Nous avons présenté en février une conférence de Jacques LECOMTE sur la Justice Restauratrice. Jacques LECOMTE, docteur en psychologie, enseignant à Paris-Ouest-Nanterre et à l’institut catholique de Paris, vient de publier un nouveau livre intitulé : La Bonté humaine, Altruisme, Empathie, Générosité (édité chez Odile Jacob).
Dans la première partie de cet ouvrage, il présente des situations, toutes émouvantes, où des hommes et des femmes ont fait preuve de générosité à travers le monde (les « justes » qui ont sauvé des juifs pendant la seconde guerre, les mouvements de solidarité lors des catastrophes…). Et dans une seconde partie, il démontre que beaucoup de certitudes sur la violence et l’égoïsme humains sont fondées sur des affirmations sans preuves. Il s’appuie sur des centaines de recherches en psychologie de l’enfant, en psychologie sociale, en neurobiologie, en économie expérimentale et en anthropologie.
Ce livre vient bouleverser nombre d’idées sur la nature violente et guerrière de l’être humain. Jacques LECOMTE se situe loin d’une vision naïve de l’homme. Il se définit à la fois comme réaliste et optimiste. C’est cette attitude « optiréaliste » qui anime son travail et ses recherches. Et si c’est une utopie, c’est une utopie bien réconfortante. Nous conseillons vivement de lire ce livre dont voici deux extraits.
Un extrait de la conclusion, tout d’abord :
« .. Au terme de notre voyage, la question qui se pose est donc la suivante : que faire de tout le savoir accumulé sur les potentialités humaines à la bonté pour améliorer la vie en société ? Ma réponse est la suivante : il est possible d’envisager une politique publique fondée sur l’otpiréalisme. Telle est ma profonde conviction, et tel est également le thème d’un prochain ouvrage, suite logique de celui-ci, et qui mêlera, comme la plupart de mes livres, expériences de vie et bilans de recherches scientifiques. Parmi d’autres, deux courants issus du monde universitaire proposent des pistes fondatrices pour une nouvelle vision sociale en harmonie avec l’optiréalisme : la psychologie positive et le convivialisme.
La psychologie positive est « l’étude des conditions et processus qui contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des individus, des groupes et des institutions ». Cette définition implique clairement qu’il ne s’agit pas d’une conception égocentrique, caractérisée par la quête quasi exclusive de l’épanouissement individuel. Elle concerne également les relations interpersonnelles et les questions sociales, voire politiques. Ainsi, un chercheur en psychologie positive peut tout aussi bien étudier le bien-être des élèves d’un collège, les bonnes relations au sein d’une équipe de travail ou encore une médiation lors d’un conflit international. S’intéresser à la psychologie positive ne consiste pas à se percevoir ou à observer le monde qui nous entoure d’une manière naïve, en laissant de côté les connaissances acquises sur la souffrance ou la violence humaines. Ce courant considère simplement qu’à côté des problèmes et dysfonctionnements individuels et collectifs s’exprime et se développe toute une vie riche de sens et de potentialités. Dans divers pays, des universités proposent des cours de psychologie positive. Dans le monde francophone, une dizaine d’ouvrages ont déjà été publiés, dont deux livres de référence, rassemblant les contributions de nombreux spécialistes internationaux. Une association et un site internet francophones existent également.
Le convivialisme est, quant à lui, un terme proposé par Alain Caillé, professeur émérite de sociologie à l’université de Paris-Ouest-Nanterre-La défense, fondateur et principal animateur du Mauss (Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales). Caillé propose un nouveau modèle de société caractérisé par la coopération et la solidarité plutôt que par la compétition. Selon lui, « les hommes ne sont pas des Homo oeconomicus par nature. Ils ne le deviennent que là et quand la seule voie d’accès à la reconnaissance est devenue l’enrichissement matériel » . Caillé propose deux fondements essentiels de la convivialité à venir :
- Le principe de commune humanité, c’est-à-dire l’affirmation de l’unité du genre humain, première par rapport à toutes les différences biologiques, culturelles, sociales, etc ;
- Le principe de commune socialité, selon lequel les sujets humains ne sont pas d’abord et pas seulement des individus, mais avant tout des êtres sociaux.
Les expériences humaines concrètes facilitant une vie sociale harmonieuse sont très nombreuses de par le monde. Certains aventuriers d’un genre nouveau ont d’ailleurs parcouru la planète pour nous rapporter ce qui se fait de meilleur… En ce qui concerne les recherches scientifiques, de nombreux travaux contemporains montrent que des valeurs et attitudes fondamentales telles que la confiance en l’autre, l’empathie, le respect, la coopération, etc., peuvent avoir un impact non seulement sur les relations interpersonnelles, mais plus largement sur la vie sociale. Elles peuvent influer sur des domaines de politique publique aussi divers que l’économie, la santé, l’éducation, la politique familiale, l’emploi, l’environnement, la justice et même les relations internationales. Bref, c’est en pariant sur ce qu’il y a de meilleur en l’être humain que ce meilleur peut se révéler. A titre d’exemples, voici quelques résultats, parmi de très nombreux autres : l’apprentissage coopératif est bien plus efficace que l’apprentissage compétitif, que ce soit en termes de résultats scolaires, d’ambiance dans la classe, de relations maître-élèves, etc. ; la justice restauratrice (basée sur des rencontres facilitant l’empathie de l’agresseur vis-à-vis de la victime) obtient des résultats meilleurs que la justice pénale traditionnelle, que ce soit en termes de satisfaction des victimes, de responsabilisation des délinquants ou encore de baisse de la récidive ; dans les relations internationales, la diplomatie reposant sur la négociation est bien plus efficace que la dissuasion (menace du « bâton »), pour réduire le risque de guerre.
Encore quelques années et l’optiréalisme sera peut-être une évidence pour la majorité de nos contemporains ; c’est du moins ce que j’espère de tout cœur ».
Et un extrait d’une annexe dans laquelle J. LECOMTE évoque les théories des sciences humaines du XXè siècle (psychanalyse, éthologie, économie, chercheurs en relations internationales) qui, au contraire, présentent l’être humain comme fondamentalement violent :
" L’être humain selon la psychanalyse : un meurtrier héréditaire.
L’opinion de Freud a parfois varié sur certains aspects du fonctionnement humain, mais une constante se dégage sans ambiguïté de l’ensemble de son œuvre : son regard sur l’être humain a toujours été extrêmement négatif. Cela commence dès le jeune âge : « L’enfant est absolument égoïste, il ressent intensément ses besoins et aspire sans aucun égard à leur satisfaction, en particulier face à ses rivaux, les autres enfants. »
Cette attitude persiste à l’âge adulte : dans une lettre au pasteur Pfister, avec qui Freud a entretenu une longue correspondance, ce dernier écrit : « Je ne me casse pas beaucoup la tête au sujet du bien et du mal, mais, en moyenne, je n’ai découvert que fort peu de ‘bien’ chez les hommes. D’après ce que j’en sais, ils ne sont pour la plupart que de la racaille, qu’ils se réclament de l’éthique de telle ou telle doctrine – ou d’aucune. » Pour lui, l’agressivité est un « trait indestructible de la nature humaine ». Dès lors, la moralité adulte provient des exigences que la société impose aux pulsions individuelles.
C’est dans un petit livre publié en 1929 et intitulé Malaise dans la civilisation, que Freud développe le plus clairement l’idée selon laquelle nous ne parvenons à vivre en société que par la répression de nos instincts : « L’homme est… tenté de satisfaire son besoin d’agression aux dépens de son prochain, d’exploiter son travail sans dédommagements, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de me tuer. Homo homini lupus : qui aurait le courage, en face de tous les enseignements de la vie et de l’histoire, de s’inscrire en faux contre cet adage ?... Par suite de cette hostilité primaire qui dresse les hommes les uns contre les autres, la société civilisée est constamment menacée de ruine… La civilisation doit tout mettre en œuvre pour limiter l’agressivité humaine et pour en réduire les manifestations. » Nous héritons donc selon Freud de nos lointains ancêtres une tendance fondamentale à la violence. D’ailleurs, assure-t-il, l’interdiction « tu ne tueras point » est la preuve même que « nous descendons d’une série infiniment longue de générations de meurtriers qui, comme nous-mêmes peut-être, avaient la passion du meurtre dans le sang. »…
Si Jung a pris des distances envers Freud sur certains aspects de la théorie psychanalytique, il reste en accord avec lui concernant nos penchants violents, puisque « nous sommes en fonction de notre nature d’homme, des criminels en puissance. Le mal a son siège dans la nature humaine elle-même ».
De façon plus générale, la psychologie du XXème siècle a été essentiellement marquée par une perspective négative. Un article publié en 2000 constate qu’on trouve, dans les travaux de psychologie des trente dernières années, 46000 articles sur la dépression, contre 400 seulement sur la joie."
Lecomte J. (2009) Introduction à la psychologie positive, Paris, Dunod
Martin-Krumm C. et Tarquinio C. (2011) Traité de psychologie positive. Fondements théoriques et implications pratiques, Bruxelles, De Boeck
www.psychologie-positive.net (association française et francophone de psychologie positive)