La loi « tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal » a été votée par le Parlement, suivant la procédure d’urgence le 8 février 2010. J’ai eu l’occasion de dire tout le mal que je pensais de cette loi. La nouvelle définition de l’inceste proposée par le législateur est en effet confuse et floue et rend la loi inutile, voire dangereuse (lire sur le blog atfs.fr le texte n° 28 et aussi le texte n°4).
Rappel : la définition de l’inceste dans le nouvel article de loi 222-31-1 : « Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait"7
Un justiciable, (sans doute concubin d’un membre de la famille) condamné en Cour d’Assises le 9 juin 2010, pour viol incestueux selon la définition proposée par la nouvelle loi, a fait appel de cette décision, puis a saisi la Cour de Cassation qui a validé une Question Prioritaire de Constitutionnalité, transmise le 22 juin 2011 au Conseil Constitutionnel. (lire sur le blog atfs.fr l’article n°28 emprunté à Michel Huyette)
Rappel : définition d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC)
Depuis le 1er mars 2010, tout justiciable peut, au cours d’une instance judiciaire, invoquer l’inconstitutionnalité d’une disposition législative, au moyen d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Cette question est transmise par le juge du fond à la Cour de cassation, puis au Conseil constitutionnel, lorsque les conditions posées par la loi organique du 10 décembre 2009 sont remplies.
La question doit porter sur une disposition législative applicable au litige ou à la procédure, ou constituant le fondement des poursuites ; la disposition contestée ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution, sauf changement des circonstances.
Les articles 126-5 du code de procédure civile et R 49-26 du code de procédure pénale, résultant du décret n°2010-148 du 16 février 2010, prévoient que le juge n’est pas tenu de transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité lorsque la Cour, ou le Conseil constitutionnel, est déjà saisi d’une question mettant en cause cette disposition législative par le même moyen.
Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 16 septembre 2011, a considéré fort justement que la notion de « famille » était trop imprécise : "Considérant que, s'il était loisible au législateur d'instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux, il ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s'abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, la disposition contestée doit être déclarée contraire à la Constitution".
Le législateur ne pouvait s’abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées comme membres de la famille.
Le Conseil a ensuite précisé
que "l'abrogation de l'article 222-31-1 du code pénal prend effet à compter de la publication de la présente décision ;
qu'à compter de cette date, aucune condamnation ne peut retenir la qualification de crime ou de délit « incestueux » prévue par cet article ;
que, lorsque l'affaire a été définitivement jugée à cette date, la mention de cette qualification ne peut plus figurer au casier judiciaire".
L’article 222-31-1 qui qualifie les viols et agressions sexuelles incestueux est donc supprimé. Mais le reste de la loi du 8 février 2010 est toujours valide. Et c’est là que ça se complique.
Rappel : définitions des atteintes et agressions sexuelles. Une agression sexuelle est une « atteinte » sexuelle, faite avec « violence, menace, contrainte ou surprise ». On parle de viol lorsqu’il y a en outre « pénétration à caractère sexuel ».
L’agression sexuelle est un délit, jugé par un Tribunal Correctionnel. Le viol est un crime jugé en Cour d’Assises. L’atteinte sexuelle est donc un comportement sexuel inadapté, mais commis sans violence, menace, contrainte ou surprise. C’est un délit relevant du Tribunal Correctionnel. La relation sexuelle librement consentie avec un mineur entre 15 et 18 ans (15 ans étant considéré comme « majorité sexuelle ») est prévue par le Code pénal sous le nom d'atteinte sexuelle et punie de cinq ans d'emprisonnement maximum (sauf circonstances aggravantes) alors que la relation non consentie entre dans le champ de l'agression sexuelle et est punie de sept ans d'emprisonnement maximum (sauf circonstances aggravantes) pour une victime mineure de 15 ans.
Mais les rédacteurs de la loi de février 2010 avaient l’intention d’annuler cette notion de majorité sexuelle pour les faits commis à l’intérieur de la famille. Dans l’exposé des motifs de leur proposition de loi, il était indiqué que le premier objectif de la loi était d’ « affirmer qu’un mineur ne peut être consentant à un acte sexuel avec un membre de la famille. Le climat incestueux rend en effet caduque toute réflexion en terme de violence, menace, contrainte ou surprise. Ici, la question du consentement ne peut donc être posée. ».
L’article de loi qui en découle reste toutefois très vague, puisqu’il est ainsi formulé : « La contrainte prévue par le premier alinéa de l’article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ». La contrainte et donc l’absence de consentement est devenue seulement possible. Ce qui correspond d'ailleurs à la réalité. Il existe en effet des jeunes de 16 ans qui ont des relations sexuelles librement consenties, « amoureuses », avec leur beau-père par exemple. Mais l’intention des rédacteurs de la loi était bien de supprimer la notion d’ « atteinte sexuelle » sur des mineurs dans leur famille et de n’envisager que des situations d’ « agressions sexuelles ».
Or, si les viols et agressions sexuelles « incestueux » sont retirés de la loi, les atteintes sexuelles incestueuses sont maintenues, avec la même imprécision sur la définition des limites de la « famille » : L’article 222-31-1 est donc abrogé mais pas l’article 227-27-2, voté par la loi de février 2010, qui stipule :
« Les infractions définies aux articles 227-25, 227-26 et 227-27 sont qualifiées d'incestueuses lorsqu'elles sont commises au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. »
Pour mémoire, l’article 227-25 :
« Le fait, par un majeur, d'exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende. »
Rappelons que la qualification d’atteinte sexuelle incestueuse lui enlève la qualification de circonstance aggravante, et devrait donc limiter la sanction à une peine de 5 ans maximum alors que l’atteinte sexuelle sur mineur de moins de 15 ans, par ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait peut être punie de 10 ans d’emprisonnement. (formulation de l’article 227-26 du Code Pénal), puisqu’une règle juridique prévoit que « l’élément constitutif d’une infraction ne peut être en même temps une circonstance aggravante de cette infraction ».
Un autre article de la loi du 8 février 2010 prévoit que la Procureur de la République ou le Juge d’Instruction doit obligatoirement désigner un administrateur ad hoc dans les cas de faits incestueux. Cette décision était déjà critiquable en ce qu’elle pose comme a priori que le conjoint ou la conjointe de l’auteur des abus ne peut assurer la protection des intérêts du mineur, et donc qu’il ou elle est en quelque sorte a priori complice. Ce qui est parfois le cas, mais qui ne peut être considéré comme une généralité. Si par exemple une mère porte plainte contre son compagnon pour des faits de nature sexuelle subis par sa fille, et qu'elle prend fait et cause pour sa fille, elle montre qu'elle est capable, en tant que tituaire de l'autorité parentale, de défendre les intérêts de sa fille et n'a nul besoin d'un administrateur ad hoc pour prendre sa place.
Rappel de la définition de l’administrateur ad hoc : un administrateur ad hoc est désigné lorsque la protection des intérêts de celui-ci n'est pas complètement assurée par ses représentants légaux ou par l'un d'entre eux. C’est lui qui représente l’enfant pendant le temps de la procédure, qui exerce les droits reconnus à la partie civile (ex : demande de dommages-intérêts) et qui fait appel à un avocat pour le mineur.
L’article 705-60 du Code de Procédure Pénale n’a toutefois, à ce jour, pas été complètement toiletté, puisqu’il prévoit encore : « Lorsque les faits sont qualifiés d'incestueux au sens des articles 222-31-1 ou 227-27-2 du code pénal, la désignation de l'administrateur ad hoc est obligatoire, sauf décision spécialement motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction. »
Puisque le Conseil Constitutionnel a abrogé l’article 222-31-1, la désignation d’un administrateur ad hoc n’est plus obligatoire dans les cas d’abus intrafamiliaux les plus graves : viols et agressions sexuelles. Par contre, elle reste obligatoire pour les cas d’atteintes sexuelles dites « incestueuses ».
Comprenne qui peut !
Le Conseil Constitutionnel ne pouvait légalement intervenir que sur l’article concerné par la QPC posée. Mais cela ne simplifie pas la compréhension de la Loi.
Je ne peux que confirmer que cette loi de février 2010 était bien inutile…
Michel SUARD
30 octobre 2011