture> Objectif : Lutter contre l’encombrement des tribunaux en traitant
autrement certains contentieux
Certains contentieux, par exemple la première conduite sous l’empire de l’alcool sans
accident, pourraient être traités par d’autres procédures que l’instruction judiciaire,
comme, par exemple, des sanctions préfectorales ou des amendes. Sans toucher à la
clarté et à la sévérité de la sanction, il est ainsi possible d’alléger la charge de travail
qui pèse sur les tribunaux.
> Moyen : Augmenter le pouvoir des préfets en matière de suspension des permis de conduire
S’agissant de la sanction de la conduite en état alcoolique, hors cas de réitération et
de récidive légale et lorsqu’il n’y a pas eu d’accident, une évolution de procédure
semble possible. En effet, le rôle du tribunal se limite actuellement, dans la plupart
des cas, à réapprécier la durée de la suspension du permis de conduire décidée par le
préfet et à prononcer une amende ou une courte peine d’emprisonnement avec sursis.
Il serait possible de prévoir pour ces infractions une sanction administrative prise par
les préfectures, sans qu’il soit nécessaire de saisir le juge pénal. Dans les affaires
présentant une difficulté sérieuse (gravité particulière, contestation des faits), le
préfet aurait la possibilité de transmettre le dossier au parquet. Le tribunal pénal
redeviendrait alors compétent pour en juger et prononcer la peine. Pour que la
répression soit efficace, il faudrait que la sanction administrative prononcée par le
préfet soit inscrite au casier judiciaire et que les faits constituent le premier terme de
la récidive légale. La réitération ou la récidive de ces infractions constituerait un délit,
passible des sanctions actuellement encourues. Il conviendra de laisser la possibilité
aux personnes sanctionnées de faire appel de cette sanction préfectorale devant une
juridiction, ceci afin de respecter des règles de droit.
Proposition mise en consultation sur www.parlement-et-citoyens.fr
B. Instaurer un débat politique serein sur la politique pénale pour rendre compréhensible et acceptable l’exécution de peines ou de parties de peines en milieu ouvert
La justice prononce des peines centrées sur la prison car elle subit la pression de
l’opinion et des médias. Dans l’esprit de ces derniers, la prison apparaît en effet souvent
comme la seule solution véritablement capable de punir, neutraliser et dissuader les
délits et les crimes. De nombreuses peines alternatives à la prison, dites « en milieu
ouvert » (sursis avec mise à l’épreuve, travail d’intérêt général, libération conditionnelle,
contrôle judiciaire ou ajournement avec mise à l’épreuve), existent pourtant qui ont
prouvé leur plus grande efficacité pour lutter contre la récidive, responsabiliser et
amender le détenu. Mais elles semblent mal acceptées.
Sortir de l’obsession des chiffres
Depuis de nombreuses années, la délinquance est mesurée à partir de la statistique
policière. La police remplit chaque année un état statistique appelé « Etat 4001 », créé
en 1972. Depuis 2002, la droite a fait des chiffres de l’Etat 4001 la mesure unique de la
délinquance, bien qu’ils mesurent uniquement l’activité de la police et de la
gendarmerie. En outre, seules 104 infractions y sont répertoriées et ne sont enregistrés
ni les délits constatés par les autres administrations (Douanes, Inspection du travail,
agents de la concurrence, agents de la protection de l’environnement…), ni les délits
routiers et contraventions.
Connaître un phénomène aussi complexe que la délinquance nécessite une approche
statistique par type d’infractions, ce que ne permet par le seul Etat 4001, qui mélange
les plaintes et les infractions révélées par l’activité des services de police (dans le jargon,
les IRAS). En outre, la problématique principale de cet Etat 4001 est l’utilisation
politique qui en a été faite au cours de ces dernières années. Les différents discours
oublient notamment que l’augmentation des IRAS peut être un signe encourageant,
signifiant que les policiers sont plus efficaces ou que la population est moins réticente à
porter plainte. Par ailleurs, l’augmentation des IRAS peut être due à des choix politiques
précis. En matière de stupéfiants par exemple, où il n’y a pas de plainte individuelle, c’est
l’activité de la police qui met à jour des infractions à la législation sur les stupéfiants.
Renforcer les brigades de stupéfiants aboutit in extenso à augmenter le nombre
d’infractions liées aux stupéfiants sans que la réalité de la délinquance n’ait variée. On
pourrait multiplier les exemples à l’infini et rappeler que la création par la loi de
nouveaux délits aboutit mécaniquement à une augmentation des chiffres de la
délinquance recensés par l’Etat 4001. Enfin, il convient de noter que la tolérance ou
l’intolérance des citoyens vis-à-vis de certains comportements évolue dans le temps,
modifiant ainsi les statistiques de la délinquance.
Le chiffre unique issu de l’outil Etat 4001 est donc dépendant de nombreux aléas,
pouvant notamment varier en fonction des pratiques d’enregistrement, de nouvelles
infractions éventuellement créées par la loi – ce fut le cas pour les violences volontaires
ou les violences conjugales – ou de la propension des victimes à porter plainte. De fait,
en l’absence de plainte, de nombreuses infractions demeurent inconnues de la police et
constituent « le chiffre noir de la délinquance » ; c’est pourquoi l’augmentation des
chiffres de la délinquance peut se révéler positive, indiquant de fait que les gens sont de
moins en moins rétifs à porter plainte. In fine, la mesure de ce chiffre noir ne peut être
faite qu’en interrogeant des groupes de population pris au hasard sur les faits dont ils ont
été victimes (comme par des enquêtes dites de victimation mises en place par
l’Observatoire de la délinquance et des réponses pénales).
Par conséquent, l’urgence est de sortir de la dictature de ce chiffre unique et de disposer
d’outils plus adéquats, plus efficaces, autres que le seul Etat 4001, afin de mesurer au
mieux le phénomène complexe qu’est la délinquance.Répression :
d’une culture
> Objectif : Un débat public régulier sur la politique pénale, hors le temps
médiatique des faits divers
C’est à peu près tout le temps à l’occasion de crimes monstrueux que le débat public
sur la politique pénale a lieu. C’est aussi sous cette pression, bien souvent, que le
pouvoir politique esquisse des réformes. Si nous voulons collectivement aborder
rationnellement ces questions difficiles, il nous faut nous donner les moyens
d’évaluer et de débattre régulièrement de l’efficacité de la politique pénale, hors le
temps de l’émotion. Ce débat régulier devra associer les citoyens, les élus, les
chercheurs mais aussi les usagers de la justice et les détenus eux-mêmes.
> Moyen : Instauration d’un débat parlementaire annuel sur la politique
pénale et association des citoyens-usagers
Ce débat pourrait avoir lieu dans le cadre d’une semaine de contrôle parlementaire
annuelle entièrement dédiée à cette question. Ainsi, l’ensemble des aspects de la
politique pénale auraient le temps d’être examinés, questionnés, mis en perspective.
Pour que ce débat soit efficace, il est nécessaire que les citoyens et les usagers de la
justice soit davantage associés au fonctionnement de cette dernière. Je propose pour cela
deux principales mesures. Il s’agirait, d’une part, de mettre en place des « comités
d’usagers » consultatifs auprès des tribunaux, ce qui permettrait à ces institutions de
mieux tenir compte de l’avis des citoyens dans leur fonctionnement, mais aussi à la
société civile de mieux connaître et mesurer les enjeux et contraintes de fonctionnement
de l’institution judiciaire. La deuxième mesure consisterait à accorder un droit
d’expression collective aux détenus conformément à la règle pénitentiaire européenne
n° 50 qui prévoit que « sous réserve des impératifs de bon ordre, de sûreté et de sécurité,
les détenus sont autorisés à discuter de questions relatives à leurs conditions générales
de détention et doivent être encouragés à communiquer avec les autorités pénitentiaires
à ce sujet ». Une telle expression institutionnalisée permettrait de mieux faire entendre
la voix des détenus eux-mêmes lors des débats.
Proposition mise en consultation sur www.parlement-et-citoyens.frenfermement
à une culture
C. Eviter les sorties sèches et organiser le suivi et le contrôle des sortants de prison
La justice prononce des peines centrées sur la prison car les services en charge de la
préparation, du suivi et du contrôle en milieu ouvert manquent de moyens. La faiblesse de
ces services constitue un risque pour la sécurité et, dès lors, conduit les juges à préférer les
peines de prisons aux peines alternatives en milieu ouvert. Ils se montrent en particulier
souvent réticents aux mesures de libération conditionnelle, c’est-à-dire « surveillée ».
La libération conditionnelle
La libération conditionnelle permet au juge d’application des peines de remettre en
liberté un détenu à partir du moment où il a exécuté une partie de sa peine : la moitié
de sa peine pour les détenus ordinaires et les deux tiers pour les détenus récidivistes. Le
juge d’application fixe les obligations que le détenu libéré par anticipation doit respecter.
S’il va à l’encontre de ces obligations, le juge peut révoquer la libération conditionnelle
et le faire réincarcérer.
Statistiquement, bien que les études manquent sur ce sujet et que ces chiffres soient à
manier avec précaution, les libérés conditionnels récidivent moins que les prisonniers
sortants en toute fin de peine sans suivi ni contrôle.
Par ailleurs, les récidivistes, dont la peine a déjà été fixée en tenant compte de leur
situation de récidiviste, devraient pouvoir bénéficier d’un régime de détenus de droit
commun en matière d’obtention de la libération conditionnelle. Ils ne devraient
connaître aucune restriction particulière par rapport aux autres détenus. Ce sont
précisément les récidivistes qui ont le plus besoin d’assistance et de contrôle à la sortie
de prison.
La réforme du suivi des sortants
La Garde des sceaux, Christiane Taubira, a annoncé son intention de rénover la
probation, c’est-à-dire l’ensemble des mesures de suivi et de contrôle auxquelles sont
astreints certains sortants de prison, certains prévenus avant leur jugement ainsi les
personnes condamnées à des mesures autres que l’incarcération (personnes condamnées
en milieu ouvert notamment).du contrôle ?
Au 1er janvier 2011, ces mesures étaient prises en charge par 4046 conseillers d’insertion
et de probation qui travaillent dans les services de probation et d’insertion pénitentiaire
(SPIP). Ces 4046 conseillers suivaient en même temps 173 022 personnes à l’extérieur
des prisons et 66 975 personnes détenues. La charge de travail par conseiller est
indiscutablement immense, impliquant une nécessaire augmentation des moyens. Mais
dans une période de restrictions budgétaires, il s’agit sans doute aussi de penser à des
suivis différenciés. Il faut aussi penser à des méthodes nouvelles, qui pourraient
s’articuler autour de deux axes : favoriser la motivation de la personne suivie à sortir de
la délinquance (entretien motivationnel) ; mettre en place les conditions matérielles de
cette « désistance » de la délinquance.
Au-delà de la rénovation des méthodes, associer d’autres acteurs au suivi et au contrôle de
certains condamnés s’avère être une piste intéressante. Il s’agirait notamment de la police
et la gendarmerie. Dans certaines situations, les élus locaux pourraient aussi être associés à
ce contrôle. Les maires et les adjoints ont en effet la qualité d’officier de police judiciaire
(OPJ), ce qui les astreint au secret et clôt le débat sur le respect de la vie privée.
Généraliser les libérations conditionnelles et créer des cellules de suivi
élargies à de nouveaux acteurs
Les libérations conditionnelles, qui sont accompagnées de contrôles, d’obligations et
d’interdictions (qui sont rendues possibles en ce que la personne concernée est
toujours « sous main de justice », précisément parce que le temps de sa peine n’est
pas échu, contrairement à une « sortie sèche » qui intervient lorsqu’une personne a
effectué la totalité de sa peine), sont un élément clef dans la lutte contre la récidive
mais ne sont que trop peu mises en oeuvre. Je propose de généraliser cette modalité
de retour en liberté, de manière à ce que les sortants de prison soient ainsi suivis et
contrôlés. Cette généralisation des libérations conditionnelles va obliger l’administration
à renforcer les moyens des services de suivi et de contrôle en milieu ouvert.
Pour assurer ce suivi et ce contrôle, non pas dans une logique de délégation, mais de
coopération, je propose que les services pénitentiaires d’insertion et de probation
actuels travaillent désormais dans le cadre de cellules de suivi de l’exécution des
peines en milieu ouvert, aux côtés de la police, de la gendarmerie et de certains élus,
pour que soit anticipé, suivi et contrôlé le retour en liberté conditionnelle de certains
sortants de prison.
Proposition mise en consultation sur www.parlement-et-citoyens.fr
Une rénovation de la réponse à la délinquance est possible. Elle suppose au préalable un
débat démocratique et une connaissance, la plus scientifique possible, de ces questions.
Elle suppose aussi que l’on en finisse avec l’instrumentalisation politicienne de ces
questions. Cela suppose en outre que l’on dépasse les crispations corporatistes et
l’attachement à des pratiques anciennes, remises en cause aujourd’hui.
Rénover notre politique pénale et carcérale nécessite enfin que l’on ait une approche
dynamique à propos de la question des droits de l’homme. Les libertés ne sont pas
seulement garanties par le respect des procédures. Elles le sont également par la mise
en oeuvre de politiques émancipatrices, qu’il faut veiller à rendre compatibles avec les
recommandations de droit.
1. Via le dispositif Parlement et Citoyens (www.parlement-et-citoyens.fr), je soumets mes analyses et mes
propositions à la discussion et les citoyens peuvent déposer les leurs, qu’elles soient contradictoires ou
complémentaires, ainsi qu’évaluer et commenter les miennes. Pour des raisons pratiques, cette consultation
ne porte que sur trois des grands axes proposés par le rapport de la Mission d’Information. A l’issue de cette
consultation, je prendrai part à une rencontre avec plusieurs des contributeurs, rencontre qui sera
retranscrite sur la plate-forme. Par ailleurs, je proposerai une réécriture de la présente Note de manière à
identifier l’ensemble des avis et analyses qui seront venus enrichir ce travail.d
2. Pierre-Victor Tournier, Dictionnaire de démographie pénale, L’Harmattan, 2010.
3. Bruno Lavielle, Michaël Janas, Xavier Lameyre, Le guide des peines, Dalloz-Sirey, 2006.Répression :
d’une culture
de l’enfermement
à une culture
du contrôle ?
Répression :
d’une culture
de l’enfermement
à une culture
du contrôle ?
Répression :
une culture
de l’enfermement
à une culture
du contrôle ?RÉPRESSION