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Après le congrès du BICE : « Abus sexuels des enfants, mécanismes de protection et résilience »

Le Bureau International Catholique de l’Enfance (B.I.C.E.) organisait ce mois-ci, à Paris dans le superbe cadre du Collège des Bernardins, un congrès international sur L’Abus sexuel des enfants. Congrès résolument international, avec des intervenants venant de France certes, mais aussi des USA, du Guatemala, du Portugal, du Pérou, du Togo, du Chili, de Russie, du Cambodge, du Mali, de Pologne, d’Argentine. Dans la salle également, le public était également de nationalités diverses, en particulier une femme de Côte d’Ivoire a témoigné de sa souffrance causée par des abus subis dans l’enfance, et par l’absence d’écoute, voire la complaisance de la famille et des services de police et de protection. Mais malgré sa souffrance et son émotion, sa parole, sa détermination, sa volonté de venir en aide aux enfants victimes, étaient bien le signe que la résilience est possible, même après des traumatismes qui laissent des traces.

Les différents intervenants ont évoqué des programmes mis en place dans leurs pays respectifs pour comprendre l’abus sexuel dans sa globalité, pour venir en aide aux enfants victimes (les « bonnes pratiques » pour accompagner les enfants), et aussi pour aborder la question des abus sexuels sur internet.

Le président du BICE, en début de journée, a rappelé les objectifs de cette organisation, en trois points : d’abord le développement de la bientraitance des enfants, puis le traitement des obstacles à la bientraitance, à savoir tout ce qu’on nomme « maltraitance », et enfin la promotion de la résilience, dans un but de réparation des dommages causés. Il est intéressant de donner ces objectifs dans cet ordre logique, différent de l’ordre chronologique de l’apparition de ces différents concepts. On a en effet commencé dans notre pays à se préoccuper de la maltraitance (avec une première loi en 1989 sur ce sujet). Ce n’est qu’ensuite que les professionnels ont développé la notion de bientraitance, avec la création des actions de soutien à la parentalité. Et dans le même temps, les travaux de Manciaux, de Cyrulnik, et aussi de Stefan Vanistendael, du BICE, ont mis en évidence l’importance de la résilience, réfutant l’idée généralement admise qu’un enfant victime de maltraitance deviendra inévitablement un parent maltraitant, et valorisant donc l’idée qu’il existe toujours de l’espérance et une porte de sortie à la situation de maltraitance. Commencer par valoriser la bientraitance, comme le préconise le BICE est donc une démarche tout à fait salutaire. Et sous-titrer ce dernier congrès sur l’abus sexuel : « mécanismes de protection et résilience » constitue une orientation de pensée très positive. Il est d’ailleurs très symptomatique de noter que le témoignage vidéo d’une personne qui avait subi des agressions sexuelles soit intitulé : témoignage d’une « ex-victime » et non pas témoignage d’une victime. C’est clairement dire qu’on peut avoir été victime et ne plus l’être. Plusieurs intervenants ont insisté sur la nécessaire reconnaissance de la situation de victime à condition de ne pas faire de ce statut de victime l’essentiel de l’identité de la personne. A l’opposé, certaines organisations choisissent de se nommer « associations de victimes », laissant entendre qu’on ne peut que rester victimes, voire militer pour garder ce statut. Par contre, les « services d’aide aux victimes », les « bureaux d’aide aux victimes » disent aussi clairement qu’ils viennent en aide à des personnes qui ont été victimes pour qu’elles ne le soient plus à l’avenir et pour qu’elles ne se sentent plus victimes.

Les actions de soutien à la bientraitance, la lutte contre la maltraitance et en particulier contre les abus sexuels, la promotion de la résilience, posent néanmoins une question de fond : quelle est la meilleure « cible » pour de telles actions ? Sont-ce les enfants, ou les parents ? ou les deux à la fois ? et les institutions ? On peut travailler avec des groupes d’enfants pour développer leur estime de soi, leur apprendre à négocier, à manifester empathie et solidarité, mais ce ne peut être opérant que si le milieu familial sait aussi poser des limites, respecter chacun de ses membres, et que si le milieu scolaire ne valorise pas plus la compétition et la rivalité que la solidarité. Par ailleurs, les programmes de promotion de la résilience auprès des enfants risquent d’être efficaces s’ils viennent renforcer des capacités individuelles acquises dans le milieu familial dans la mesure où l’on sait que des personnes traumatisées seront d’autant plus résilientes qu’elles ont connu dans leur enfance des liens d’attachement sécures. Ce qui revient à dire que le premier travail à réaliser est bien l’éducation parentale à la bientraitance. Et de même, pour comprendre et traiter les situations d’abus sexuels, plusieurs intervenants lors de ce congrès ont bien mis en évidence l’importance d’un travail avec la famille.

Un certain nombre de chiffres ont été évoqués au début de ce congrès, à la fois par la ministre de la famille et par le président du BICE. Tous deux ont d’ailleurs repris entre autres des chiffres cités par l’association « mémoire traumatique et victimologie » déjà cités dans un article précédent sur ce blog[1]. J’avais voulu attirer l’attention sur le fait que ces chiffres ne pouvaient être crédibles dans la mesure où la population ayant répondu au questionnaire ne pouvait être considérée comme représentative de l’ensemble des victimes d’abus sexuels. Mais il paraît qu’il faut des chiffres pour objectiver la réalité des violences. C’est ce qui doit permettre de décider des politiques de protection, de soin, de prévention. Pourtant, les chiffres sont rarement objectifs. Et leur fonction me paraît plus d’émouvoir, de faire peur, que de décrire une réalité objective. A titre d’exemple, pour quantifier le phénomène des abus sexuels, une étude américaine fait état d’une personne sur 5 qui a subi des agressions sexuelles avant 18 ans. L’Association Internationale des Victimes d’Inceste (AIVI) a publié un sondage faisant état de 2 millions de personnes en France ayant subi l’inceste. Deux millions ! Voilà un chiffre qui impressionne. Et pourtant, rapporté à la population française, une personne sur 5, cela représente 20% de la population, alors que 2 millions n’en représentent que 3% (les cas d’inceste ne regroupent pas tous les cas d’abus sexuel, mais on sait qu’ils en représentent la très grande majorité). La ministre s’est d’ailleurs limitée au chiffre de 154 000 enfants victimes d’abus sexuels… En fait, peu importent les chiffres. Il a été clairement dit et montré au cours de ce congrès que l’abus sexuel se trouve dans tous les milieux sociaux, dans tous les pays, et, il est important d’ajouter, dans toutes les époques.

Un rapide survol de l’histoire de l’humanité met en évidence la constance des abus sur les enfants et la très lente progression vers la prise en compte de la personne de l’enfant.[2]

Tous les récits mythologiques qui racontent la naissance de l’humanité sont remplis de violence et d’inceste. Dans notre culture gréco-romaine, la déesse de la terre conçoit celui qu’elle va épouser. Cet époux jaloux des enfants qui naissent de leur union les fait disparaître les uns après les autres. La déesse mère décide alors de faire châtrer son époux par l’un de ses enfants. Les frères et sœurs nés de cette union vont ensuite s’épouser, et l’inceste et la violence vont ainsi se poursuivre, chez les dieux, puis chez les hommes.

Le tabou de l’inceste se mettra peu à peu en place lorsque les clans familiaux percevront que l’exogamie permet l’ouverture sur l’extérieur alors que l’endogamie n’engendre que la sclérose et la fermeture du clan. Mais les enfants restent des objets, des biens qui appartiennent au clan, puis chez les romains, clairement au pater familias qui a droit de vie et de mort sur eux. Cette possession n’exclut pas l’utilisation sexuelle malgré le tabou de l’inceste.

Le conte du joueur de flûte de Hamelin situé au XIIIème siècle raconte comment des enfants ont servi de monnaie pour payer l’action du joueur de flûte dératiseur. L’enfant du moyen âge était par ailleurs un bien familial, un outil de travail.

Il faut attendre le XXème siècle pour que l’on commence vraiment à se préoccuper de « protection » de l’enfance. Les premières lois de protection de l’enfance vont ensuite se trouver renforcées par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. L’enfant, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité est considéré comme porteur de droits. Cette Convention date de 1989, il y a seulement 25 ans. Et malgré cette véritable révolution, existent toujours, dans divers endroits de la planète, des meurtres de filles jugées indésirables, des enfants soldats, des enfants exploités, des enfants enlevés, violés, utilisés comme esclaves sexuels, des enfants achetés et vendus.

Il apparaît donc tout à fait utopique de vouloir éradiquer totalement des pratiques qui sont encore courantes à l’échelle de l’humanité, même si elles sont unanimement réprouvées et si elles sont devenues illégales dans la plupart des pays. On peut considérer que globalement les sociétés ont pris acte du fait que l’enfant est une personne qui a des droits, (même si souvent cette évolution s’est accompagnée d’une difficulté pour les adultes à poser des limites à leur descendance). Il reste à accompagner cette évolution en participant à toute action qui favorise la reconnaissance de ces droits nouveaux. Lorsque ces droits sont bafoués, les sanctions sont nécessaires, mais c’est surtout par l’éducation et la culture que pourra se poursuivre cette lente évolution des mentalités, beaucoup plus que par la répression des débordements. Cela semble bien être le projet du B.I.C.E.

Toutefois, au cours de cette journée de congrès sur les enfants victimes d’abus sexuels, il a été très peu question des auteurs de ces abus, comme s’ils n’étaient pas vraiment concernés par la compréhension de ces crimes et par la résilience des victimes, alors que l’on sait que la plupart des auteurs d’abus ont été eux-mêmes dans le passé victimes soit d’abus sexuels soit d’autres formes de violence. De plus, la prévention des récidives d’abus, la « désistance », pourrait aussi se nommer résilience des auteurs. Les intervenants qui ont évoqué l’importance et la nécessité d’un travail familial pour comprendre et pour traiter les situations d’abus dont sont victimes les enfants n’ont fait aucune mention des auteurs dans cette prise en compte, du moins lorsque (cas le plus fréquent) l’auteur est un membre de la famille.

J’ai eu connaissance d’une situation où un père de famille, en Belgique, a été condamné, pour des viols sur son fils de 6 ans, à 5 ans d’emprisonnement avec sursis, et obligation de soins pour lui-même et pour sa famille. Ce mode de sanction, tout à fait inconcevable en France où les peines d’emprisonnement sont les plus longues de toute l’Europe, et où la coupure du condamné avec sa victime, voire avec sa famille, est la règle, suit en fait les préconisations formulées par une commission belge qui après l’affaire Dutroux, notait que :

« Dans les situations d’abus sexuel intra-familial, il faut réfléchir sur les effets, désirables ou

non de l’intervention judiciaire, de la sanction éventuelle de l’abuseur sur sa famille et ses

enfants, y compris la ou les victimes. Dans certaines situations où l’incarcération de

l’abuseur peut entraîner des conséquences dommageables pour sa famille, on doit

encourager d’autres mesures, des peines alternatives, ou d’autres modalités d’intervention

plus adaptées au contexte. Lorsqu’il existe un rapport de parenté ou de familiarité entre

l’abuseur et sa victime, certaines phases du traitement doivent s’articuler de manière

dynamique et comprendre la constellation familiale. La question de la réconciliation entre

l’abuseur et la victime reste ouverte. Selon le cas, des rencontres à visée thérapeutique, entre l’abuseur et sa victime, peuvent s’organiser. Enfin, la famille de l’abuseur doit également être incluse dans ce processus thérapeutique, surtout lorsqu’il s’agit d’une situation d’inceste. Tout en respectant les désirs de la victime, l’intervention thérapeutique peut viser une certaine restauration sinon des relations humaines entre les protagonistes, au moins celle de l’histoire de celui qui a commis l’abus sexuel et de celle qui l’a subi. »

Ces recommandations restent très prudentes : « dans certaines situations… selon le cas… en respectant les désirs de la victime ». Mais on voit bien que l’intérêt de la victime peut passer par de telles pratiques. Pour avoir médiatisé un certain nombre de rencontres entre des condamnés pour des crimes sexuels intrafamiliaux et leur victime, je peux témoigner du rôle de véritable « tuteur de résilience » joué par ces condamnés auprès de leur victime, sans qu’il y ait eu nécessairement réconciliation entre eux.

Dans certains cas donc l’auteur d’abus peut être un agent de la reconstruction de la victime (comme ces cas où l’auteur a remercié sa victime d’avoir dénoncé les faits, et aussi ces situations où l’auteur s’est dénoncé lui-même). Ces cas ne sont probablement pas majoritaires, mais ils seraient plus nombreux s’ils étaient encouragés.

La prévention de ces abus intrafamiliaux est certes difficile à envisager. Elle ne peut passer que par cette éducation parentale évoquée plus haut. La prévention des abus extrafamiliaux est par contre plus facilement réalisable. C’est ce à quoi s’emploie depuis près de 20 ans l’association L’Ange Bleu de Latifa Bennari, Il est possible d’aider des personnes attirées sexuellement par des enfants à résister à cette attirance, dans le réel ou sur internet. Et les groupes qu’elle anime où se rencontrent des anciennes victimes et des « pédophiles abstinents » ou parfois anciens condamnés constituent aussi une aide importante à la résilience des victimes.

On peut rêver d’un prochain congrès international où seraient présentées les expériences de prévention auprès d’auteurs potentiels, avant le passage à l’acte, dans différents pays (comme cela existe en Allemagne ou en Suisse…).

Michel SUARD

[1] Voir la page 58 de ce blog : « Résilience ? Connaissent pas »

[2] Pour une étude détaillée de l’évolution historique des réactions face aux abus, voir à la page 47 de ce blog l’article de Pierrette Lemoine intitulé « Évolutions du concept de violences sexuelles à travers l’histoire »

BICE: www.bice.org

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Published by suardatfs