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  • : Le blog de l'A.T.F.S.
  • : Le site web de l'association de thérapie familiale systémique - Caen (14)
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TÉMOIGNAGE D’UN THÉRAPEUTE

 

(Article paru dans la revue « Le Sociographe » n° 22 en janvier 2007)

 

 

Je travaille en prison, à CAEN et à ARGENTAN, avec des auteurs de crimes sexuels intrafamiliaux, ce qu’on appelle communément inceste. Je suis salarié d’une association, l’Association de Thérapie Familiale Systémique de CAEN, qui a passé une convention avec le CHS, ce qui me place sous le contrôle du chef de service du Service Médico-Psychologique Régional, mais me garantit une certaine indépendance. Situation particulière, travail original, je ne vois que des détenus condamnés pour des abus sexuels intrafamiliaux, je reste en dehors des contraintes et des enjeux institutionnels, de même que des problèmes liés aux conditions de travail (35h, RTT…). Je ne consacre qu’un temps limité à cette activité, puisque je suis engagé par ailleurs dans diverses autres tâches (formation, supervisions d ‘équipes, thérapies familiales en cabinet, expertises…).

 

En quoi ta pratique professionnelle est-elle inhabituelle ?

 

C’est une pratique professionnelle originale, particulière, en dehors des normes habituelles du travail du psychologue (du moins dans sa représentation classique), et qui n’est pas destinée à faire école. J’ai eu déjà l’occasion de présenter ce travail dans divers colloques, mais il s’agit d’une pratique clinique qui n’a pas donné lieu à une véritable recherche scientifique. Je peux seulement dire que mon expérience porte sur les 185 détenus que j’ai suivis, et pour lesquels j’ai eu des entretiens avec leurs familles dans un tiers des cas, et sur les 42 victimes que j’ai rencontrées avec leur agresseur.

 

Ces auteurs de crimes sexuels incarcérés, je les rencontre en thérapie de groupe, et/ou lors d’entretiens familiaux, et aussi en entretiens individuels.

 

LA THÉRAPIE DE GROUPE

 

Les groupes de thérapie réunissent 5 à 7 détenus, tous les quinze jours, pendant 6 mois à 2 ans. Groupes de parole, d’échange, ce sont des lieux de communication sur la condamnation, les arrestations, les faits eux-mêmes (sans entrer toutefois dans le détail de l’enquête policière), le vécu des différents moments (j’ai appris ainsi que tous avaient ressenti un soulagement lors de leur arrestation), sur leur relation avec la victime, avec les autres membres de la famille, sur leur représentation de ce que peut être le vécu de la victime et des autres membres de la famille, sur les évènements du passé (les violences subies…), sur les émotions, le ressenti dans la vie en famille. Le vécu de la vie en prison constitue aussi un sujet de débats important, la sexualité en prison, les projets pour la sortie, le ressenti de la reprise des contacts avec l’extérieur lors des permissions.

 

Le groupe veut être en fait une école d’expression des émotions ressenties dans le passé, lors des faits incriminés, et dans la vie présente, avec un souci constant d’apprentissage de l’empathie pour la victime. Toutes ces personnes avaient en effet dans leur vie familiale une inaptitude fondamentale à verbaliser la moindre émotion. Je constate par ailleurs que le groupe est un lieu étonnant où chacun fait preuve de tolérance et d’écoute de l’autre qui a vécu des expériences voisines plus ou moins graves que les siennes, mais tout aussi douloureuses.

 

L’échange est essentiellement verbal, à partir de l’expérience vécue par chacun. Parfois, j’utilise des supports vidéo ou des jeux de rôle. Ma « technique » consiste à faciliter une circulation systémique de l’information, sans recours à des activités d’apprentissage de type cognitivo-comportemental.

 

Lors des bilans, réalisés en particulier à chaque arrivée d’un nouveau membre dans le groupe, il est intéressant d’entendre ces personnes reconnaître elles-mêmes le travail de maturation qui s’est opéré grâce à leur participation au groupe.

 

LES ENTRETIENS FAMILIAUX

 

La thérapie de groupe est de plus en plus utilisée aujourd’hui dans le cadre pénitentiaire. L’originalité de mon travail repose surtout sur les entretiens familiaux, qui se révèlent un excellent lieu d’exercice et de mise en application de ces changements relationnels (tolérance, empathie, écoute..). Ces entretiens permettent de préciser le travail sur la communication dans la famille, sur les secrets, sur les distances interpersonnelles et intergénérationnelles et donc sur les règles du respect de l’autre, sur l’équilibre des relations homme-femme dans le couple, sur le contrôle des actes et des affects.

 

Mais comment est-il possible de réaliser des thérapies familiales en prison ?

 

Je ne parle pas de thérapies familiales stricto sensu compte tenu du contexte particulier de la prison. Je parle d’entretiens familiaux, et j’ai eu beaucoup de chance de rencontrer des directeurs de centre pénitentiaire particulièrement intéressés à ce type de travail avec les détenus et avec leur famille. Je reçois donc des familles avec leur prisonnier, dans la prison, mais aussi parfois à l’extérieur, lors de permissions de sortie, ou après la mise en liberté conditionnelle. Dans ce cas, les entretiens ont lieu, soit à mon bureau, soit lors de visites à domicile toujours particulièrement intéressantes. Mais dans tous les cas, cela nécessite bien évidemment une coopération active de la famille, et parfois même une demande clairement exprimée.

 

Il s’agit de familles qui ont gardé des liens avec le condamné, et qui viennent régulièrement le voir au parloir (conjointe, enfants non victimes, et parfois victime). Le but des entretiens est alors de parler des raisons de l’incarcération, pour que les enfants ne restent pas enfermés dans le non-dit. Ce fut le cas par exemple lorsque l’entretien a permis que soit révélé « officiellement » à un enfant de 11 ans, par sa mère et son « père-grand-père », sa conception incestueuse. Il était au courant, mais n’en avait jamais parlé dans la mesure où il avait compris qu’il s’agissait d’un secret puisque ses géniteurs ne lui avaient encore rien dit.

 

Autre objectif de ces entretiens : mettre des distances entre la personne condamnée et une victime restée dans un lien affectif excessif, ou dans un lien de dépendance voire d’emprise.

 

J’ai pu également médiatiser des rencontres avec des victimes qui demandaient à reprendre contact avec le condamné, soit pour se confronter à leur peur de sa sortie, soit pour renouer des liens après la rupture causée par la condamnation et l’incarcération.

 

Mais la rupture ne devrait-elle pas être la règle entre une personne qui a transgressé le tabou de l’inceste et sa victime. Comment peut-on envisager une reprise des liens ?

 

J’ai entendu en effet des prises de position catégoriques et radicales du genre : « un père qui a commis l’inceste ne peut plus être père ; on devrait systématiser pour eux le retrait de l’autorité parentale… Quand la fonction symbolique paternelle a été détruite, elle ne peut être restaurée… » Il s’agit là de positions théoriques, ou militantes, parfois émotionnelles. Pour ma part, et de façon tr ès pragmatique, j’ai rencontré des victimes qui réclamaient de revoir le père qui avait été leur agresseur. Et ce sont ces victimes qui m’ont appris la nécessité de travailler sur la distance affective entre les niveaux générationnels. La relation incestueuse a certes court-circuité le lien générationnel, mais je suis bien obligé de constater que la restauration est possible et qu’un travail familial permet d’aboutir à des changements significatifs dans le mode relationnel, montrant ainsi que le changement est possible.

 

Mais l’objectif de ces rencontres familiales n’est pas d’abord la reprise des liens. C’est plutôt le traitement de ces liens, c’est la mise en mots de ce qui n’a jamais été véritablement parlé. Le processus judiciaire a permis de nommer déjà beaucoup de choses, et en particulier les faits d’agression sexuelle. Mais il reste à communiquer sur le ressenti de chacun, sur la nature des liens qui ont pu amener ces déviances. Et dans plusieurs cas, la demande de la victime était bien de parler sur ce qui s’était passé, d’essayer de comprendre, mais surtout pas de renouer des liens dans l’avenir.

 

Par ailleurs, lorsque la rencontre n’est pas envisageable, j’essaie de travailler avec la personne condamnée sur un projet de lettre à adresser à la victime en cherchant ce qui pourra avoir valeur de « réparation » des actes commis.

 

LE CADRE DE L’INTERVENTION

 

Tu  parles d’entretiens familiaux en prison, de visites à domicile, de réparation du lien entre auteur et victime…Comment justifier un tel débordement du cadre de travail du psychologue ?

 

Je sais que dans ce travail, je déborde souvent de rôle classique du psy. J’empiète parfois sur les plates-bandes du travailleur social. Mais il est vrai que ma formation systémique a sérieusement mis à mal la notion de spécificité professionnelle et de chasse gardée de tel ou tel corps professionnel. Par ailleurs, pendant 30 années de travail en AEMO, j’ai pu apprécier la richesse de l’intervention à domicile.

 

Mais mon point de vue théorique et pratique sur cette question, c’est que le cadre, c’est moi qui dois le poser, c’est moi qui le réfléchis, au cas par cas, et le remets sans cesse en question, à partir de deux éléments, et sans tenir compte d’un quelconque usage ou d’une théorie.

 

Premier élément : le contexte de l’intervention. Nous sommes en prison et il est parfaitement illusoire de vouloir travailler à partir d’une « demande » authentique du patient. Tous les détenus condamnés pour des délits ou des crimes sexuels reçoivent de la part du Juge d’Application des Peines, non pas une obligation, mais une très forte injonction, à se soigner. C’est même une condition indispensable pour pouvoir bénéficier d’un aménagement de peine (remises de peines supplémentaires, permissions de sortie, libération conditionnelle). Il s’agit pratiquement d’un chantage, mais ce chantage ne me gêne pas, dans la mesure où je considère l’abus sexuel comme un symptôme, c’est-à-dire un message d’appel à l’aide qui exprime l’impossibilité de communiquer sur les conflits du couple ou sur les violences subies dans l’enfance. C’est bien là, à mon avis, le sens profond de l’abus sexuel : c’est une violence agie qui parle d’une violence subie (pas nécessairement de nature sexuelle), violence subie par l’auteur lui-même ou par quelqu’un de son entourage proche. Autrement dit, si cette personne condamnée avait été capable d’exprimer ses souffrances, ses émotions, elle n’aurait pas eu besoin de passer à l’acte. Et vouloir une demande de soins claire et bien formulée revient à considérer le problème résolu. La pression exercée par le magistrat n’est donc pas inutile, et je ne peux que constater l’engagement de tous mes patients dans un processus de soins avec une bonne coopération malgré cette « injonction ».

Le « chantage » exercé par le monde judiciaire devient toutefois un abus lorsqu’une permission de sortie est refusée par exemple pour « soins insuffisants »…

 

Le deuxième élément qui me permet de définir le cadre de mon intervention s’apparente au contre-transfert. C’est mon envie d’intervenir, mon empathie, mes réactions émotionnelles face à la situation avec l’auto-contrôle et la gestion de ces sentiments. Prenons l’exemple de la situation de M. B., condamné pour abus sur les trois enfants de sa femme.  Ces trois enfants réclamaient de rencontrer leur beau-père « pour voir s’il avait changé », comme le leur disait leur mère. Et ils estimaient que pour se rendre compte de ce changement, une heure de parloir ne pouvait suffire, ils souhaitaient passer une journée entière avec leur beau-père. Il me paraissait essentiel pour ces enfants « victimes » de répondre à leur demande que j’ai analysée comme un besoin nécessaire à leur construction (ou reconstruction). L’éducatrice d’AEMO ne croyait pas à l’authenticité de cette demande. Les juges (Juge des Enfants, Juge d’Application des Peines) étaient réticents. Je me suis donc mobilisé pour que ce soit possible, et j’ai ainsi accompagné à 5 reprises les enfants avec leur mère pour une journée complète de rencontre lors de permissions de sortie du beau-père dans un foyer familial, car si personne ne le faisait, on augmentait à coup sûr la souffrance des enfants et on empêchait le processus de réparation. Le Juge d’Application des Peines continue de refuser les permissions de sortie au domicile de la mère, alors qu’après ces 5 journées médiatisées, je peux affirmer qu’il n’y a aucun risque pour les enfants, et que la relation parents-enfants est « suffisamment bonne » pour espérer une vie familiale sans problème. Mais, il est bien de la responsabilité du Juge d’accorder ou non un aménagement de peine. Ce serait là un débordement extrême de mon rôle si je demandais au juge de prendre telle ou telle décision. Le magistrat s’appuie sur l’avis des experts dont c’est le travail et non sur l’avis des soignants. (Mais j’avoue que parfois j’aimerais bien donner mon avis quand je ne suis pas d’accord avec les experts…). Et puisque le beau-père sortira de prison en fin de peine, je me satisfais de savoir que ces journées médiatisées auront constitué une préparation à cette reprise de vie familiale.

 

Je ne peux pas faire de ce genre de pratique une règle à proposer à tous les intervenants, et pourtant mes expériences de rencontres médiatisées entre auteurs et victimes d’abus sexuels montrent que, sous certaines conditions (reconnaissance de la réalité des abus commis et des dommages subis par la victime, capacité d’exprimer des regrets, même si l’auteur ne peut pas vraiment «expliquer » le pourquoi de ses agissements criminels), la rencontre est possible et permet une véritable réparation des victimes , bien plus efficace que la seule réparation financière, et permet aussi une réparation de l’auteur lui-même.

 

Et je suis d’autant plus satisfait de voir ces victimes aller mieux, se reconstruire, « renaître », comme me l’a écrit une victime après un entretien avec son père, que, en même temps, je constate que l’auteur condamné lui aussi se trouve aller mieux après ces rencontres, parce qu’il est rassuré sur le devenir de « sa victime », et aussi parce que les reproches qu’elle peut lui faire le reconnaissent paradoxalement à sa place de père.

 

Je commence à voir comment tu travailles, mais peux-tu préciser ce qui te fait agir de cette manière ?

 

LE RÉFÉRENTIEL

 

Le regard systémique, auquel je me suis formé il y a 25 ans, m’a énormément aidé à travailler auprès de familles confrontées à la violence . L’outil systémique me paraît particulièrement adapté à ces situations. Cela m’a appris, face à un auteur de violence, face à une victime, à élargir le regard sur l’ensemble du système familial et à chercher à m’allier avec l’ensemble du système, non pas pour remettre à tout prix tout le monde ensemble, non pas pour considérer que tout le monde est responsable au même niveau, mais pour que la communication fonctionne mieux, pour « faire circuler l’information » et pour gérer les distances entre tous. Cette approche m’aide à considérer que l’auteur de violence n’est pas qu’un auteur de violence. Il n’a pas commis des abus 24h sur 24. Il a par ailleurs des compétences, y compris en tant que parent. De même, les victimes ne sauraient être considérées comme victimes dans toutes les activités de leur vie. Et le regard systémique permet d’être tout aussi attentif à la place des tiers, actifs et passifs qui sont aussi des acteurs du jeu familial. Mais surtout cette approche m’a donné la conviction que l’abus incestueux, comme d’ailleurs toutes les formes de violence intrafamiliale est bien le symptôme d’un dysfonctionnement familial, bien plus que qu’un trouble de la sexualité, et qu’il justifie donc une approche familiale. En outre, la reconnaissance de l’existence de la possible résilience chez les victimes de traumatisme m’a encouragé à poursuivre dans la voie de ces rencontres entre auteurs et victimes d’abus sexuels, avec cette particularité : l’auteur peut devenir ainsi un véritable acteur de la résilience de sa victime, et de sa propre résilience.

 

Certains systémiciens ont pourtant des positions théoriques très claires, voire rigides sur la nécessaire rupture entre auteur et victime d’inceste.

 

C’est vrai, j’en connais, et il est vrai que la rupture est logique et nécessaire lorsque la violence sexuelle est véritablement mortifère et s’est accompagnée de sadisme. Mais ces cas sont très rares. Il importe là encore de ne pas généraliser à partir de cas extrêmes. Et certains confondent peut-être encore pensée systémique et pensée systématique. Alors, peut-être faut-il appeler tout simplement humanisme ma conviction que le changement est possible, ainsi que ma tentative de regarder la personne globalement, sans la limiter à ces actes, aussi odieux et impardonnables soient-ils.

 

J’éprouve parfois une certaine lassitude quand je constate la frilosité des magistrats qui, au non du principe de précaution, refusent de prendre le risque d’une libération conditionnelle pour un détenu alors que l’on sait que le taux de récidive d’inceste est de l’ordre de 3%, et qu’une prolongation du temps de détention ne permettra jamais d’atteindre le risque 0. Mais quand un détenu me remercie parce que ses enfants lui ont écrit, quand une ancienne victime me parle de sa « renaissance », quand une autre me dit que maintenant, elle se tient enfin « debout », quand une autre m’écrit « Pendant très longtemps, la justice m’a appelée « victime », et vous, vous m’avez enfin appelée « Brigitte », alors j’ai très envie de continuer ce travail.

 

Je peux dire d’ailleurs que ce que je crois avoir compris de ces fonctionnements incestueux, ce sont ces personnes, auteurs, victimes, conjoints, parents, qui me l’ont appris, plus que les ouvrages traitant de ces problématiques. Ces ouvrages restent souvent très théoriques et assimilent dans une même analyse les crimes incestueux et les crimes pédophiles, alors qu’il me paraît très utile, pour l’analyse et donc pour l’intervention, de les différencier.

 

Mais n’y a-t-il pas de la naïveté de ta part dans tout cela ? N’est-ce pas toi, par ton attitude, qui crée une illusion de sincérité dans ce que tu nommes réparation par l’auteur ? Es-tu sûr qu’ils te disent la vérité ?

 

Je me pose sans arrêt ce genre de questions, ce qui fait que je pense être à l’abri du risque de naïveté. Par contre, il est plus que probable, et même j’espère bien, que mon attitude, que je qualifierai d’empathique, crée les conditions d’une authentique relation de confiance. Si je vois devant moi quelqu’un que je considère comme un « criminel » ou comme un « pervers », je vais nécessairement me méfier de lui. Il va ressentir cette méfiance, et se comporter avec prudence, ce qui va renforcer mon diagnostic initial. Ou bien, il va tenir le discours qu’il sait que j’attends de lui. Un détenu me disait récemment : « je n’ai pas accroché avec le psychiatre que j’ai rencontré à mon arrivée. Il a refait le jugement, en me disant que ce que j’avais fait n’était pas bien ! Comme si je ne le savais pas ! Avec vous, au moins, on parle d’homme à homme ».

 

Regarder ces personnes comme des êtres humains qui ont commis des actes criminels et non comme des criminels, c’est une condition essentielle pour créer une relation d’authenticité. Il devient alors possible d’échanger librement sur le caractère criminel et pervers des actes commis, et sur les émotions que cela engendre.

 

J’ai dit que ce sont ces auteurs d’abus qui m’ont appris ce que je sais. Ce sont en effet ces personnes qui m’ont fait découvrir, à ma grande surprise les premières fois leur soulagement lors de leur arrestation, leur culpabilité ressentie au moment même du passage à l’acte, des propos adressés à la victime tels que « merci de m’avoir dénoncé ». Il est possible, il est même certain, qu’à partir de ces constatations, je cherche chez les nouveaux patients si ces sentiments sont présents, et que j’induise des réponses positives. Mais il m’apparaît plutôt que je les aide à mettre des mots sur ces sentiments, présents mais toujours difficiles à exprimer. Mais, a contrario, lorsque par deux fois j’ai rencontré des personnes qui ne se sentaient pas coupables, en prétextant une relation amoureuse réciproque avec leur fille de 9 ou 12 ans, ils n’ont pas cherché à raconter les propos que peut attendre le psy, ils ont « joué le jeu » de l’authenticité de leurs sentiments.

 

Quant à la question de la vérité, je ne me la pose pas. Pour moi, la vérité, comme la réalité, n’existe pas en soi. N’existent que des représentations individuelles de la réalité, et des confrontations interpersonnelles entre ces diverses représentations. Même la justice ne dit pas la Vérité. Elle prononce un « ver-dict », c’est-à-dire ce que la justice « dit vrai ». La nuance est importante.

 

Pour conclure et tenter d’être congruent avec ces propos, je préciserai que toutes ces affirmations ne concernent que les personnes que je reçois en thérapie. Je ne prétends pas en faire une théorie applicable à tous les auteurs d’inceste ni à toutes les familles confrontées à l’inceste. J’insiste seulement sur le fait que la rencontre entre un auteur d’inceste et la victime est possible, à condition que l’auteur soit prêt à reconnaître les dommages causés, à condition que la victime soit demandeuse d’une telle rencontre, ce qui suppose que l’environnement familial et social n’y fasse pas barrage.

 

Michel SUARD

Psychologue, thérapeute familial

A.T.F.S. CAEN   janvier 06

 

J’aime les théories et les hommes , mais je n’aime pas leurs préjugés ;

Je n’aime pas beaucoup les théories qui deviennent des dogmes, qui se figent et qui s’endorment.

Je n’aime pas la quiétude de l’esprit.

Je me réserve le droit de tout réveiller.
Je n’oublie jamais que le passé est avant tout une chose mouvante, comme aujourd’hui, et que tout ce qui a vécu vit encore, change, permute, bouge, se transforme, et que la vérité se contredit cent fois par jour comme une bonne bavarde qu’elle est.

Blaise CENDRARS

in John Paul Jones ou l’ambition (1926)

 

 

 

 

Résumé

Un thérapeute familial intervient dans le cadre carcéral auprès de personnes condamnées pour des crimes sexuels intrafamiliaux (inceste),sous la forme de thérapies de groupe et d’entretiens familiaux. Ces entretiens familiaux permettent de médiatiser des rencontres entre auteurs et victimes d’inceste, outils d’une véritable « réparation » pour la victime comme pour l’auteur. Il s’agit d’une pratique inhabituelle qui va à l’encontre de l’idée courante qui préconise la rupture définitive entre l’auteur et sa famille.

 

Mots-clés : inceste, réparation, thérapie familiale systémique,prison

 

 

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