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  • : Le blog de l'A.T.F.S.
  • : Le site web de l'association de thérapie familiale systémique - Caen (14)
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Le traitement judiciaire des crimes et délits sexuels varie d’un pays à l’autre, même lorsque les législations sont proches. La comparaison des pratiques judiciaires belges et françaises en est un bon exemple et témoigne en fait d’approches différentes de la criminalité sexuelle. L’étude présentée ici est très limitée puisqu’elle porte sur seulement deux situations, l’une française, l’autre belge, qui présentent un certain nombre de points communs : Il s’agit de viol dans les deux cas, par fellation. Dans les deux cas, la victime est un garçon, âgé de 6 ans. Ce sont des situations incestueuses, révélées directement par l’enfant à sa mère, chaque mère ayant aussitôt cru son enfant et mis en route la procédure judiciaire, sans déni de la part des auteurs. La durée des faits est équivalente dans les deux cas qui ont eu lieu à la même époque à deux ans près. Une différence importante toutefois : C’est le père qui est l’auteur dans la situation belge. Pour respecter son anonymat, il aura un prénom d’emprunt, Walter, puisqu’il est wallon. C’est un oncle mineur (17 ans au moment des faits), dans la situation française. Et comme il est français, on l’appellera Franck. Tous les deux ont subi des abus sexuels extrafamiliaux dans leur enfance, et ont vécu un épisode dépressif plus ou moins long. Enfin, ces deux affaires ont abouti à une peine de prison de même durée.

 

Ces deux situations apparaissent représentatives des différences de traitement judiciaire, même si chaque Cour peut avoir des pratiques différentes et si l’individualisation des peines va à l’encontre de toute systématisation.

 

Avant de présenter les grosses différences qui sont apparues dans le traitement judiciaire de ces deux affaires, comparables, il est nécessaire d’aborder d’autres points plus ou moins communs entre ces deux pays, à propos du code pénal, de la définition du viol, et des tribunaux compétents.

 

Définition du viol dans le code pénal. Tribunaux compétents

 

La définition du viol par la Justice est pratiquement la même en France et en Belgique. Pour le code pénal belge :

 

"Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n'y consent pas, constitue le crime de viol. 
Il n'y a pas consentement notamment lorsque l'acte a été imposé par violence, contrainte ou ruse, ou a été rendu possible en raison d'une infirmité ou d'une déficience physique ou mentale de la victime.

Quiconque aura commis le crime de viol sera puni de réclusion de cinq ans à dix ans. »

Pour le code français « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.

Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle ».

 

Même définition, donc, mais peines plus lourdes en France qu’en Belgique. Dans les deux pays, les peines sont fortement aggravées lorsque l’auteur est un ascendant de la victime, et lorsque la victime est mineure. En France, les circonstances aggravantes peuvent augmenter la peine de 5 années de réclusion. En Belgique la peine peut atteindre 30 ans pour une victime de moins de dix ans. Une curiosité juridique est apparue en France depuis l’an dernier, avec l’introduction explicite de l’inceste dans le code pénal. Curiosité juridique puisque en droit, cette nouvelle « catégorie » juridique ne peut plus être une circonstance aggravante, si bien qu’un viol incestueux risque d’être puni moins sévèrement qu’un viol par ascendant. Mais en fait, les tribunaux condamnent rarement au maximum des peines prévues par le code. Ce sera le cas dans les deux situations concernées ici.

 

Un viol est un crime, jugé normalement par une cour d’assises. Mais il arrive que pour accélérer les procédures, de telles affaires soient correctionnalisées. C’est une situation très fréquente en Belgique, plus rare et très contestée en France par les avocats des victimes. Il faut préciser que lorsqu’un tribunal français correctionnalise une affaire de viol, le coupable n’est plus jugé pour viol, mais seulement pour agression sexuelle. Et le mot viol ne sera pas prononcé au procès.

 

Ces correctionnalisations occasionnelles en France peuvent avoir un effet très pervers : Prenons, à titre d’exemple la situation d’un homme initialement mis en examen pour viol. Les auditions des enfants, les examens cliniques, l’enquête, révèlent qu’il n’y a pas eu viol. Mais le service social chargé de la protection de l’enfance persiste dans la conviction qu’il y a eu viol. C’est ainsi qu’une femme a écrit récemment à propos de son mari qui a été condamné pour agression sexuelle par un tribunal correctionnel :

 

 

«  La psy du service social après la deuxième permission m’a dit : « monsieur n’a aucune évolution de réflexion sur les actes commis ». La juge nous demande des attestations et la garantie d’une personne avec nous pour finalement dire que mon mari n’a aucune évolution de réflexion alors qu’il a été suivi régulièrement par une psy. Comment peut-elle dire des choses pareilles ? Lors de la 3ème permission elle commence par dire : «  nous sommes ici suite au viol de vos filles ». Mon mari lui répond « non il n’y a pas eu de viols » et elle lui répond « mais si ; mais cela a été correctionnalisé pour faute de place aux assises », ce qui est complètement faux. Il y a eu un non-lieu pour les accusations de viols car il n’y a pas eu de viols. Comment peut-elle dire des faits mensongers de la sorte ? Mon mari lui a dit qu’il veut bien payer pour ce qu’il a réellement fait, il est là pour ça mais non pas pour des choses fausses qu’il n’a pas commises et c’est là qu’elle s’est emportée en disant que mon mari n’est pas près d’avoir une permission puisqu’il nie les faits ». 

En fait d’effet pervers, on devrait peut-être plutôt parler d’attitude professionnelle perverse ! Pour corser les choses, il faut noter que cette femme, qui s’étonnait auprès de la conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation du refus du juge d’accorder une libération conditionnelle à son mari, s’est entendue dire que si elle avait divorcé, son mari serait déjà sorti de prison. C’est dire à cette femme qu’elle est responsable du maintien de son mari en prison…

 

Revenons, après cette parenthèse, à la Belgique où l’affaire de Walter a été jugée par un tribunal correctionnel, mais très clairement pour un viol commis sur son fils. Les tribunaux correctionnels ont l’avantage d’être un peu plus rapides que les cours d’Assises. C’est ainsi que le jugement de Walter a été prononcé deux ans après la révélation des faits. Franck, quant à lui, a été jugé par une Cour d’Assises pour mineurs, et a du attendre 4 ans après la révélation des faits avant d’être jugé.

Les faits incriminés

 

En ce qui concerne la nature du crime, le texte du jugement de Walter précise qu’il est « prévenu » d’avoir commis le crime réputé viol, à l’aide de violences, par le seul fait de la pénétration sexuelle, sur la personne d’un mineur de moins de 10 ans, avec la circonstance que le coupable est son père, et aussi d’avoir commis un « attentat à la pudeur » sur la personne de son fils. Il est précisé qu’il a caressé son fils, alors âgé de 6 ans, pendant plus d’un an, qu’il a pratiqué des fellations sur son fils et qu’une fois, son fils a été obligé de « mettre le sexe de son père en bouche », ce qui fonde la prévention de viol.

 

Les faits ont été considérés comme véritables dans la mesure où les déclarations de l’enfant ont été jugées crédibles par un expert, et où le père a fait des aveux circonstanciés.

 

Le tribunal a donc décidé de tenir compte de l’extrême gravité des faits, de la longueur de la période infractionnelle, de la rupture de la relation de confiance entre le père et le fils, et du traumatisme grave engendré, traumatisme constaté par un autre expert.

 

Les faits commis par Franck tels que relatés dans son jugement présentent quelques nuances par rapport au jugement de Walter. On note tout d’abord que si Walter est « prévenu » d’avoir commis des actes, Franck est désigné comme un « accusé, coupable » d’avoir commis des actes de pénétrations sexuelles, par violence, contrainte, menace ou surprise, sur la personne de son neveu, mineur de moins de 15 ans (en fait 6 ans), les faits étant ainsi qualifiés d’incestueux dans la mesure où cet oncle, alors âgé de 17 ans et ayant donc 12 ans de plus que son neveu, avait sur l’enfant une autorité de droit ou de fait, puisqu’il exerçait une fonction de gardien de l’enfant autant que ses parents, grands-parents de l’enfant.

Franck est en outre coupable d’avoir commis des « atteintes sexuelles » sur ce même neveu.

 

Les gestes sexualisés, sans pénétration, sont qualifiés en Belgique d’ « attentats à la pudeur ». En France ce terme est remplacé, depuis une réforme du code pénal de 1994, par celui d’atteinte sexuelle, ou d’agression sexuelle lorsque l’atteinte sexuelle est accompagnée de « violence, menace, contrainte ou surprise ».

 

Le texte du jugement de Franck précise les éléments à charge : la révélation de l’enfant, en pleurs, à sa mère, que son oncle lui avait touché les fesses et lui avait demandé de lui toucher le sexe, l’aveu de l’oncle à ses deux frères d’avoir « fait des choses » à son neveu, l’aveu à l’enquête d’avoir imposé à son neveu des atteintes sexuelles et des viols à 7 ou 8 reprises (masturbations et fellations faites à l’enfant et par l’enfant), mais déni de toute pénétration anale, contrairement aux affirmations de l’enfant.

 

L’expertise de l’enfant a conclu à l’existence d’un retentissement important et de troubles du comportement de type hétéroagressivité et isolement, des troubles du sommeil et de l’appétit ainsi qu’une énurésie secondaire.

 

Le texte du jugement analyse le fait que s’il n’y a pas eu de violence, de menace ni de contrainte physique, ce sont d’une part la surprise à l’encontre d’un très jeune enfant qui ne pouvait se rendre compte de la nature et de la portée des actes sexuels commis sur lui ou exigés de lui et d’autre part la contrainte morale que représente une position d’autorité pour empêcher l’enfant de parler à ses parents et un abus de la relation de confiance et d’affection entre l’enfant et son oncle, qui fondent la caractère criminel du viol.

 

Cette notion de « contrainte morale » a été introduite dans le code pénal français en 2010 afin de considérer que même après 15 ans, (âge théorique de la majorité sexuelle) en l’absence de contrainte physique, il peut y avoir jusqu’à l’âge de la majorité légale, une contrainte morale sur le ou la mineure de la part de l’auteur d’une relation sexuelle.

 

La personnalité et l’histoire personnelle de l’auteur. Le jugement.

 

Le tribunal belge va tenir compte de la personnalité et de l’histoire personnelle de l’infracteur, et aboutir à une conclusion, qui paraît impensable en France.

 

Le texte du jugement de Walter annonce qu’il tient compte des éléments de personnalité particulièrement inquiétants mis en évidence par une expertise psychiatrique et un rapport d’un service psycho-social. L’expert psychiatre parle d’hypersexualité avec un fonctionnement narcissique pervers. Le service social  évoque des troubles de l’attachement, un risque faible de récidive, mais la nécessité d’un suivi psychologique strict.

 

Le jugement tient compte par ailleurs des abus dont il a été victime entre 12 et 16 ans, pour lesquels il bénéficie depuis longtemps d’un suivi psychiatrique

 

Le jugement note que le prévenu n’a aucun antécédent judiciaire, a mis en place une thérapie avant même la révélation des faits, et de ce fait n’a pas fait l’objet d’un mandat d’arrêt, vit actuellement à l’étranger avec son épouse et ses enfants, bénéficie dans ce pays d’un suivi psychologique ainsi que sa famille, et a sollicité un sursis probatoire, en s’engageant à revenir chaque trimestre en Belgique pour rendre compte à la commission de probation de l’effectivité de son suivi psychologique.

 

Il est à peu près certain qu’en France, au nom de la protection de l’enfant victime, le père, et aussi compte tenu du diagnostic de l’expert, aurait été immédiatement séparé de son fils et incarcéré en détention préventive, et le jugement se serait posé la question du retrait de l’autorité parentale.

 

En fait, le tribunal belge a décidé d’accorder le sursis sollicité. Le prévenu a ainsi été condamné à cinq ans d’emprisonnement, avec un sursis pendant trois ans à l’exécution de cette peine, à condition de

  • suivre la guidance sociale de la commission de probation et d’avertir celle-ci de tout changement d’adresse ;
  • ne plus commettre d’infraction ;
  • poursuivre le suivi psychologique spécialisé, engagé à l’étranger.

Il aura en outre à payer des indemnités à la partie civile, c’est-à-dire à son fils, après expertise de l’enfant.

 

En ce qui concerne Franck, les attendus du jugement du tribunal français ne font aucune allusion à son parcours ni à sa personnalité. Le psychiatre qui a réalisé une expertise peu avant le jugement, après près de 4 ans de contrôle judiciaire, a toutefois été entendu par la Cour. Les conclusions de l’expert ont été beaucoup moins sévères que celles de l’expert de Walter. Selon l’expert de Franck, celui-ci n’est pas atteint d’une pathologie mentale aliénante. Il est responsable de ses actes. Il a une personnalité narcissiquement peu assurée. Il souffre de troubles anxieux et il a connu des périodes de dépressivité à dimension névrotique.

Il manque de confiance en lui et de maturité. Il est encore dépendant de sa mère.

Franck déclare que dans la période des faits il se trouvait désemparé et triste. Il se rendait compte du caractère inadapté de son comportement. Il était dans une dynamique d’excitation sexuelle régressive. Pour ce qu’on peut mesurer, il n’a pas évolué depuis sur le mode pervers.

Il exprime maintenant un véritable sentiment de culpabilité. Il s’inquiète aussi du traumatisme qu’il a pu causer. Il a tiré bénéfice de son suivi psychologique.

L’expert conclut :

- Pas de trouble mental aliénant ou de déficience intellectuelle.

- Infraction en rapport avec son immaturité et son manque de contrôle pulsionnel.

 - Pas d’état dangereux psychiatrique.

- Accessible à une éventuelle sanction pénale et réadaptable.

 

Le suivi psychologique réalisé au cours de 30 entretiens mensuels d’une heure, suivi résultant d’une obligation de son contrôle judiciaire, a donné lieu à un compte-rendu qui n’a pas été utilisé au cours de l’audience, et qui dit que :

« Franck F. a été très participant à toutes ces séances au cours desquelles ont été abordés :
- Son histoire personnelle (avec en particulier un viol subi à 11 ans par un ado de 17 ans) ;
- La composition de la famille et sa place difficile à trouver dans cette famille ;
- Sa relation avec son neveu et les abus commis ;
- Son authentique sentiment de culpabilité, sa souffrance d’être rejeté par une partie de sa famille (rejet total de la part de sa sœur, tentative d’étranglement de la part de son frère, mais soutien de ses parents) et son regret de ne pouvoir s’expliquer avec son neveu ;
- Son parcours scolaire (absentéisme fréquent en primaire, difficultés scolaires, orientation en CLIS, suivi Guidance puis SESAD, arrêt d’un an après un accident de scooter, puis CAP vente et lycée professionnel pour préparer un bac pro), parcours qui dénote des possibilités intellectuelles évidentes et qui se sont progressivement affirmées avec une réelle volonté de réussir ;
- Ses loisirs, ses compétences informatiques, sa vie affective ;
- Son orientation sexuelle, clairement hétérosexuelle avec des femmes de son âge ;
- Sa relation actuelle avec une copine, et les valeurs de loyauté et de fidélité qu’il entend promouvoir dans toute relation affective durable ;
- Ses projets d’avenir.

Les abus commis sur son neveu ne correspondent à aucun intérêt de nature pédophilique. Ils sont survenus dans le contexte d’une période de dépression au cours d’une année marquée par une tentative de suicide, une rupture sentimentale avec une copine, la seule personne à qui il avait pu parler du viol qu’il avait subi, et un accident de scooter qui l’a immobilisé pendant 6 mois.

L’envie de réussir le bac pro, de construire une vie de couple stable, en s’éloignant des relations compliquées aussi bien dans l’actuelle famille nucléaire que dans la famille élargie, sont le signe d’une maturité certaine. La trop longue durée du contrôle judiciaire aura paradoxalement facilité cette maturation ».

Le tribunal français a décidé de condamner Franck à la peine de cinq ans d’emprisonnement dont un an avec sursis mise à l’épreuve pendant trois ans, mesure comprenant en outre diverses obligations :

  • exercer une activité professionnelle ou suivre un enseignement ou une formation
  • se soumettre à des soins
  • s’abstenir d’entrer en relation avec la victime
  • être inscrit au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (avec l’obligation, sans limite dans le temps, de justifier chaque année de son adresse auprès de la police)
  • payer des dommages et intérêts, (12 000 euros pour la victime et aussi 6 500 euros pour sa mère).

 

La durée des peines d’emprisonnement pour viol est en général beaucoup plus longue en France. C’est sans doute la minorité de Franck au moment des faits qui explique cette toute relative « indulgence » de la Cour d’Assises.

 

A l’issue du procès, Franck a été aussitôt conduit en détention, puisque le sursis ne concerne que la cinquième année de sa condamnation à 5 ans, ce qui a stoppé brutalement sa scolarité en lycée professionnel.  Ce qui n’empêche pas le tribunal de l’obliger, dès sa future sortie de prison, à exercer une activité professionnelle ou à suivre une formation.

 

Par contre, si Walter a été condamné lui, aussi à 5 ans d’emprisonnement, il reste libre, sous certaines conditions, pendant les 3 ans de son sursis.

 

En particulier les soins qu’il a entrepris à l’étranger sont reconnus et il doit les poursuivre. Par contre, les soins psychologiques de Franck, obligés pendant les trois ans du contrôle judiciaire ne sont pas évoqués dans le jugement. Il aura à nouveau une obligation de soins à sa sortie de prison. Mais les soins ne sont pas obligatoires, seulement conseillés, pendant le temps de la détention.

 

En outre, si Franck doit s’abstenir d’entrer en relation avec son neveu, Walter, par contre, a continué à vivre avec son épouse et ses enfants, dont celui qui a été la victime. Une loi française qui date de 2014 prévoit la possibilité de mesures de justice restaurative, c’est-à-dire de rencontres médiatisées entre des infracteurs et des victimes. Ce qui se pratique depuis plus de 20 ans en Belgique où la Justice est clairement orientée vers la réparation. Mais une autre loi en France, qui date de 2010 et qui est toujours en vigueur, interdit systématiquement tout contact entre un auteur de crime ou de délit sexuel et sa victime pendant l’exécution de la peine.

 

Une convention pour la mise en place de conférences restauratives en France pour mineurs délinquants, dans le département du Calvados, vient d’être signée au début de cette année 2017. Mais le Parquet a déjà exprimé un refus d’appliquer ces mesures aux situations d’abus sexuels commis par des mineurs, alors que cela existe en Belgique depuis 20 ans.

 

Ces deux situations, certes particulières et non généralisables, reflètent pourtant une différence fondamentale entre les deux pays, différence de regard de la justice et de la société sur ces problématiques de viol et tout particulièrement de viols intrafamiliaux. L’accent est mis en Belgique sur la réparation et sur les soins, alors qu’en France, la répression et la rupture des liens sont prioritaires.

 

D’où vient cette différence ?

 

Il est très difficile de justifier et de comprendre les raisons de l’attitude répressive de la France sur ces questions. Cette attitude n’est pas nouvelle puisque déjà en 1995, une étude du Conseil de l’Europe constatait que la France était le pays européen qui prononçait le plus de condamnations (par rapport au nombre d’habitants) pour des faits de délinquance sexuelle et le pays qui prononçait les peines les plus lourdes.

 

En ce qui concerne la Belgique, après l’affaire Dutroux et la « marche blanche », une commission nationale « contre l’exploitation sexuelle des enfants » a été instituée par le conseil des ministres, commission composée d’experts des trois communautés et de responsables politiques. Voici un extrait du rapport de cette commission, rapport qui date donc de 1998, extrait qui concerne tout particulièrement  ce qui fait une différence essentielle entre les deux pays, d’une part la question de l’obligation ou non du signalement aux autorités, d’autre part la question du maintien ou non des liens entre l’auteur et la victime.

« La question du signalement est une question délicate et difficile pour l’intervenant, mais aussi pour l’enfant qui décide de parler, dans la mesure où il est pris dans une relation d’ambivalence vis-à-vis de l’auteur. L’enfant demande uniquement que la violence ou la maltraitance cesse, mais il ne demande pas nécessairement à être séparé de l’un de ses parents, ni que l’un d’eux soit envoyé en prison….
Face à une telle situation, la Commission estime qu’il y a lieu de responsabiliser les différents acteurs… en refusant d’instaurer une obligation de signalement (qui est la règle en France, mais aussi au Canada). L’obligation de signalement risque de déresponsabiliser les intervenants qui, une fois le signalement effectué, ne s’estimeraient plus concernés.
Soit la personne considère qu’elle est à même de prendre en charge la situation en dehors de la sphère judiciaire et elle décide de ne pas révéler les faits. Dans cette situation, il lui appartient d’assumer cette responsabilité dans le temps par une intervention offrant suffisamment de garanties.
Soit l’intervenant estime que son action ne peut rencontrer de façon appropriée la situation problématique et il lui appartient de renvoyer la situation à d’autres organismes (ceci ne doit pas nécessairement prendre la forme d’un recours à la justice pénale)….

Dans les situations d’abus sexuel intra-familial, il faut réfléchir sur les effets, désirables ou non de l’intervention judiciaire, de la sanction éventuelle de l’abuseur sur sa famille et ses enfants, y compris la ou les victimes. Dans certaines situations où l’incarcération de l’abuseur peut entraîner des conséquences dommageables pour sa famille, on doit encourager d’autres mesures, des peines alternatives, ou d’autres modalités d’intervention plus adaptées au contexte. Lorsqu’il existe un rapport de parenté ou de familiarité entre l’abuseur et sa victime, certaines phases du traitement doivent s’articuler de manière dynamique et comprendre la constellation familiale. La question de la réconciliation entre l’abuseur et la victime reste ouverte. Selon le cas des rencontres à visée thérapeutique, entre l’abuseur et sa victime, peuvent s’organiser. Enfin, la famille de l’abuseur doit également être incluse dans ce processus thérapeutique, surtout lorsqu’il s’agit d’une situation d’inceste. Tout en respectant les désirs de la victime, l’intervention thérapeutique peut viser une certaine restauration sinon des relations humaines entre les protagonistes, au moins celle de l’histoire de celui qui a commis l’abus sexuel et de celle qui l’a subi. »

Les avis de cette commission ont été complètement pris en compte par les pouvoirs publics belges et sont toujours en application.

 

Réparation, soin, possibilité de désistance et de résilience caractérisent le regard de la justice belge sur ces crimes sexuels intrafamiliaux, alors que la justice française privilégie la méfiance, la répression, et la rupture des liens entre l’auteur et toute sa famille, et pourtant, dans les deux cas, en tenant compte de l’intérêt pour la victime.

 

Michel Suard

ATFS Caen

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Published by suardatfs - dans inceste justice
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La loi Taubira du 15 août 2014 :

Contrainte pénale, libération sous contrainte et justice restaurative

 

1. Contrainte pénale

 

La loi sur le mariage homosexuel, qui a été présentée et défendue brillamment devant le Parlement par la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, fait encore l’objet de débats et de manifestations passionnés, ce changement culturel étant vécu par certains comme une atteinte à des valeurs importantes de notre société. Et le nom de Christiane Taubira est souvent associé à cette seule loi votée au cours de l’exercice de son mandat ministériel. Or, Christiane Taubira a été à l’origine d’une autre loi, tout autant sinon plus révolutionnaire, mais dont on parle beaucoup moins. Cette loi, qui concerne l’exercice de la justice, s’intitule « loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales ». Elle a été préparée pendant plusieurs années par des contacts avec de nombreux professionnels de la justice, de l’administration pénitentiaire, du soin et du monde associatif, et a donné lieu en 2013 à une « conférence de consensus », méthode de travail couramment utilisée dans le domaine du soin, mais pour la première fois dans le domaine de la justice. Le jury de cette conférence de consensus a formulé un certain nombre de propositions qui ont été reprises dans le projet de loi, voté par le parlement le 15 août 2014. Qu’y a-t-il de révolutionnaire dans cette loi ? Tout d’abord la création d’une nouvelle peine, dite  « contrainte pénale », qui présente l’originalité de s’exercer « dans la communauté », c’est-à-dire en milieu ouvert, et sans faire référence à la prison. Habituellement, les peines prononcées pour sanctionner délits et crimes sont des peines d’emprisonnement, ferme ou avec un  sursis et une « mise à l’épreuve ». Quand un condamné énonce qu’il a « pris 6 mois de sursis », cela veut bien dire qu’il a été condamné à 6 mois d’emprisonnement, mais qu’il bénéficie d’un sursis et qu’il n’ira en prison que s’il commet une nouvelle infraction durant la durée de la mise à l’épreuve ou s’il ne remplit pas les obligations et interdictions qui lui ont été formulées. De même lorsqu’on parle de peines « alternatives », telles que les Travaux d’Intérêt Général, les TIG, il s’agit bien d’alternatives à la prison. La prison reste la peine de référence.

Ce que la « contrainte pénale » apporte de complètement nouveau, c’est l’absence de référence à la prison. Un délinquant peut aujourd’hui être condamné à autre chose que la prison ou à un substitut de la prison. C’est là un changement culturel fondamental. Il reste certes une ambiguïté puisque la contrainte pénale est donnée au délinquant pour des délits qui ne justifieraient pas plus de 5 ans d’emprisonnement dans le modèle pénal traditionnel. On fait donc encore référence à la prison ! (Toutefois, la loi prévoit d’étendre la possibilité d’utiliser la contrainte pénale pour des délits relevant de peines de prison plus longues, à partir de 2017.).  Deux ans après le vote de la loi, la contrainte pénale est encore très peu utilisée par les tribunaux, dans la mesure où nombre de magistrats considèrent que cette nouvelle peine est pratiquement identique au « sursis avec mise à l’épreuve ». Certes, si le délinquant qui a bénéficié d’une contrainte pénale ne remplit pas les obligations ou ne respecte pas les interdictions qui accompagnent cette peine, un nouveau jugement peut aboutir à une  nouvelle sanction qui pourra éventuellement comporter cette fois une incarcération. Pourtant, il s’agit d’un changement de paradigme important. Et d’ailleurs, une commission présidée par M. Cotte, commission chargée par la Garde des Sceaux de réfléchir à  la simplification du système pénal, préconise très clairement, en 2015, de supprimer le sursis avec mise à l’épreuve pour permettre l’avancée de la nouvelle contrainte pénale.

Lorsqu’un autre Garde des Sceaux, Robert Badinter, a fait voter en septembre 1981 l’abolition de la peine de mort, ce changement radical a été immédiatement mis en application par les cours de justice (et il s’agissait bien d’une volonté politique courageuse, alors que l’opinion publique n’y était pas majoritairement favorable). La contrainte pénale ne peut pas avoir le même résultat puisqu’il ne s’agit pas pour autant de supprimer les peines de prison. La prison reste une « nécessité pour la république » comme l’indique le sous-titre d’un livre intitulé « La prison » écrit par Pierre-Victor Tournier, le principal initiateur de l’idée de la contrainte pénale, qu’il aurait souhaitée nommée encore plus clairement « contrainte pénale exercée dans la communauté ». Et par ailleurs, les magistrats, qui tiennent à leur indépendance, gardent le choix entre les peines qui sont à leur disposition. Sans un effort pédagogique courageux de la part du monde politique, l’opinion publique continuera à faire pression pour que la prison reste la sanction de référence… Et la surpopulation dans les prisons continuera d’augmenter et les gouvernements, de droite comme de gauche, continueront à prévoir des constructions nouvelles de prisons, alors que d’autres pays parviennent à diminuer le nombre de leurs prisons.

 

2. Libération sous contrainte

 

La libération sous contrainte est une autre innovation mise en place par cette loi. Jusqu’à présent une personne condamnée à une longue peine avait la possibilité de demander une « libération conditionnelle » avant le terme de son incarcération. Cet aménagement de la peine pouvait être accordé par le juge de l’application des peines lorsque le condamné avait un comportement satisfaisant en prison, qu’il remplissait ses obligations d’indemniser la victime, et qu’il avait un projet professionnel et d’accueil à sa sortie de détention. Un suivi par le service d’insertion et de probation est alors mis en place, accompagné d’un certain nombre d’obligations et d’interdictions jusqu’à l’échéance de la fin officielle de la peine. Toutes les études montrent que les personnes sorties de prison avec une mesure de libération conditionnelle récidivent moins que les « sorties sèches », c’est-à-dire en fin de peine et sans aucun suivi à la sortie. Et pourtant, très peu de détenus bénéficient d’une telle mesure, même lorsqu’ils la sollicitent. Là encore, la pression d’une certaine partie de l’opinion qui voudrait que les peines de prison soient exécutées intégralement sans « remises de peine » et sans libérations conditionnelles, vient sans doute freiner les magistrats pour accorder des sorties pourtant bénéfiques à la société.

La loi Taubira innove en prévoyant de systématiser l’étude de la possibilité de libération avant la fin de peine :

Lorsqu’une personne détenue a exécuté les deux tiers de sa peine d’emprisonnement, elle pourra désormais bénéficier du nouveau dispositif de libération sous contrainte prévu par l’article 720 du Code de procédure pénale.

Il s’agit d’une mesure qui permet à une personne détenue de purger le temps de peine qu’il lui reste en dehors du centre de détention, et ce, sous forme d’un aménagement de peine « classique » à savoir :

•une semi-liberté (la personne dort en prison, et sort en journée),

•un placement à l’extérieur (régime proche de la semi-liberté),

•une libération conditionnelle (libération anticipée à condition de respecter un certain nombre d’obligations),

•ou un placement sous bracelet électronique.

En principe, la personne n’aura pas besoin d’adresser une demande spécifique au Juge de l’application des peines car en vertu de la nouvelle loi, le Juge de l’application des peines, assisté de la Commission de l’application des peines (composée de différents représentants de l’établissement pénitentiaire) devra automatiquement examiner la situation des personnes condamnées qui ont exécuté les deux tiers de leur peine et dont le quantum global de la peine restant à purger est inférieur ou égal à 5 ans. L’idée est bien d’accompagner le détenu dans la fin de sa peine, afin qu’il se réinsère progressivement.

 

3. La justice restaurative

 

Troisième élément totalement innovant : des mesures de justice restaurative, qui existent dans de nombreux pays depuis une trentaine d’années, sont désormais possibles en France. Voici l’article de loi qui la définit :

 

A l'occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l'exécution de la peine, la victime et l'auteur d'une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative.

Constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu'à l'auteur d'une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l'infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission. Cette mesure ne peut intervenir qu'après que la victime et l'auteur de l'infraction ont reçu une information complète à son sujet et ont consenti expressément à y participer. Elle est mise en œuvre par un tiers indépendant formé à cet effet, sous le contrôle de l'autorité judiciaire ou, à la demande de celle-ci, de l'administration pénitentiaire. Elle est confidentielle, sauf accord contraire des parties et excepté les cas où un intérêt supérieur lié à la nécessité de prévenir ou de réprimer des infractions justifie que des informations relatives au déroulement de la mesure soient portées à la connaissance du procureur de la République.

 

La justice pénale traditionnelle est une justice « rétributive » qui sanctionne la transgression d’une norme juridique. Le crime est un acte qui porte atteinte à l’Etat. L’infracteur a transgressé la Loi de l’Etat. C’est l’Etat qui est la victime principale. La justice met l’accent sur la responsabilité abstraite de l’infracteur, sur le passé de la faute et applique la peine prévue par la loi, cette peine devenant juste en elle-même, le respect des règles l’emportant sur le résultat. La personne victime n’est qu’une victime secondaire qui va pouvoir cependant demander une indemnisation financière des dommages subis. Mais l’inflation pénale actuelle qui tend au « tout répressif » est le symptôme d’un système judiciaire qui s’essouffle. « Le taux moyen de récidive est anormalement élevé, sauf à observer qu’il concerne presque uniquement les délits, la récidive criminelle demeurant exceptionnelle. Le recours récent aux dispositifs ultra-sécuritaires (allongement des délais de prescription, peines plancher, rétention de sûreté, y compris pour les mineurs) ne changera rien à cette instrumentalisation de la politique criminelle à des  fins de pénalisation massive de la pauvreté socio-culturelle et économique de la plupart de nos concitoyens concernés par le crime. Sinon à davantage remplir encore nos prisons »  (Robert Cario 2010).  

La justice pénale peut malgré tout avoir aussi une fonction réhabilitative lorsqu’elle permet à l’infracteur de se responsabiliser, de se corriger et de retrouver une place dans la société. La prison en elle-même, lieu d’exclusion, est rarement conçue pour faciliter cette réhabilitation. C’est pourtant le travail des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation. Et c’est tout particulièrement l’objectif de la protection judiciaire de la jeunesse qui fournit aux mineurs délinquants des moyens de responsabilisation et de réparation personnelle. Mais le plus souvent la victime reste la grande oubliée.

 

La philosophie restaurative considère que le crime est d’abord une atteinte aux personnes et aux relations interpersonnelles. C’est un conflit qui porte atteinte à la paix sociale. Cette forme de justice va donc donner une place centrale à la victime et se concentrer sur sa souffrance et les dommages subis, et sur les besoins autant de la victime que de l’infracteur. Or, la victime, qui a souvent vécu  ces dommages comme un trauma, a besoin de parler de ses émotions et d’être restaurée en ayant la confirmation qu’elle n’est pas la responsable de ce qui lui est arrivé. Et pour cela, la reconnaissance des faits par l’auteur est un point de départ indispensable. Quant à l’auteur, il importe de ne pas le considérer a priori comme un danger, mais de lui donner la possibilité d’entreprendre des actions positives et d’affirmation de soi.  Les actions de justice restaurative vont donc chercher à identifier les besoins et les obligations de chacun des protagonistes concernés (l’auteur, la victime mais aussi la communauté), en permettant la réciprocité de la parole, le partage des émotions et la recherche de solutions consensuelles, tournées vers l’avenir, permettant la réparation de tous les préjudices. Ceci implique bien évidemment de la part de l’auteur la reconnaissance de la faute commise, et par ailleurs une participation volontaire de tous les protagonistes.

 

La justice restaurative a ainsi un triple objectif :

-Réparation de la victime

-Responsabilisation de l’auteur

-Rétablissement de la paix sociale.

 

La Belgique parle de justice « réparatrice », le Québec a choisi l’appellation de justice « restauratrice », les pays anglo-saxons disent : « restorative » justice. La France a finalement retenu le terme anglo-saxon de justice restaurative, sans doute afin de bien mettre l’accent sur la restauration du lien, qui a été rompu par l’infraction, qu’elle soit délictueuse ou criminelle.

 

Les deux formes principales que peut prendre la justice restaurative sont d’une part la rencontre directe entre l’infracteur et sa victime, en présence d’un médiateur, facilitateur de la rencontre, éventuellement avec le concours de membres de la communauté, et d’autre part des médiations indirectes regroupant des auteurs d’infraction et des victimes, mais qui ne sont pas les victimes de ces infracteurs, et toujours en présence de facilitateurs, accompagnés de représentants de la société civile.

 

La loi du 15 août 2014 prévoit explicitement la possibilité de telles actions, à l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure. C’est dire que la justice restaurative ne s’oppose pas à la justice pénale traditionnelle, « rétributive » ou punitive, mais en est un complément.

 

Cette loi se heurte cependant, dans notre « millefeuilles législatif », à d’autres lois qui en limitent les possibilités. Michelle Alliot-Marie, Garde des Sceaux en 2010, a fait voter une autre loi pénitentiaire intitulée  « loi tendant à réduire le risque de récidive ». On notera la grande prudence des termes employés : il ne s’agit pas d’une loi pour éviter la récidive, mais une loi d’espérance qui tend seulement à en réduire le risque… Un article de cette loi donne au juge de l’application des peines la possibilité d’interdire à un condamné de s’approcher de sa victime à la sortie de la détention, en fonction de la nature du délit et de la personnalité de l’infracteur. Mais cette interdiction devient systématique pour les crimes et les délits de nature sexuelle. Et bien souvent l’interdiction de contact entre l’auteur de délit ou de crime sexuel et sa victime est déjà formulée lors du jugement lui-même, et ne fait que prolonger l’interdiction décidée au début de la phase d’instruction. Cette idéologie de la coupure du lien, que l’on peut comprendre pendant le temps de l’instruction de l’affaire, est exactement à l’opposé de la philosophie de la restauration du lien prônée par la justice restaurative. Certes, il est prévu que le juge de l’application des peines puisse, de manière exceptionnelle et clairement motivée, lever cette interdiction. Mais le code de procédure pénale ne prévoit pas de manière claire si et comment la victime peut demander la levée de cette interdiction. Cet article de loi vise bien entendu à protéger « la victime », comme s’il n’existait qu’un type de victime toujours apeurée devant l’infracteur, et sans se poser la question des besoins individuels réels de telle ou telle victime. Or, en ce qui concerne les personnes qui ont subi des agressions sexuelles intrafamiliales, certaines souhaitent clairement reprendre des contacts avec le parent qui les a agressées[1]. Alors, plutôt que poser une interdiction systématique avec quelques exceptions, et afin de pouvoir appliquer les modalités de la justice restaurative, il serait préférable de poser d’abord le principe de la possibilité de rencontres entre auteur et victime lorsque la victime le demande et que l’auteur reconnaît les faits et a déjà fait un travail personnel sur la compréhension de ses comportements (rencontres à réaliser seulement lorsque l’un et l’autre donnent leur accord, et toujours en présence d’un médiateur), et de prévoir l’interdiction de contacts seulement dans les autres cas.  Mais la peur de la récidive est telle dans l’opinion et chez nos élus qu’il paraît difficile d’envisager une modification de la loi en ce qui concerne délits et crimes sexuels.

 

Depuis deux ans donc, quelques expériences se font jour en France, à l’initiative de services publics dépendant de la justice (Services pénitentiaires d’insertion et de probation, protection judiciaire de la jeunesse), d’associations d’aide aux victimes, et avec le soutien d’organismes tels que l’Institut Français de la Justice Restaurative dont le siège est à Pau, ou l’ARCA (association pour la recherche en criminologie et victimologie appliquées) dont le siège est à Tours, qui assurent aussi des formations sur la justice restaurative. L’ARCA vient d’organiser une conférence européenne sur la justice restaurative le 21 novembre dernier à Paris, et les 18 et 19 janvier 2017, c’est l’IFJR qui organise une conférence internationale sur le sujet au Palais de l’Unesco à Paris. Mais déjà, en 2013, l’Ecole Nationale de la Magistrature avait organisé un séminaire de formation sur la justice restaurative à destination de magistrats.

 

Dans notre département du Calvados, nous participons à un projet avec la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Projet tout à fait innovant en France, mais qui copie des pratiques belges ou néo-zélandaises qui datent de plus de 20 ans. Lors de ces « conférences restauratives » animées par un médiateur, le mineur délinquant est invité, accompagné de personnes proches de son choix (parents, éducateur…) à rencontrer sa victime, elle-même accompagnée de proches (dont par exemple le service d’aide aux victimes). Des rencontres individuelles préalables ont permis de confirmer leur accord pour participer à cette rencontre en même temps que la réalité de l’infraction. La rencontre commence par un échange sur le vécu de l’infraction par les deux protagonistes et doit permettre ensuite au groupe victime + ses proches de proposer des actions pour réparer les dommages subis par la victime. Si la victime accepte les propositions du mineur, un protocole d’accord est signé et l’effectivité des réalisations est vérifiée dans les mois qui suivent. La présence et la participation des proches constituent une garantie et un soutien du jeune pour la réalisation des actions prévues. Et le magistrat est informé du résultat de cette « conférence restaurative ». L’infracteur et la victime sont enfin questionnés sur l’intérêt qu’ils ont trouvé à cette mesure.

 

Ce projet pourrait se concrétiser en 2017. Il est porteur de beaucoup d’espoir autant pour une meilleure prise en compte du vécu des victimes que pour une meilleure individualisation des besoins du délinquant. Espoir et crainte en même temps, car nous ne savons pas, bien que cette loi soit votée depuis deux ans, si les futurs gouvernements mettront l’accent sur la réparation ou sur la répression.

 

Michel SUARD

ATFS

30 novembre 20216

 

 

 

 

 

 

[1] Les pages n° 3, 5, 7, 8, 24 de ce blog présentent notre expérience de rencontres entre auteurs et victimes de crimes sexuels intrafamiliaux (inceste)

 

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Dans le travail thérapeutique auprès d’auteurs de violences sexuelles soumis à une obligation de soins, ou une injonction ou une incitation, se pose toujours la question des relations entre le soin et la justice. Ce sont même de nombreuses questions qui viennent à l’esprit : peut-on soigner dans le cadre d’une obligation ? le patient dit-il la vérité au thérapeute ? le thérapeute a-t-il besoin de connaître la vérité des faits incriminés pour intervenir ?

Avant d’aborder ces questions, il est nécessaire en préalable de se demander : qu’est-ce que la Vérité ?

Il importe de se rappeler que la Justice ne dit pas « la Vérité ». Elle prononce un « ver-dict », c’est-à-dire qu’elle dit que ce qu’elle dit est la vérité. Ce n’est pas la même chose. La vérité judiciaire, parfois décidée par un vote, peut-être différente de la vérité avec un grand V. N’oublions pas qu’on représente habituellement la Justice comme une femme les yeux bandés, avec dans une main une balance pour peser les arguments de l’accusation et de la défense, et dans l’autre un glaive pour trancher et sanctionner.

Je vais prendre quelques exemples cliniques, dans ma pratique professionnelle, qui ne concerne que des situations de crimes et délits sexuels intrafamiliaux :

Un homme arrive dans mon groupe thérapeutique en prison, et explique qu’il est condamné pour le viol de ses 4 filles, mais s’il reconnaît des relations sexuelles avec les 3 aînées, il affirme n’avoir jamais touché à la plus jeune. Après avoir vérifié certains aspects de l’histoire et l’âge des enfants concernés, je m’aperçois que 3 ou 4 victimes, cela ne change rien à la gravité du viol, et cela n’aurait rien changé au quantum de sa peine. Il y a de fortes chances qu’il dise la vérité. J’ai su, après sa sortie de prison, que la plus jeune de ses filles avait été la seule à souhaiter le revoir…

Un autre détenu est condamné pour avoir violé une fille de sa compagne et pour des agressions sexuelles sur les deux autres enfants, le frère aîné et une sœur plus jeune. Il reconnaît le viol, mais pas les agressions sexuelles. C’est curieux, car on voit plus souvent une tentative de banalisation des faits les plus graves, du genre : « oui, je l’ai caressée, mais je ne l’ai pas pénétrée ». Là, par contre, il reconnaît le plus grave et nie le moins grave. J’ai eu confirmation, au cours d’entretiens avec toute la fratrie, que le frère et la sœur avaient répondu positivement aux questions des enquêteurs après la révélation des viols par la victime, parce qu’ils n’avaient pas accepté l‘arrivée de ce beau-père dans la famille. La vérité était donc bien conforme aux propos de cet homme, et non au verdict de la justice.

Dernier exemple, inverse : un homme a été condamné par un tribunal correctionnel à 5 ans de prison pour des agressions sexuelles sur ses deux filles aînées. Avant d’être incarcéré, le jeune frère, questionné par un psy sur les raisons de la baisse de ses résultats scolaires, révèle des viols par son père. Celui-ci va être rejugé aux Assises et totaliser 12 ans de prison. Les examens physiques n’étaient pas concluants, mais la parole de l’enfant, après celle de ses sœurs, a suffi pour faire condamner le père. Celui-ci a toujours reconnu, avec beaucoup de culpabilité et de souffrance, les abus sur ses filles, mais il a toujours nié avec véhémence le viol de son fils. J’ai rencontré ce garçon peu avant la sortie de prison du père. Il m’a assuré n’avoir jamais été agressé sexuellement par son père. « vous savez, m’a-t-il dit, quand il y a eu l’histoire avec mes soeurs, moi, je n’existais plus à la maison, alors… ».

On s’aperçoit ainsi que les enfants victimes se trouvent enfermés dans le secret (jusqu’à ce qu’ils puissent s’en libérer) et que les enfants non victimes peuvent se trouver enfermés dans le mensonge.

J’ai rencontré d’autres situations où les propos des auteurs me sont parus plus vrais que les décisions judiciaires, mais toujours toutefois dans des cas où il y avait eu néanmoins des abus commis, qui justifiaient de toute façon une condamnation.

Dans ma pratique, j’ai besoin de connaître cette vérité judiciaire, c’est-à-dire les motifs de l’inculpation et la nature du jugement. C’est une base de départ, mais je ne la considère pas comme la vérité absolue. La vérité du patient a autant de valeur pour moi, d’autant plus que, de ma place de psychologue, je n’interviens pas d’abord auprès d’un « auteur de violences sexuelles », mais auprès d’un être humain qui, dans son parcours, a été condamné pour avoir commis un ou des délits ou crimes sexuels. J’avais apprécié un jour qu’un patient perçoive cette différence en me disant : « je n’ai pas bien vécu l’entretien avec le psychiatre à mon arrivée. Il a refait le procès en me disant que ce que j’avais fait n’était pas bien. Comme si je ne la savais pas ! Mais avec vous, au moins, on se parle « d’homme à homme » ». La connaissance préalable du jugement permet de travailler avec le patient sur le décalage éventuel entre ce qu’il dit des actes commis et ce qu’en a dit la justice, mais aussi sur l’oubli fréquent de la sentence et de ses décisions adjacentes (interdictions et obligations diverses). Je n’interviens plus en prison depuis dix ans, mais je reçois encore un certain nombre de personnes dans la cadre d’obligations de soins, soit pendant leur contrôle judiciaire (avant le jugement) soit après l’incarcération, pendant leur suivi socio-judiciaire. Et dans ce cadre il m’est possible de demander non seulement la copie du jugement mais aussi les expertises dont a bénéficié le patient. Ce sont là des informations importantes à confronter avec le discours et la « vérité » du patient, de même qu’avec sa perception et ses sentiments à l’égard des décisions judiciaires le concernant. On voit ainsi le paradoxe et les limites complexes du secret professionnel. Je n’ai pas à transmettre d’informations à la justice sur le contenu du suivi du patient, mais j’utilise des informations qui me sont données, en toute légalité, par la justice.

Je travaille avec ce que me communique le patient, en m’intéressant à la fois à son discours digital, verbal, et à son discours analogique, non verbal, et donc en tenant compte aussi des éventuelles divergences avec le jugement, mais aussi, en tant que thérapeute familial, en observant les interactions avec les autres membres de la famille lorsque j’ai la chance de les rencontrer.

C’est ainsi qu’un homme, condamné pour le viol de sa fille, vient me voir sur incitation du juge d’application des peines ; il m’affirme qu’il n’a rien fait à sa fille. Je me suis permis de lui exprimer mes regrets : « Dommage que vous n’ayez pas violé votre fille, car je ne sais traiter que les auteurs d’inceste, alors que je suis incompétent pour soigner les erreurs judiciaires ! ». J’ai toutefois eu l’occasion de le revoir avec sa femme qui m’a raconté l’avoir cherché une nuit où il avait quitté le lit conjugal. Elle l’a trouvé dans le lit de as fille. Elle l’a rappelé à l’ordre et fait réintégrer sa chambre. Et lui de me dire : « je n’ai aucun souvenir de cette histoire ». Ce qui n’est plus tout à fait : « je n’ai rien fait ». Or, l’absence de genre de souvenir devient un outil de travail intéressant. Je l’accepte non pas comme un déni ou une défense inadaptée, mais comme un symptôme d’adaptation (comme pour les victimes qui ont « oublié » les abus subis), qui permet d’éviter, non seulement la culpabilité, amis aussi la folie ou le suicide.

J’ai remarqué que si dans un entretien je soupçonne le patient de travestir la vérité, il le perçoit aussitôt et devient méfiant. Je perçois sa méfiance et nous nous enfermons mutuellement dans une relation suspicieuse, et comme je suis du bon côté de la barrière et lui du côté des délinquants, mon regard sur lui risque fort de le cataloguer parmi les manipulateurs ou les pervers. Ce que me disent certains patients de leur relation avec tel surveillant, tel CPIP, ou aussi parfois tel psy, confirme tout à fait ce processus.

Par contre, travailler avec ce qu’apporte le patient, sans naïveté pour autant, m’a confronté à plusieurs reprises à des révélations d’abus qui n’avaient pas été pris en compte dans le jugement. Avec la question délicate de « qu’est-ce que je fais de ces révélations ?... ».

Autrement dit, mon attitude qui se veut écoute ouverte, disponible, confiante, peut aider à dévoiler des secrets maintenus. J’en arrive ainsi à la question des secrets. A côté du « secret professionnel », il importe de parler des secrets qui caractérisent le fonctionnement des systèmes familiaux à transactions incestueuses. Nous savons que c’est dans le cadre familial que l’on rencontre le plus de crimes et de délits sexuels. Et le secret, ce n’est pas seulement le classique « c’est un secret entre toi et moi. Tu n’en parles à personne et surtout pas à ta mère ». Car si l’enfant respecte le secret, c’est que très souvent la famille a l’habitude de fonctionner avec des secrets, plus ou moins lourds, plus ou moins quotidiens, plus ou moins anciens. Secrets qui concernent l’histoire familiale, et qui portent sur la filiation de tel ou tel enfant, sur le mode de vie de la grand mère, sur le suicide de l’oncle, sur la vie légère de la marraine, éventuellement, et bien souvent, le secret sur les violences subies dans le passé par l’un ou l’autre des parents…

Ces secrets ont pour effet de paralyser la communication, l’expression des émotions se faisant davantage sur un mode non verbal que par des mots. Et la violence, qu’elle soit physique ou sexuelle, peut devenir le seul moyen d’exprimer les ressentis.

Aussi, si l’on veut traiter l’auteur de violence sexuelle, il importe de s’attaquer en particulier à cette caractéristique. Or, si je commence par assurer le patient que nos échanges sont couverts par le secret professionnel, je l’informe en fait que rien ne va changer, puisque c’est ainsi qu’il a toujours fonctionné avec ses proches. Le setting de la séance ne doit pas reproduire un mode fonctionnement qui a généré des abus.

Récemment, dans un stage de formation sur la prise en charge des victimes de violences sexuelles, une infirmière évoque la situation suivante : une patiente vient la voir pour lui confier un secret, à condition qu’elle n’en parle à personne. L’infirmière se doute qu’il s’agit d’une révélation d’abus subis dans le passé, et très professionnelle, ne peut lui garantir le secret : travail en équipe, interventions éventuelles en fonction de la nature de ce secret. Et devant le refus de la patiente d’aller plus loin, l’infirmière conseille à la patiente d’en parler au médecin du service. Quelques jours plus tard, le médecin vient dire à l’infirmière, à l’oreille, en confidence, que la patiente lui a révélé des abus subis par son père dans le passé mais qu’elle a demandé que cela reste secret, alors, en accord avec elle, on n’en parle pas ! Comment qualifier cette attitude ? Non assistance à personne en danger ? non dénonciation de crime ? Mais surtout, en se soumettant à l’exigence de secret formulé par la patiente, et donc en ne prenant pas en compte les abus subis, le médecin représentant de l’autorité dans ce service a commis un abus de pouvoir qui s’apparente, acte sexuel mis à part, à la relation passée père-fille. « on fait comme s’il ne s’était rien passé ».

Lorsque j’ai proposé (il y a 20 ans) au directeur du Centre de détention de Caen un programme d’interventions auprès de personnes condamnées pour des crimes sexuels intrafamiliaux (j’avais appris qu’il y en avait plus de 150 incarcérées à Caen), j’avais un peu pompeusement appelé ce programme « thérapie du secret ». Dans le groupe thérapeutique, il était bien sûr exigé que ce dont parlait tel ou tel participant ne devait pas être répété dans la détention ni à l’extérieur. Par contre, ce que disait tel participant pouvait être repris lors des entretiens avec lui et sa famille, ou lors de rencontres avec les travailleurs sociaux de la prison ou ceux de la famille. Et réciproquement, ce qui se disait dans les entretiens familiaux ou dans les échanges avec les travailleurs sociaux pouvait être repris dans les échanges dans le groupe. L’idée était bien de modifier cette règle du secret, pour aller vers des modes de communication plus directs, et dans lesquels il devient possible de verbaliser ses émotions. Il ne s’agit pas pour autant d’interdire toute forme de secret dans les familles ! L’objectif de ce programme était de ne pas rajouter des secrets dans des situations où l’habitude des secrets avait été particulièrement délétère, d’où l’importance également de travailler sur la fonction ou le sens de ces fonctionnements. Ces secrets sont des symptômes, des messages. À quoi servent-ils ? , que ou qui protègent-ils ? , à qui s’adressent-ils ?...

L’impossibilité, apprise depuis l’enfance dans le fonctionnement du système familial, d’exprimer verbalement ses émotions, a entraîné chez ces auteurs d’abus, outre la pratique des secrets, l’impossibilité de dire leur malaise, et donc de demander de l’aide, à qui que ce soit. Et pourtant, un bon nombre de patients que j’ai rencontrés en prison m’ont dit leur soulagement lorsqu’ils ont été arrêtés et mis en garde à vue, et contrairement aux idées reçues, beaucoup ont aussitôt reconnu les faits dont ils étaient accusés. C’est pourquoi l’obligation de soins imposée par la justice ne pose pas de problème, du moins dans ces situations incestueuses. Vouloir que ces personnes fassent une « demande » claire de soins est même une erreur méthodologique. Si ces personnes avaient été capables de parler de leurs difficultés, de faire une demande d’aide ou de soin, elles ne seraient sans doute pas passées à l’acte. Après leur mise en examen, après leur condamnation, les soins imposés sont bien acceptés et peuvent devenir facteurs de changement, dans les cas, bien sûr, où les faits sont reconnus par leur auteur.

Le législateur a voulu, en 1998, protéger le secret professionnel du praticien qui accepte d’assurer les soins de la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire. Pour cela, il a créé les « médecins-coordinateurs » chargés de faire le lien entre le soignant et le juge de l’application des peines. Ce médecin coordinateur voyait la patient une fois par an et il devait donc se renseigner auprès du médecin traitant ou du psychologue traitant avant de transmettre un avis sur l‘évolution du condamné au JAP. Or, depuis plusieurs années, depuis que le médecin coordinateur a l’obligation de rencontrer son patient tous les trois mois, je n’ai, pour ma part, plus aucun contact avec les différents médecins-coordinateurs au sujet des patients que je suis. Même lorsque je leur écris pour me mettre à leur disposition, ils ne me rappellent pas ! De ce fait, il m’est arrivé, à deux reprises, de « transgresser » la règle sacro-sainte du secret professionnel et d’écrire directement au juge de l’application des peines pour l’informer du travail réalisé avec un patient et de son évolution très positive. Bien entendu, le patient concerné était lui-même informé du contenu précis de mon courrier et il était d’accord pour que j’envoie cette lettre, puisqu’il n’est pas inutile de rappeler que le secret professionnel est fait d’abord pour protéger le patient et non le professionnel.

Pour conclure, après ces réflexions sur le secret, il faut dire un mot sur le soin. La Justice impose des soins à des criminels et des délinquants. S’agit-il donc de malades ? J’ai parlé, par commodité, de « patients » tout au long de mon propos, mais je n’ai jamais considéré ces personnes comme des malades, mais bien comme des personnes qui avaient transgressé des interdits formulés par la Loi. La recherche d’explications de leur déviance (et non d’excuse ou de justification) à partir des expériences passées (violences et traumatismes subis…) fait partie de mon travail. Mais je m’intéresse plus encore aux changements possibles dans le fonctionnement familial dans le but d’un mieux-être pour eux-mêmes et pour leurs proches, et aussi dans l’espoir qu’ils aident leurs enfants à ne pas copier les déviances de leur parent. Plus qu’un soin au sens classique du terme, il s’agit là d’un accompagnement, d’une aide au changement, à mi-chemin entre le socio-éducatif et le soin.

Et enfin, pour se projeter dans l’avenir, je fonde de grands espoirs dans la « justice restaurative », que j’ai pratiquée en prison lors d’entretiens entre l’auteur d’inceste et sa victime, qui est devenue depuis aout 2014 une possibilité inscrite dans la loi, et qui peut permettre de réparer (de soigner ?) à la fois le criminel et la victime. Et la loi prévoit qu’une telle mesure ne sera pas «obligée», mais proposée et ne sera possible que si elle est acceptée aussi bien par la victime que par l’agresseur.

Michel SUARD

Psychologue, thérapeute familial

A.T.F.S. Caen

1er Mars 2016

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Des prisons « ouvertes », sans barreaux, avec un taux d’évasion inférieur à celui des prisons fermées, des prisons où tous les détenus ont un travail, et un travail rémunéré, où le taux de récidive après la sortie est 2 à 3 fois moins important que pour les détenus passés par les prisons fermées, des prisons où, à la sortie, les détenus libérés trouvent des solutions d’insertion préparées pendant le temps de la détention, des prisons où l’on compte moins de suicides qu’ailleurs, des prisons qui coûtent beaucoup moins cher aux contribuables que les prisons fermées, ce n’est pas une utopie. Cela existe. Une seule en France, qui reçoit 0,3% de la totalité des détenus incarcérés en France. En Finlande, 40% des condamnés résident dans de telles prisons ouvertes !

La Belgique, l’Angleterre, la Suisse, le Luxembourg, l’Allemagne, l’Autriche, la Suède, la Finlande, développent ce mode d’incarcération. Pourquoi pas la France ?

L’association Démosthène, de Caen, qui œuvre au développement de la citoyenneté, a organisé récemment, en collaboration avec la Ligue des Droits de l’Homme et avec l’Université, un colloque sur ce sujet : « La prison sans barreaux, un pas vers la réinsertion, en France et ailleurs ».

Deux directeurs de prisons ouvertes, celui de Casabianda en Corse (c’est-à-dire en France), celui de Givenich au Luxembourg (le Luxembourg possède une prison fermée et une prison ouverte, qui existe depuis plus de cent ans), ont présenté le fonctionnement de ces institutions. Un film de Bernard Nicolas sur le même thème : « Prisons ouvertes : un pas vers la réinsertion » a été présenté en fin de journée et a permis de voir d’autres réalisations en Europe (on peut trouver ce documentaire sur internet).

Au cours de ce colloque, Paul-Roger Gontard, juriste, et ancien conseiller au ministère de la justice, a longuement évoqué l’intérêt de telles pratiques pénitentiaires, en rappelant que les premières expériences de ce type dataient des années 1830, en Australie, en Irlande. Il a rédigé un rapport il y a 4 ans qui prévoyait la création de 3 prisons ouvertes en France. Mais le gouvernement a fait le choix, budgétaire, de rénover les prisons existantes où les conditions de détention sont indignes d’un pays démocratique, plutôt que de créer des prisons ouvertes.

Il est vrai aussi que l’opinion publique se sent plus sécurité en enfermant les délinquants derrière de hauts murs, en considérant qu’un délinquant, un criminel, doit « payer » pour les fautes commises, et si possible en ayant des conditions de vie plus difficiles que dans la vie sociale commune. C’est ce que Robert Badinter appelle « la loi d’airain » : la société estime que les conditions de vie en prison ne peuvent être meilleures qu’à l’extérieur. La « rédemption » du délinquant doit passer par la souffrance. Mais lorsqu’un Juge condamne un délinquant à une peine privative de liberté, la condamnation prévoit inévitablement une réintégration, un jour, dans la société. La peine de prison prend donc son sens à la fois comme sanction pour les fautes commises, comme protection de la société et de la victime, mais aussi comme préparation à un retour dans la société, et si possible sans risque de récidive. Et l’on sait qu’actuellement, la réinsertion des sortants de prison est loin d’être satisfaisante, les conditions de vie en détention ne préparant en rien à une vie sociale « normale ». Dans une prison classique, les murs créent inévitablement dans le fonctionnement institutionnel une peur de l’évasion qui engendre un système de méfiance réciproque entre détenus et administration, et un contrôle qui entraîne une infantilisation des détenus.

Les prisons « ouvertes » mettent l’accent sur la perspective de réinsertion, et pratiquent dès l’admission du condamné (qui se fait toujours après une période en maison d’arrêt, en prison fermée, et, en France, dans un centre d’observation) une relation basée sur la confiance, la responsabilité et l’autonomie. Ce qui est validé par un contrat clair et rigoureux : le premier non respect du contrat entraîne le retour en milieu fermé. Et pour les détenus de Casabianda, ce retour en milieu fermé passe par la maison d’arrêt des Baumettes à Marseille, bien connue pour sa surpopulation et son total manque de confort, ce qui constitue une bonne motivation pour respecter le contrat.

L’obligation de travailler constitue l’élément central du contrat. Dans la prison de Casabianda, les 140 détenus travaillent, plus de 35 heures par semaine, essentiellement sur une vaste ferme dont les produits servent non seulement à leur verser une rémunération moyenne de 600€ par mois mais aussi à diminuer le coût de la détention. Par ailleurs des ateliers assurent des formations qualifiantes. 140 détenus alors que l’établissement pourrait en recevoir 190. Le film de Bernard Nicolas a permis de voir une prison ouverte allemande qui reçoit 1600 détenus, répartis dans 10 unités de 160 personnes…

Le directeur de Casabianda a bien expliqué qu’une prison ouverte nécessite d’assurer du travail à chaque détenu (ce qui est donc contraire à cette « loi d’airain » qui voudrait qu’un délinquant soit moins bien servi qu’un citoyen ordinaire , et il est vrai que ni le RMI, ni le RSA n’ont permis d’apporter le « I » d’insertion, ou le « A » d’activité espérés par ces dispositifs) , mais cela fait partie du contrat, et c’est ce qui garantit la réussite à la fin de la peine. Les détenus qui viennent à Casabianda sont tous condamnés à de longues peines. Ils sont volontaires et ont fait l’objet d’une sélection sévère. En fait la plupart des détenus de Casabianda ont été condamnés pour des crimes sexuels intrafamiliaux. C’est la catégorie de crimes qui récidive le moins. Il est donc normal qu’il y ait très peu de récidives à la sortie.

Mais cette constatation pose un autre question : on sait, de manière pragmatique, en comptabilisant le nombre de cas de récidives 5 ans après les sorties de prison que les crimes sexuels intrafamiliaux récidivent moins que les crimes pédophiles, extrafamiliaux, mais aucune étude en France, à ma connaissance, n’a jamais étudié de manière approfondie, la différence entre ces deux types de criminalité (des études nombreuses existent en langue anglaise), mais il apparaît donc que ces auteurs incestueux sont moins « dangereux » que les auteurs d’abus extrafamiliaux. Par ailleurs, je ne connais pas d’études établissant que les victimes de crimes et délits incestueux seraient plus perturbées, plus détruites que les enfants ou les adultes victimes de violences sexuelles extrafamiliales. Et pourtant, les violences sexuelles « par ascendant » ou « par personne ayant autorité » constituent des crimes ou des délits « aggravés » et donc punis plus sévèrement. Peines plus longues pour des auteurs connus pour être moins dangereux et moins en risque de récidive… Pourquoi ? Sans doute la transgression du tabou de l’inceste justifie-t-elle une sanction sévère. Mais si l’on met l’accent sur l’étude de la dangerosité et sur la prévention de la récidive, peut-être faudrait-il imaginer d’autres formes de sanction pour ces crimes et délits intrafamiliaux.

Si en France, l’administration pénitentiaire a limité les admissions dans cette prison « ouverte » aux criminels sexuels intrafamiliaux, il faut noter que dans les autres pays d’Europe, les prisons ouvertes accueillent tous types de criminalité. La prison ouverte de Givenich au Luxembourg accueille une grande hétérogénéité de profils criminologiques, y compris des condamnés à perpétuité. Les détenus y bénéficient de programmes d’accompagnement très spécialisés (toxicologie, préparation à l’emploi, compétences de vie…), avec une augmentation très progressive des libertés et des responsabilités. Une sélection est cependant prévue avant l’admission sur des critères de personnalité, et donc après une évaluation de la dangerosité et du risque de récidive.

L’établissement de Casabianda présente l’inconvénient de l’éloignement qui ne facilité pas les visites des familles. Mais, bien que le discours habituel incite les familles à couper les liens avec les auteurs d’abus sexuels intrafamiliaux, un quart des détenus de Casabianda reçoit des visites de la famille. Il faut même noter que c’est dans cet établissement que s’est ouverte la première « unité de vie familiale » permettant à la famille de vivre la rencontre avec son détenu autrement que dans le parloir classique.

Cet oxymore : « prison ouverte » peut choquer, tant la représentation habituelle de la prison implique enfermement, exclusion du reste du monde, et donc murs, barreaux, miradors, filets anti hélicoptères, c’est-à-dire des « moyens passifs de sécurité » (qui occupent d’ailleurs un nombre très important de surveillants). Il faudra peut-être trouver une autre appellation moins paradoxale, mais pour l’instant, cette formulation à l’intérêt de surprendre et d’attirer l’attention sur le fait que l’exécution d’une peine décidée par un tribunal peut se faire derrière des murs, mais peut aussi se faire sans murs, voire dans la communauté, comme c’est le cas avec la toute nouvelle peine appelée « contrainte pénale » et qui s’exerce dans la communauté[i](1). L’idée que la prison (fermée) ne soit plus la sanction pénale de référence, mais seulement l’une des modalités de la peine, était d’ailleurs au cœur de la dernière loi pénitentiaire en 2014.

Le créateur de la toute première expérience de prison ouverte, en 1834, avait inscrit au fronton de l’entrée cet avis : « Ce pénitencier ne reçoit que des hommes. Le crime reste à l’extérieur », affirmant cette idée que le condamné détenu ne saurait être défini uniquement par ses actes délinquants ou criminels. Ces personnes n’ont pas à être désignés comme des « criminels », des « pédophiles », des « incestueux »…, mais comme des « personnes qui ont commis des délits ou des crimes », ce qui n’est pas la même chose, car elles peuvent aussi être autre chose.

Si l’on compare avec ce qui se passe dans le domaine de la psychiatrie, domaine différent, mais voisin, surtout si l’on tient compte du fait que nombre de condamnés souffrent de troubles mentaux, on constate que les « asiles de fous », lieux d’exclusion et d’enfermement, n’existent plus. Ils ont été remplacés par des « hôpitaux psychiatriques », qui se sont progressivement ouverts et sont devenus des « centres hospitaliers spécialisés ». Et aujourd’hui, sans doute pour mettre l’accent sur la santé plus que sur la maladie, on les nomme : « Etablissements Publics de Santé Mentale ». Cette évolution n’est-elle pas de même nature dans le domaine carcéral, où les « prisons » sont déjà devenues des « Centres de détention » puis des « Centres pénitentiaires ». Toutefois, les établissements fermés construits récemment restent marqués par le « tout sécuritaire » (augmentant les risques suicidaires), même si, à côté, se développent des structures d’aménagement de peines (chantiers extérieurs, semi-liberté, libération sous contrainte, surveillance électronique…). Deux architectes qui ont construit des prisons ont fait remarquer au cours de cette journée d’information combien il était difficile de sortir un tant soit peu des normes architecturales sécuritaires définies dans les cahiers des charges de l’administration pénitentiaire.

Il faudra une véritable volonté politique pour voir se développer des « établissements pour peines sans murs ». Il faudra en même temps une pédagogie pour que l’opinion publique réalise l’intérêt de telles structures. Dans le film de Bernard Nicolas, on voit un responsable de la justice d’un land allemand expliquer qu’effectivement l’opinion publique n’est guère favorable à la prison ouverte, mais les statistiques sur les résultats obtenus ne peuvent qu’encourager les autorités à poursuivre et à développer l’expérience. À quand en France ?

Cette journée d’information organisée par l’association Démosthène constitue un début de ce travail de pédagogie. Le petit nombre de participants à cette journée montre toutefois qu’il y a encore beaucoup de travail à faire… Un film documentaire sur la prison ouverte de Casabianda sera diffusé à la télé au mois de Juin. Document à ne pas manquer afin de visualiser son fonctionnement et son intérêt, tant dans le traitement pénitentiaire des personnes détenues que dans la préparation à la sortie, à l’insertion postpénale et à la prévention de la récidive, alliant ainsi l’intérêt des personnes détenues et celui de la collectivité.

Michel Suard

(1) Au 1er janvier 2015, 249 513 personnes étaient « placées sous main de justice ». Les personnes condamnées, mais « sans écrou » (TIG, sursis, probation..) étaient 167 572, dont 215 « contraintes pénale ». Les personnes sous écrou, mais hors les murs (bracelet électronique) étaient 11 021. Les personnes en détention étaient 66 270, dont 16 549 avant jugement.

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(article paru dans Réforme, hebdomadaire protestant, le 26 juin 2014)

 

La loi sur la réforme pénale actuellement en discussion au sénat prévoit un volet sur la « justice restaurative ». De quoi favoriser les pratiques déjà initiées en France ces dernières années.

 

Mardi 24 juin, à l’heure où nous bouclons, les sénateurs ont commencé l’examen du projet de loi sur la réforme pénale. En première lecture à l’Assemblée nationale, les députés y ont introduit un amendement sur la « justice restaurative », dont le principe est de faire se rencontrer des victimes et des auteurs d’infractions, sur la base du volontariat. L’objectif est d’aider les victimes à « se réparer » et les infracteurs à « prendre conscience » du préjudice causé. Une évolution législative saluée par l’aumônerie aux prisons protestante et la plate-forme pluri-professionnelle laïque qu’elle a contribué à constituer en 2013.

« C’est une grande satisfaction de voir enfin la justice restaurative figurer dans la loi, se réjouit le pasteur Brice Deymié, aumônier national protestant aux prisons. Ces mesures pourront intervenir à tout moment de la procédure pénale (avant ou après le prononcé de la peine) : le champ d’application est très large et pourra peut-être un jour se substituer au procès pour les petits délits ».Seul bémol : victimes et infracteurs ne peuvent pas initier de telles démarches, uniquement la Justice ou l’administration pénitentiaire. Malgré cette réserve, l’avancée est significative.

 

Dénouer les blocages

 

Jusqu’à présent, les seules pratiques de type restauratif en France concernaient la médiation pénale. Paul Mbanzoulou, directeur de la recherche à l’École nationale d’administration pénitentiaire, ancien médiateur du procureur de Pau, en a expliqué le principe lors d’un récent colloque organisé au Conseil économique, social et environnemental (CESE) : « La médiation pénale intervient dans la phase avant poursuites pénales, dans un contexte d’engorgement des tribunaux où les victimes sont exposées au risque de classement sans suite, donc de victimisation secondaire et d’exacerbation du sentiment d’injustice. La médiation pénale a l’avantage de restituer aux parties la résolution de leur conflit sans passer par le procès, avec la participation d’un tiers neutre. Ceci s’applique surtout à des gens « reliés » par des liens de voisinage, familiaux ou professionnels ». Elle est malheureusement de moins en moins utilisée, pour des raisons financières.

 

En 2010, une nouvelle pratique restaurative pionnière a vu le jour à la prison de Poissy, en région parisienne : des rencontres détenus/victimes (RDV), qui ont été réitérées début 2014. Dans ce cas-ci, il ne s’agit pas de mettre en contact des victimes avec les personnes qui les ont agressées, mais avec des détenus qui ont été condamnés pour des faits similaires, et toujours en présence de représentants de la société civile. Il s’agit, pour Paul Mbanzoulou de « dépasser le paradigme français qui consiste à séparer de façon étanche les victimes et les auteurs ». Les deux expériences menées ont prouvé que « chacun rencontre l’autre et revisite son parcours. Il se tisse des liens, des blocages se dénouent. Les détenus ont partagé des choses qu’ils n’avaient jamais dites à personne, ni pendant le procès, ni à leur conseiller d’insertion et de probation, ni à leur psychologue ».

 

Éviter la récidive

 

De telles expériences vont désormais être menées en milieu ouvert, à Pontoise, en région parisienne, pour des victimes et auteurs de vols avec violence. Les victimes qui souhaiteraient y participer peuvent contacter l’association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale (APCARS)[1].

Pour Paul Mbanzoulou, ces RDV sont également importants pour « faire exister la société dans l’application des peines, grâce à la présence des représentants de la société civile. Le crime a une dimension sociale qu’il ne faut pas occulter : le délinquant est-il le seul responsable de ce qui est arrivé ? ». Une question que les victimes se posent parfois. Elles ressortent des RDV avec des pistes pour comprendre « pourquoi on n’arrive pas à s’arrêter avant de passer à l’acte » et « comment éviter la récidive quand les condamnés sortent de prison ».

En termes de lutte contre la récidive, la justice restaurative offre aussi la possibilité de « cercles de soutien et de responsabilité » (CSR), largement répandus au Canada[2], comme l’a expliqué leur responsable québécois, Jean-Jacques Goulet, lors du colloque au CESE.

« Quand un délinquant sexuel sort de prison, il est inscrit sur un registre, interdit de piscine, de parcs et de contacts avec des enfants de moins de 16 ans. Mazis isoler un agresseur sexuel empire sa situation. Il a besoin d’avoir des amis, des gens avec qui rire, parler quand il est en crise à 23 h, partager ses émotions et sa spiritualité. Bref, avoir une petite communauté d’appartenance où il n’y aura pas de secret, car le secret renforce la récidive ». Des bénévoles de la société civile peuvent donc former autour de lui un « cercle de responsabilité et de soutien ». Toujours sur la base du volontariat, il rencontre ce groupe de trois personnes, une fois par semaine, et parle en vérité avec eux.

Au Canada, les CSR divisent le risque de récidive par 9. Ils existent aussi en Angleterre, aux Pays-Bas, en Lettonie, en Espagne, en Bulgarie (grâce à une subvention de l’Union européenne), et dans sept états des Etats-Unis, entre autres.

Les CSR sont arrivés en France en 2008 dans les Yvelines, puis en 2011 en Aquitaine, à Bordeaux et très prochainement à Dax, dans les Landes.

Claire Mérigonde, directrice du service pénitentiaire d’insertion et de probation des Yvelines, explique l’intérêt des CSR : »Les condamnés ne sont pas en crise uniquement aux heures d’ouverture de nos bureaux ! ». D’où l’importance des liens amicaux tissés avec les bénévoles. Elle propose un tel dispositif aux condamnés qui « souffrent d’isolement professionnel, amical, familial, etc., ceux qui, à part la rencontre mensuelle avec le conseiller d’insertion et de probation, ne voient personne » quel que soit leur crime ou délit. Si des bénévoles souhaitent  participer à des CSR dans les Yvelines, ils peuvent contacter son service.

Par contre, tous les acteurs impliqués dans la justice restaurative s’accordent à dire que les participants doivent être bien formés à de telles pratiques. C’est pourquoi le tout nouvel Institut français pour la Justice restaurative (IFJR)[3], fondé en avril 2013 par le criminologue Robert Cario, proposera des séminaires de formation, en lien avec l’INAVEM (Fédération nationale d’Aide aux victimes et de médiation). Ils auront lieu à Pau en octobre, à Marseille en décembre et à Lyon en mars 2015.

Comme quoi la société n’a pas attendu une loi pour s’organiser, même si un texte législatif peut être utile pour organiser et pérenniser de telles initiatives.

 

Marie Lefebvre-Billiez

 



[1] www.apcars.org

[2] www.cerclesrq.org

[3] www.justicerestaurative.orgarticle paru dans Réforme, hebdomadaire protestant, le 26 juin 2014)

 

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