Aimez-vous les séries policières à la télé ? Moi, j’en suis très friand : Mentalist, Les Experts, NCIS, mais aussi les enquêtes de Murdoch, Nicolas Le Floch, Hercule Poirot, Maigret bien sûr. Mais en étudiant le programme télé de la semaine de Noël qui vient de s’écouler, je me suis aperçu que j’étais loin d’avoir regardé tout ce que les différentes chaînes, chaînes classiques et TNT, proposaient dans ce domaine : En 7 jours, 21 séries différentes avec plusieurs épisodes à la suite, soit un total de 67 épisodes, uniquement en soirée entre 20h 45 et minuit. La moitié de ces diffusions nous proviennent des USA. Et deux films seulement sont des réalisations de cette année. Il s’agit toujours d’histoires « criminelles », c’est-à-dire avec un ou plusieurs morts pour qui une équipe de policiers, assistés éventuellement de consultants, de journalistes, de détectives, et de plus en plus souvent de médecins légistes (qui sont souvent des femmes : y aurait-il un rapport entre la femme et la mort ?...), va trouver, en moins d’une heure, le coupable après avoir envisagé plusieurs suspects. 67 épisodes, soit environ 100 à 120 homicides élucidés. Dans la journée, on trouve sur toutes ces chaînes encore un peu plus de séries aux multiples épisodes. Soit au total près de 250 morts chaque semaine sur nos écrans de télé, uniquement dans ces séries policières. Et donc environ 13 000 morts violentes dans l’année.
C’est donc que le public est très demandeur ! Toutefois on peut penser que le jeu de la concurrence entre les chaînes pour attirer le public est pour quelque chose dans ce matraquage impressionnant. Qu’est-ce qui plait donc tant au téléspectateur ? Est ce une attirance morbide pour le sang versé, une fascination pour l’horreur du crime ? On peut le penser si l’on considère entre autres choses que les scènes d’autopsie sont de plus en plus « ouvertes » et ne se contentent pas toujours de nous montrer un cadavre bien soigneusement recousu. Mais c’est aussi l’intérêt pour le travail des policiers qui comme dans un jeu de Cluedo vont d’hypothèses, d’intuitions, en découvertes de preuves qui conduisent à « la vérité », avec des scénaristes qui se plaisent à emmener le téléspectateur sur toutes les fausses pistes possibles. Les relations entre les membres des équipes, leur humour, les intrigues amoureuses, permettent aussi d’atténuer la charge émotionnelle de l’affaire criminelle elle-même, et de rappeler qu’il s’agit bien de fiction.
Mais n’y a-t-il pas malgré tout un lien entre cet attrait pour les affaires criminelles (il faudrait d’ailleurs ajouter les émissions qui reprennent les grands procès d’assises ou les affaires non élucidées) et le sentiment d’insécurité ambiant, souvent évoqué par les partis politiques et les médias ? A vrai dire, le sentiment d’insécurité concerne surtout les délits et les incivilités beaucoup plus que les crimes, mais il est frappant de noter que les policiers enquêteurs de ces séries n’hésitent pas lorsqu’ils « tiennent un suspect » avec un casier judiciaire chargé de nombreux délits à le considérer comme un très bon suspect du crime commis, faisant un lien un peu trop rapide entre délits commis et crimes possibles.
Peur de l’agression et fascination pour l’agression et pour la mort semblent bien avoir des motivations inconscientes profondes qui peuvent entretenir l’envie d’un état de plus en plus policier. Il est impressionnant de voir comment, dans ces fictions, les polices « scientifiques », en particulier américaines, parviennent, grâce à la vidéo-surveillance, à l’ADN, aux téléphones portables, aux cartes de crédit, et à tous les fichiers, à identifier et à localiser n’importe quel individu. C’est peut-être ce dont nous rêvons…
Et pourtant, il n’y a aucun lien entre ces homicides télévisés et la réalité du crime dans notre pays. En 2012 (et les chiffres de 2011 sont très voisins), 617 000 condamnations ont été prononcées par la justice et inscrites au Casier Judiciaire, pour 910 000 infractions, dont seulement 0,1% d’homicides, soit 450 homicides volontaires et 450 coups et violences criminelles ayant entraîné la mort ou une infirmité permanente. (Il faut rappeler que 160 femmes sont tuées chaque année par leur conjoint ou leur ex-conjoint). Mais au total, 900 meurtres réels, c’est 15 fois moins qu’à la télé !
Il faut noter que les Cours d’Assises jugent aussi d’autres crimes que des homicides. Les viols représentent en effet le double des affaires d’homicides, mais il semble que les viols ne présentent pas le même intérêt pour les scénaristes et les réalisateurs de séries. Les homicides élucidés par leurs équipes de policiers sont d’ailleurs rarement accompagnés de viol.
Enfin, les crimes jugés par les Cours d’Assises ont été commis par 95% d’hommes pour seulement 5% de femmes. Nous sommes loin de l’égalité entre les hommes et les femmes dans ce domaine ! La violence criminelle est donc essentiellement masculine. Il n’est d’ailleurs pas impossible que dans une recherche de plus d’égalité les séries policières aient augmenté le pourcentage de femmes coupables d’homicides…
Mais, je dois vous laisser maintenant, car ce soir, il y a Castle à la télé…
Michel Suard